Violent réquisitoire de Aoun contre Kahwagi et le gouvernement

Le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, a lancé samedi un violent réquisitoire contre le commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, dont le mandat vient d'être prorogé d'un an par le ministre de la Défense, Samir Mokbel.
« Prends garde, Jean
Kahwagi, de déployer l'armée pour nous affronter ! » a lancé le chef du Courant patriotique libre (CPL), à l'issue d'une réunion extraordinaire de sa formation à Rabieh, appelant ses partisans à se mobiliser pour de nouvelles manifestations.
En réponse au ministre Rachid Derbas, qui avait indiqué samedi matin que le chef du CPL ne placerait pas son parti en position de confrontation avec l'armée, M. Aoun a dit : « Je suis fier d'avoir formé toute une génération au sein de l'armée (...) à la mission réelle de la troupe, qui est la suivante : notre armée est nationale, ce n'est pas une armée de régime. L'armée nationale ne défend pas un régime par la force et ne permet pas la chute d'un État par la force. Le régime peut être amendé et changé, mais ce qui est fixe, c'est l'État et ses institutions. Aujourd'hui, même l'État est dans une situation d'illégalité. Il n'y a ni députés légaux ni responsables militaires légaux. Ces derniers sont là uniquement pour faire face aux citoyens. »
« (...) Ce n'est pas nous qui plaçons l'armée en position de confrontation, mais il ne faut pas placer des soldats et des officiers de l'armée libanaise face à des manifestations pacifiques, comme la dernière fois, en fermant les routes face à des convois de voitures, ce qui a poussé les gens à descendre dans la rue et à recevoir des coups de la part de soldats », a-t-il dit.
« Nul ne fuira devant l'armée libanaise. Mais prends garde, Jean Kahwagi, de déployer l'armée face à nous. Il aurait fallu la déployer face à ceux qui bloquent les rues », a-t-il poursuivi.

« Vous politisez l'institution militaire »
Et le général Aoun d'initier une attaque frontale contre le commandant en chef de l'armée : « Aviez-vous le droit de laisser le front en ébullition entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané et de rester neutre ? Aviez-vous le droit de laisser la route de Ersal devenir une voie de trafic d'armes en direction des terroristes, sous prétexte que le Liban est neutre? Aviez-vous le droit de laisser Wadi Khaled et Tripoli, entre autres régions, arriver là où elles en sont aujourd'hui ? Combien de fois avons-nous demandé au gouvernement et à l'institution militaire de bouger et de faire face aux fauteurs de troubles dans ces régions ? Tout ce que nous entendions, c'était que vous aviez besoin d'une couverture politique (...). En réalité, vous refusez de recevoir des ordres. C'est vous qui avez refusé de contrôler une zone militaire pour protéger la frontière. »
« Vous n'avez pas le droit de déployer l'armée face à des manifestations que nous organiserions afin de protester contre l'extinction du pouvoir au Liban et le coup d'État qui se produit, dont vous êtes partie intégrante. Vous politisez l'institution militaire, en la mettant au service de politiciens, par des voies illégales. Nous défendons les droits du peuple libanais et les militaires font partie de ce peuple (...) », a souligné le chef du CPL à l'adresse du général Kahwagi.
Dans son allocution, Michel Aoun a également tiré à boulets rouges sur le gouvernement ainsi que sur ses adversaires politiques. Il a ainsi accusé le cabinet de mener « un coup d'État ». « Le gouvernement a pris des décisions arbitraires envers l'institution militaire : c'est un coup d'État », a souligné le chef du CPL. « Ce coup d'État a commencé à la Chambre, puis s'est étendu avec la phagocytose du Conseil constitutionnel et de ses prérogatives. Voilà qu'aujourd'hui l'institution militaire est à son tour phagocytée à travers l'imposition de dirigeants soumis aux politiciens, et l'octroi à ces dirigeants de droits qu'ils ne possèdent pas », a-t-il indiqué.

Critiques contre la presse
Et de poursuivre, sans épargner la presse : « Les journaux usent de grands mots en reprenant des propos de politiciens selon lesquels on a détruit Aoun, qu'on l'a défait, qu'il est en faillite. Si j'étais un commerçant endetté, vous auriez pu me détruire. Si j'étais un industriel, vous auriez pu me bloquer l'accès aux marchés et m'empêcher d'écouler ma marchandise. Si j'avais une institution de tourisme, vous auriez pu me la fermer. Mais les semblants d'homme qui tiennent ces propos ne savent-ils pas que mon capital est populaire et que personne ne peut me l'ôter ? Seul le peuple peut encercler et provoquer la chute de quelqu'un. C'est lui qui les encerclera et provoquera leur chute et non eux qui provoqueront la mienne. Ce sont eux qui ont volé l'argent public, qui ont falsifié les vérités. Qu'ils s'abstiennent d'accuser qui que ce soit. Je défie tous ceux qui ont du courage de se rendre à la Chambre pour faire passer la loi que j'ai présentée à la Chambre en vue de créer un tribunal pour les crimes financiers commis au sein de l'État. Que l'immunité de chacun soit aussitôt levée (...) Notre conscience est immaculée comme la neige de Sannine. Nous n'avons pas été des collabos, nous n'avons pas volé et n'avons pas du sang sur notre conscience. »

