Les familles des militaires pris en otage par le Front al-Nosra ont vécu un week-end très mouvementé, après avoir obtenu des ravisseurs la permission de rendre visite samedi à leurs proches dans le jurd de Ersal à l'occasion de la fête du Fitr. Une bonne nouvelle qui leur avait été annoncée la veille par le cheikh Moustapha el-Hojeiri, avant qu'ils ne reçoivent via la messagerie instantanée WhatsApp une liste des besoins de chaque otage, entre argent, vêtements, provisions et affaires de toilette. Les familles des 16 policiers et soldats enlevés, quelque 60 personnes au total, se sont rendues samedi matin à la frontière libano-syrienne. Le convoi, formé de deux bus et de quelques 4x4, a démarré à Dourès, au sud de Baalbeck, vers 9 heures, pour arriver deux heures plus tard dans la grotte où les familles affligées depuis bientôt un an ont pu voir leurs proches pendant trois heures lors de retrouvailles émouvantes. Les conjoints et même les enfants des otages étaient tous présents, certains ne pouvant pas retenir leurs larmes dans la grotte où chaque famille s'est réservé une petite place autour de son fils, père ou époux, alors que des dizaines d'individus armés les entouraient. Cette visite s'est effectuée au vu et au su des autorités, l'armée libanaise ayant accordé un permis aux familles pour traverser la frontière syrienne à travers un passage illégal. Sur les images retransmises par la chaîne télévisée MTV, les otages, portant tous une longue barbe, sont apparus en bonne santé sous une grande tente. C'est d'ailleurs ce qu'ont affirmé les parents à leur retour à Beyrouth.
« Nos maris vont bien et ils sont bien traités par les ravisseurs, mais ils ne sont pas optimistes en ce qui concerne leur libération, a déclaré à L'Orient-Le Jour Zahra' Mcheik, épouse du policier Abbas Mcheik. Mon mari est triste. Il est atteint depuis longtemps d'un virus au foie et son état nécessite un suivi médical continu. Les ravisseurs lui ont assuré son médicament pendant 9 mois, mais j'ai dû le lui envoyer pour deux autres mois. Tous les propos qu'il m'a tenus laissent penser qu'il n'estime pas pouvoir rentrer de sitôt à la maison. Il m'a dit : "Je te confie les enfants et la maison", et il s'est adressé aux enfants comme s'il n'allait jamais les revoir. C'est à peine, en tout cas, s'il connaît son troisième fils, qui est né après son enlèvement. »
Des conditions rédhibitoires ?
« J'ai vu mon mari dans la même grotte où je l'avais rencontré la première fois, a raconté pour sa part Nazha Geagea, épouse de Pierre Geagea, un policier originaire de Deir el-Ahmar. C'est la troisième fois que je le vois en un an. La dernière fois, je l'avais vu dans une ceriseraie. Cette fois-ci, j'ai pu noter que la grotte a été très bien aménagée, elle est même alimentée en électricité. Les murs sont couverts de pierre et le plafond de bois. Il y avait beaucoup d'hommes armés dans cette grotte, bien évidemment, puisque nous étions très nombreux, mais nous avons pu discuter avec nos hommes qui se portent bien. Selon eux, les ravisseurs dorment à même le sol pour leur laisser de la place sur les lits. Même si j'ai senti que mon mari ne pouvait pas trop parler à sa guise sur ses conditions de vie au quotidien dans le jurd, j'ai pu sentir qu'il va mieux moralement et psychologiquement, nettement mieux que les fois précédentes. »
Nazha Geagea ajoute que l'émir du Front al-Nosra dans le Qalamoun syrien, Abou Malek al-Tallé, qui était présent à la rencontre, lui a assuré que son mari et l'otage Georges Khazzaka seront les premiers à être libérés si l'État libanais libère cinq femmes détenues dans les prisons libanaises. « Nous lui avons dit que notre État ne suivait pas l'affaire avec intérêt et que nous comptions sur sa miséricorde, a poursuivi Nazha Geagea. Il a répondu que tout cela n'était pas entre ses mains et que de nombreux pays sont impliqués dans cette affaire. Il nous a également affirmé que le restant des otages seraient libérés par petits groupes si jamais l'État obligeait le Hezbollah à se retirer du Qalamoun. Comme si l'État était capable de le faire ! Il s'agit d'une condition rédhibitoire, à mon avis. Il demande le maximum pour obtenir un minimum. Il parait qu'al-Nosra ne veut plus la libération d'islamistes et ne veut plus d'argent. »
« Aucune négociation n'est en cours », dénonce l'émir d'al-Nosra
En effet, Abou Malek al-Tallé, dont seule la voix a été entendue durant l'interview retransmise à la télévision, a indiqué ne plus exiger la libération de détenus islamistes se trouvant à Roumieh afin que les militaires soient remis en liberté, appelant l'État à « lever le blocus sur les réfugiés syriens qui se trouvent à Ersal et dans son jurd, et à ouvrir un passage sécurisé pour les réfugiés syriens afin qu'ils puissent se rendre dans la ville syrienne de Flita ». Il a par ailleurs confirmé avoir réclamé aux autorités libanaises la libération de cinq femmes détenues dans les prisons. Parmi ces femmes se trouve Joumana Hmayed qui avait été arrêtée en 2014 près de Ersal dans une voiture bourrée d'explosifs. Selon l'émir d'al-Nosra, cette dernière ne savait pas qu'elle se trouvait dans une voiture piégée. Le combattant a aussi exigé la libération de Saja al-Doulaïmi et de Ola al-Oqaï'y, la première étant l'ex-femme du chef du groupe État islamique (EI) Abou Bakr al-Baghdadi et la seconde l'épouse d'Anas Charkas, alias Abou Ali al-Chichani, un commandant jihadiste syrien. Selon l'émir du Front al-Nosra dans le Qalamoun, « ces femmes détenues dans les prisons libanaises sont uniquement coupables d'être musulmanes ». L'émir a enfin déclaré qu' « actuellement, aucune négociation n'est en cours », après l'échec de médiations impliquant notamment le Qatar. « Que celui qui affirme le contraire le prouve », a-t-il dit.
Le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, affirme en effet depuis plus d'un mois que les négociations avec le Front al-Nosra, la branche syrienne d'el-Qaëda, sont achevées et que les otages devraient être remis en liberté bientôt. Les familles devraient se réunir avec le général Ibrahim mardi afin de le mettre au courant des détails de leur visite, à laquelle ont par ailleurs été interdits, par al-Nosra, de participer les hommes de confession chiite. Fadi Mouzahem, oncle de l'otage chiite Lameh Mouzahem, n'a pourtant pas caché sa joie. « Cette visite durant le Eid nous a remonté le moral », a-t-il confié.
De leur côté, les parents des neuf otages enlevés par le groupe État islamique ont suivi les détails de cette visite avec amertume, alors qu'aucune information ne circule au sujet des négociations concernant leurs proches. N'ayant pu contacter son fils durant cette période des fêtes, Hussein Youssef, père de l'otage Mohammad Youssef, a estimé que « l'EI attend l'opération d'échange entre al-Nosra et l'État libanais afin d'agir à son tour pour pouvoir juger de l'honnêteté du gouvernement concernant ce dossier ».
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