Animation peu habituelle sur les quais de Paris, en ce jeudi 13 août. Face à l'Hôtel de Ville, entre les ponts d'Arcole et Notre-Dame, Paris Plages s'est transformée en « Tel-Aviv sur Seine ». L'initiative fait polémique depuis plus d'une semaine, mais les autorités ont décidé de maintenir cette journée, placée sous le signe de la « joie de vivre ». Pourtant, dès l'ouverture, vers 10 heures du matin, la gaieté n'est pas dans l'air. Le périmètre est contrôlé par la police. À l'entrée, beaucoup de journalistes, au point qu'un vieil homme lance : « Il y a plus de journalistes que de touristes ! » Une fois sur la « plage », tout le monde semble être sous pression, malgré les chaises longues et les parties de raquettes. Une petite brise permet de supporter la chaleur, mais la température pourrait subitement monter.
Yzzi, un juif laïc, exhibe une caricature. « Je veux parler avec les Israéliens en tant que juif français, mais ils partent, explique le vieil homme. Je suis contre le manque d'association avec le peuple palestinien. C'est une occasion manquée pour la paix aujourd'hui. » À ce moment-là, un homme qui semble être un vigile perd patience et lance : « Faut associer Damas aussi ? Vous êtes venu foutre la merde ! »
L'incident est vite circonscrit, mais, déjà, les commentaires fusent. « Je ne pense pas qu'il prônait le dialogue. Il a montré un dessin dénonçant un apartheid avec cette manifestation culturelle. Aujourd'hui, c'est un événement heureux », estime Nicolas Woloszko, 24 ans, trésorier de l'Union des étudiants juifs de France. Autour, des témoins et participants à l'événement renchérissent : « Il n'y a qu'en France qu'on voit ça », « (Les journalistes) ne sont pas justes », « Ras-le-bol des cons ». Ambiance assurée alors que la musique commence à retentir. « Let me show you Tel Aviv », chante l'Israélien Nadav Guedj, dans son titre « Golden Boy », présenté à l'Eurovision 2015. Assurément pas le meilleur aspect de la capitale économique de l'État hébreu.
Assise sagement à côté du sable, Claudine est une vieille dame au visage doux. « Être ici, c'est normal, je suis juive. Israël, c'est tout pour moi ! Aujourd'hui, on a peur de tout. Parfois, on se fait insulter dans le bus ou dans la rue. Presque tous mes petits-enfants ont fait leur alya », raconte Claudine. Pourtant, cette native de Tunisie regrette l'époque du mélange des cultures : « Vous savez, à Tunis, avant l'indépendance, on se mélangeait. On était pauvres mais on était tous proches, musulmans, chrétiens et juifs ! »
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« Il y a beaucoup plus de ségrégation ici qu'en Israël »
En fin de matinée, de plus en plus de visiteurs se pressent devant l'entrée. Certains, comme Catherine, saluent l'initiative. Cette femme d'une quarantaine d'années explique qu'elle a pris une journée de congé pour venir. Pour elle, « vraiment, Anne Hidalgo (la maire de Paris) mérite tout (son) respect par cette volonté de pacifier la culture ! ». Sur le visage des touristes, on peut lire l'incompréhension devant ce curieux spectacle.
Une jeune femme vient de se faire refouler par la sécurité. Elle fait partie d'un petit groupe arborant un T-shirt blanc sur lequel l'on peut lire « Gaza soccer beach ». C'est une initiative du street artiste Combo. Le jeune homme, ballon de volley à la main, a travaillé sur des projets dénonçant le communautarisme, notamment en Israël mais aussi au Liban. « Il y a beaucoup plus de ségrégation ici qu'en Israël, dénonce l'artiste. Nous sommes pour la liberté d'expression en France. Ils nous ont dit que cet événement était ouvert d'esprit mais nous n'avons pas pu passer alors que nous sommes venus sans colère. »
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Drapeaux palestiniens
À quelques mètres de « Tel-Aviv sur Seine », c'est bienvenue à « Gaza Plage » ! Même dispositif de sécurité à l'entrée, mais, ici, les drapeaux palestiniens dominent. Les visiteurs peuvent également acheter T-shirts et drapeaux en soutien à la cause palestinienne, ainsi que des produits locaux comme du savon de Naplouse. Ici aussi, des disputes éclatent de temps à autre. « Daech », « terroristes »... les mots fusent, mais les organisateurs calment rapidement la situation.
Serge, 62 ans, estime qu'il est important d'être présent. « Paris a invité la capitale d'un État terroriste. Non seulement à travers sa colonisation illégale, mais je rappelle aussi qu'un bébé palestinien est mort brûlé vif il y a peu de temps (dans une attaque en Cisjordanie perpétrée par des extrémistes juifs, NDLR). 2 000 personnes sont mortes à Gaza l'été dernier, dont plus de 500 enfants, explique l'activiste de CAPJPO Europalestine. La maire ne parlera pas de tout ça. On est là aussi pour dire que la culture palestinienne est vivante. »
Sur une chaise longue, Lou observe cette effervescence militante. « Je suis venue par curiosité mais je n'ai pas bien compris cette polémique, déclare-t-elle. Les gens ne comprennent pas la religion. En Afrique, on a eu les mêmes problèmes, alors que, dans le fond, ce sont des questions politiques. Il faudrait que les gens fassent la part des choses au lieu de mobiliser la police pour rien. »
Le long de Paris Plages, le calme revient peu à peu. Plus d' « Israël », de « Palestine », de « terrorisme », de « peur », de « Gaza », de « morts », de « bombes », de « cons », d'« ignorance », de « sionistes »... Seulement la Seine, le sable et un parfum de vacances.
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08 h 30, le 14 août 2015