« Un gouvernement d'ordures »
Le chef du CPL a par ailleurs pris la défense de son gendre, le chef de la diplomatie Gebran Bassil, concernant les accusations qui lui sont portées au sujet de sa gestion du portefeuille de l'électricité, lorsqu'il occupait ce portefeuille, sous le cabinet Hariri. Aussi a-t-il appelé à « l'ouverture d'une enquête pour savoir ce que le ministre des Finances et le Conseil des ministres ont fait pour provoquer l'échec du plan sur l'électricité que nous avions établi, ainsi que tous les autres plans dans tous les secteurs ». « Il est évident que ce qu'ils veulent, c'est que Aoun ne prenne rien. En revanche, il faut le détruire et avec lui chaque projet qu'il souhaite réaliser », a-t-il dit.
Et Michel Aoun de poursuivre : « Il y a une traîtrise au sein de l'État, celle d'une équipe politique qui nous combat. Comment ne seraient-ils pas des traîtres, alors qu'ils ont reconnu leur collaboration avec l'étranger pour frapper une force nationale propre qui veut le changement et la réforme, et qui défend les droits des citoyens. Quel est le prétexte justifiant cette traîtrise ? Pourquoi veulent-ils frapper cette force nationale ? Ils le veulent parce que ce sont des exploiteurs et qu'elle est une force indépendante, souverainiste, qui sacralise la liberté et défend les droits de la patrie et du peuple libanais », a-t-il affirmé.
« Ils promettent des solutions pour Beyrouth, mais ce sont des menteurs, a-t-il dit, concernant la crise des déchets. Ils transportent les ordures de la capitale vers la montagne. Ce n'est pas une solution. La traîtrise est flagrante, le vol aussi. Ils doivent en rendre compte. Ceux qui nous accusent de corruption sont eux-mêmes corrompus, ainsi que leurs maîtres. » Et de lancer à l'encontre des responsables politiques : « Vous êtes le gouvernement d'ordures. »

« Les chrétiens en danger comme à Ninive »
Le chef du CPL s'est en outre adressé aux chrétiens libanais : « Vous, Libanais, surtout chrétiens, êtes aujourd'hui en danger, comme les chrétiens de la plaine de Ninive (en Irak). Si le Hezbollah n'était pas aux frontières pour se défendre, nous défendre et défendre le Liban... » « Et avec cela, ils l'attaquent, quand bien même il les défend. Ceux qui attaquent la Résistance savent-ils que si le terrorisme parvient à atteindre le Liban, ils en seront les premières victimes ? Qu'est-ce que c'est que cette ingratitude face aux sacrifices ? Ce que fait le Hezbollah aujourd'hui, il ne le fait que parce que l'armée libanaise faillit à ses devoirs. Une partie de nos frontières est menacée par le terrorisme, l'autre par Israël. Comment allez-vous les défendre ? Qui parmi vous est avec Israël et contre la Résistance ? Pourquoi n'osez-vous pas le dire? Qui parmi vous est avec le terrorisme ? » a-t-il lancé.
Michel Aoun a enfin invité ses partisans à se préparer à de nouvelles manifestations : « J'appelle tous les militants du CPL et tous les Libanais, une fois le moment venu, à manifester dans la rue. La responsabilité repose sur les épaules de tout le monde. Notre chemin de croix dure depuis dix ans. Lorsque tout le monde complote contre nous, à l'extérieur comme à l'intérieur, le complot est immense et c'est une majorité parlementaire qui le met en application, parce que le pouvoir et la décision sont entre ses mains. »
Et de conclure : « Tous les Libanais sont invités à s'exprimer. Le droit de manifester est garanti par la Constitution parce qu'il exprime communément la volonté du peuple. (...) Nous ne permettrons jamais que réussisse le plan visant à appauvrir et désespérer le peuple libanais pour le pousser à accepter n'importe quelle solution. Les Libanais sont appelés à voter avec leurs pieds, parce que les pieds ont une voix légitime. »

Ils ont dit... en réaction aux propos de Michel Aoun