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Culture - Décryptage

Doit-on se faire payer pour des graffitis ?

Depuis quelques années, Beyrouth est témoin d'une véritable commercialisation du graffiti, pourtant ancré dans la contre-culture et illégal par nature. Des toilettes d'une boîte de nuit au parking d'un centre commercial, de la chambre d'un enfant au corps nu d'une femme, les graffeurs quittent les rues pour faire commerce de leur talent, parfois pour plusieurs milliers de dollars. L'opportunité de vivre de leur passion, selon certains artistes, une trahison du principe même du graffiti, pour d'autres.

Il ne faut pas avoir l'œil aiguisé pour les remarquer : Spaz, EpS, Ashekman, Meuh, Exist, Phat2 et tant d'autres, qui recouvrent les murs de Beyrouth de leurs signatures colorées, pour notre plus grand plaisir ou notre sainte horreur... Dernière née d'une longue lignée d'artistes de rue beyrouthins, cette nouvelle génération de graffeurs, a contrario de ses prédécesseurs, a su mettre un prix à ses coups de bonbonnes. Centres commerciaux, grandes marques de boissons gazeuses, ambassades et particuliers s'offrent de plus en plus les services de graffeurs pour animer une soirée, personnaliser un produit ou lancer une campagne publicitaire.

Au Liban, c'est durant la période de la guerre civile que le graffiti fait ses premières apparitions. Entre 1975 et 1990, la prolifération exponentielle de l'art de rue à Beyrouth, qui recouvrait alors bâtiments en ruine et carcasses de voitures, avait pour but de revendiquer des territoires politiques et confessionnels. Aujourd'hui, les graffitis ne sont plus uniquement cantonnés aux rues et leur fonction a radicalement changé. Avec une trentaine d'artistes actifs au Liban et seulement une dizaine qui commercialisent leurs graffitis, la demande pour ce genre de service reste largement supérieure à l'offre. Une aubaine pour cette poignée d'artistes qui se partagent un marché entier où le graffiti se négocie jusqu'à 300 dollars le mètre carré.

« Au Liban et partout dans le monde, le graffiti est de plus en plus demandé. C'est devenu plus commun, ça fait partie des meubles. Sur certains événements (commerciaux), tu sens qu'il manque quelque chose quand il n'y a pas de graffeurs », estime Alfred Badr, alias EpS. Graphiste d'étude et de métier, il est devenu graffeur commercial à temps plein en 2013. S'il avoue préférer la rue au commercial, ses journées sont chargées de commandes diverses, qui vont de la décoration de chaussures à de la peinture sur des corps nus, en passant par la chambre d'un enfant désireux d'avoir un graffiti à l'effigie de son équipe de football préférée. « Quand je fais des jobs que je n'ai pas vraiment envie de faire parce qu'ils ne me ressemblent pas, ça me permet de prendre d'autres chemins et de me découvrir artistiquement en expérimentant, explique-t-il. Mais parfois je me demande ce que je suis en train de faire. Il m'est arrivé d'avoir l'impression de vendre mon âme », dit-il en riant.

 

(Lire aussi : Les graffitis de Beyrouth, un art urbain politisé ?)

 

« De la rue, pour la rue »
En deux ans, Alfred aka EpS a su se tailler une place de choix dans le milieu du graffiti commercial. Il y a quelques mois, c'est lui, par exemple, qui organisait un rassemblement pour peindre sur le parking d'une grande chaîne de centres commerciaux. Regroupant une vingtaine de graffeurs, certains y voyaient déjà « le plus gros événement de l'histoire du graffiti libanais ».

«Le graffiti commercial encourage les artistes à poursuivre leur travail et cela donne une bonne image du graffiti, notamment auprès de personnes qui pensent que les graffeurs sont tous des vandales », estime Spaz, qui participait à cette grande rencontre organisée par EpS. Comme lui, ils sont plusieurs à honorer ce genre de commandes occasionnellement, sans pour autant travailler à temps plein.

 

(Lire aussi :La place (Tabaris) est à eux !)

 

Pour Exist, jeune graffeur de vingt ans, ce genre de boulot est surtout l'opportunité de couvrir son budget mensuel en bonbonnes de peintures, soit environ 200 dollars. Mais il espère un jour gagner plus. « Pouvoir vivre du graffiti serait parfait », assure-t-il, tout en mettant en garde sur les dérives de la commercialisation d'un art qui est avant tout « de la rue, pour la rue ».
« La plupart des graffeurs qui font du commercial ne retournent pas dans les rues. C'est quelque chose que je déteste. Dans la rue, on donne aux gens gratuitement, c'est pour cela que je fais du graffiti », dit-il en terminant d'écrire son nom sur le mur d'une brasserie abandonnée d'Achrafieh. En contrebas, un passant l'interpelle. Il veut l'inviter à boire un café.
«Quand tu fais du graffiti commercial, ce n'est plus vraiment du graffiti. L'art de rue est censé être illégal, renchérit Spaz. Cela change le message central du graffiti, qui est de faire ce que tu veux sans rien demander à personne.»

Si le commerce de l'art de rue permet aux artistes de financer leurs projets personnels, certains ont appris, à leurs dépens, qu'une telle professionnalisation implique des limites à leur liberté d'expression. « Certains clients m'ont déjà demandé d'éclaircir la peau d'un personnage qui était selon eux trop foncée », révèle ainsi un graffeur qui préfère rester anonyme.

Quant au «plus grand événement de l'histoire du graffiti libanais», tous les dessins furent effacés par la suite. Pour l'un des participants, qui a découvert par hasard qu'une couche de peinture fraîche remplace désormais son travail, le constat est clair : «Ils (les entreprises) veulent vous faire croire qu'ils s'intéressent aux graffitis, mais en fait c'est juste parce que c'est à la mode», dit-il d'un ton amer. Pour autant, il participera si un second événement est organisé. «Tu ne peux pas te considérer graffeur si tu le fais uniquement pour l'argent, assure-t-il. Mais si tu peux travailler et mener en même temps tes projets personnels, où est le mal?»

 

Pour mémoire
L'art urbain beyrouthin : des œuvres d'activistes, poètes de rue

Ashekman oui, et même bientôt Ashekmanphobia !

Il ne faut pas avoir l'œil aiguisé pour les remarquer : Spaz, EpS, Ashekman, Meuh, Exist, Phat2 et tant d'autres, qui recouvrent les murs de Beyrouth de leurs signatures colorées, pour notre plus grand plaisir ou notre sainte horreur... Dernière née d'une longue lignée d'artistes de rue beyrouthins, cette nouvelle génération de graffeurs, a contrario de ses prédécesseurs, a su mettre...

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DU DESSEIN DIT MODERNE... AVEC UN TAS DE POINTS D'INTERROGATION... BIEN SÛR !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 05, le 05 août 2015

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Commentaires (1)

  • DU DESSEIN DIT MODERNE... AVEC UN TAS DE POINTS D'INTERROGATION... BIEN SÛR !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 05, le 05 août 2015

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