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Économie - Splendeurs et misères économiques

Grèce : chronique d’un désastre annoncé

Né à Beyrouth, Michel Santi est un macroéconomiste franco-suisse qui conseille des banques centrales et des fonds souverains. Il est notamment l’auteur de « L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique » et de « Misère et opulence ».

Seul l'attachement des Grecs à l'Europe leur a permis de traverser les épreuves et le cauchemar qu'ils subissent depuis cinq ans. Également l'espoir de changer un peu cette Europe et de l'humaniser. L'écrasante majorité des électeurs et soutiens de Syriza ne cherchent effectivement pas la rupture. Tout au plus d'infléchir les autorités européennes et de sensibiliser l'Allemagne indifférente à leur misère. Les Grecs ont en effet fait un rêve : celui de la solidarité européenne, tandis que les malades grecs n'ont plus droit aux soins, que les jeunes Grecs plus droit au travail, que les vieux Grecs plus droit à la retraite, et que les droits humains élémentaires sont bafoués au sein d'un pays partageant la monnaie, la bannière et la culture européennes.
Désormais, la société civile grecque risque l'implosion car sa polarisation s'avère tout aussi radicale que dangereuse. Alors que les partisans du « non » au référendum récent rassemblaient pauvres, chômeurs et déchus de la classe moyenne n'ayant plus rien à perdre, il semblerait que les adeptes du « oui » soient les riches, les patrons et les émigrés, effrayés par la perspective d'une sortie de l'Union. En réalité, les lignes de fracture sont bien plus profondes, et là est précisément le danger quasi existentiel menaçant la société grecque qui voit resurgir ses vieux démons.
Histoire familiale, culture, identité, allégeance régionale et nationalisme reviennent sur le devant de la scène politique et sociale grecque et clivent aujourd'hui ce peuple comme à ses heures les plus sombres. Une portion non négligeable de la nation grecque a en effet une culture du non : de ce non de Metaxas opposé à Mussolini, du non de la gauche grecque aux puissances de l'axe. De ce non et de ce refus teintés de romantisme et agrémentés de rhétorique nationaliste qui accepte de traverser les épreuves et de subir l'humiliation à condition que ce soit avec dignité.
Tandis que la partie adverse ne craint pas uniquement la perte de ses privilèges, mais que la sortie de l'euro ramène instabilité, division et cauchemar hâtivement cachés sous le tapis à la faveur de l'adhésion de son pays à la Communauté européenne en 1981. Son opposition véhémente et frontale à Syriza reflète son angoisse d'un retour à la répression et à la dictature ayant prévalu en Grèce pendant des décennies et qui furent relégués dans l'inconscient collectif sans aucune catharsis nationale dès 1981.
Entre ces deux mondes-là, le schisme est profond, et tout les sépare. Sauf leur croyance naïve – aujourd'hui bel et bien évaporée – que l'Union européenne leur ramènerait démocratie et sérénité. Tout ça pour ça ? Serait-on tenté de s'exclamer en cet été 2015 quand de trop rares économistes stigmatisent l'austérité qu'il fallait logiquement répudier dès 2010 ?
Alors que la rigueur est à l'évidence contre-productive dans un contexte de récession et de crise financière, comment se fait-il que des nations entières s'accrochent toujours, avec leurs leaders, à l'escroquerie intellectuelle de la rigueur budgétaire ?
L'Union n'a pourtant plus aucun motif de se montrer clémente envers la Grèce à présent qu'elle renoue avec la croissance. Désormais sous une pression moindre de la part de leurs concitoyens, les dirigeants de l'Union – qui ont fait preuve d'un tel manque de clairvoyance – y prennent toutefois garde car, dans notre monde actuel tourmenté, la Grèce est un maillon géopolitique fondamental. La perdre constituerait une véritable catastrophe pour l'Europe, car elle basculerait dès lors sous influence russe, voire chinoise, sans oublier bien sûr que ce pays est aux avant- postes de toutes les zones dangereuses de la Méditerranée.

Seul l'attachement des Grecs à l'Europe leur a permis de traverser les épreuves et le cauchemar qu'ils subissent depuis cinq ans. Également l'espoir de changer un peu cette Europe et de l'humaniser. L'écrasante majorité des électeurs et soutiens de Syriza ne cherchent effectivement pas la rupture. Tout au plus d'infléchir les autorités européennes et de sensibiliser l'Allemagne...
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