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Culture - Installation

Comment Anish Kapoor a violé Versailles

Cinq sculptures d'Anish Kapoor violentent le paysage structuré des jardins du château de Versailles. Évocatrices d'une sexualité fertile et sombre, elles y râpent toute perfection classique jusqu'au 1er novembre.

Photo Reuters

En extirpant de ses parterres tripes et boyaux, Anish Kapoor a créé le chaos au château de Versailles. Il a bousculé l'ordre froid des jardins royaux en y shootant un romantique désordre. Ses sculptures, amies de tout sauf des anges, dévoilent la face sombre d'un domaine de 800 hectares, d'origine marécageuse. Ainsi, la première installation de Kapoor est exposée non loin, rue du Jeu de Paume. Dans la salle éponyme, Shooting into the Corner interloque ses visiteurs, et ça fuse du « Holy Shit » anglo-saxon au sourire japonais enfin lâché, pris de tremblote. L'objet de la stupeur est un canon ferreux qui projette avec fracas sur un coin de mur blanc des blocs cylindriques cireux, gras, rouges, sanguinolents. Les blessures de la Révolution française sont vomies. Elles crient l'engagement historique des représentants du peuple, rassemblés dans cette salle pour renverser la volonté absolutiste du roi. Kapoor parle du sens initial de son œuvre comme d'une « pénétration symbolique qui rend les deux parties puissantes, c'est une guerre larvée ». Le coin féminin, triangulaire, vers lequel se dirige un canon, pénétrant, évoque une complémentarité. « Comme l'État et les citoyens, ou l'amant et l'aimée ». Dans cette explosion de chair vive se dessine une perception tripale, romantique et libérée des œuvres à venir. Le renversement de l'ordre physique de la monarchie absolue par le charnel chaotique est en marche.

Désordre antiroyaliste
Dans les jardins, la première des cinq œuvres d'Anish Kapoor balafre la conception de l'objet-miroir à Versailles. Un objet si présent à l'intérieur du château qu'il fonctionne en vase clos, reflétant à l'infini la perfection apollinienne des lieux. Pour le contredire, le miroir C-Curve de Kapoor renverse la perspective des jardins qui s'y mirent à l'envers, tête en bas. La perfection des lignes droites se paume. Les proportions s'affolent. La démesure prend le pas sur l'harmonie. Le fouillis est à portée d'œuvre et l'ivresse des sens s'infiltre. Se mirer dans cette toute nouvelle glace, c'est se retrouver désorienté mais libre de tout narcissisme classique. L'exercice plaît car devant le miroir, il y a foule. Cet amour de la perspective renversée se vautre dans un second miroir kapoorien stratosphérique, le Sky Mirror. Sphérique, il roule et englobe le château et ses jardins. Il exprime une nouvelle monumentalité, pas terrestre. Elle est le septième ciel qui emmène vers la troisième œuvre éventreuse du « tapis vert » central. Dirty Corner, récemment vandalisée à la peinture jaune, a créé la polémique car elle a été à juste titre assimilée au vagin de Marie-Antoinette. Une accusation récusée par Kapoor, qui parlait pourtant d'« un long tuyau qui pourrait être masculin, un phallus/vagin ». Ce qui aurait pu n'être que brouille syntaxique saisit les sens par sa structure longue de 60 mètres, au bout de laquelle une trompe s'ouvre vers le château. Dirty Corner est outrageant pour certains, sublime pour d'autres. L'acte dévorant de la chair n'indiffère jamais. Autour de l'œuvre, des excavations de couleurs vives grimpent vers le ciel. La terre versaillaise est labourée dans ce qu'elle possède de plus primitif, de violent. Il y a du jaune et du rouge, c'est piquant et ça hurle. Kapoor parle de l'établissement d'une couleur-condition et non d'une couleur-surface. Cette œuvre achève de dépouiller et de démembrer l'ordre vert de Le Nôtre.

Nouvel ordre dionysiaque
Sectional Body preparing for Monadic Singularity est la quatrième œuvre du parcours kapoorien à Versailles. Elle y détruit toute unité logique d'espace. Il faut se perdre dans les labyrinthes des bosquets pour découvrir ce cube rouge. Il vit à l'écart. Avec ses trous qui laissent passer la lumière, sa matière évolue dans toute les nuances du rouge en fonction des migrations du soleil. Kapoor y mixe minimal et maximal organiques. Y entrer, c'est imaginer la partie intérieure d'un membre du corps humain avec ses vaisseaux anamorphosés. Certains y voient une « chapelle » à la beauté d'une cathédrale, d'autres les artères d'un cœur. Descension est la dernière installation. Elle empale symboliquement les grandes eaux de Versailles. Kapoor a enraciné dans une surface d'eau plane un tourbillon central, évoquant un trou noir. Une aspiration orgiaque qui propulse vers « l'irrésolu, le débraillé, l'incertain ». La placidité des fontaines alentour n'est plus. Ce cœur hydrique mais battant donne le vertige. C'est celui d'un Versailles saisi dans son trouble originel. Si Anish Kapoor a violé « l'ordre terrifiant » du domaine, il a laissé éclore une renaissance royale primitive, émouvante, pendue au vagin d'une mère nature violente et créatrice.

En extirpant de ses parterres tripes et boyaux, Anish Kapoor a créé le chaos au château de Versailles. Il a bousculé l'ordre froid des jardins royaux en y shootant un romantique désordre. Ses sculptures, amies de tout sauf des anges, dévoilent la face sombre d'un domaine de 800 hectares, d'origine marécageuse. Ainsi, la première installation de Kapoor est exposée non loin, rue...

commentaires (1)

Bravo pour cet article! Super bien écrit, des mots justes sans être pedants, un titre prometteur et intrigant! fort! Très belle description des oeuvres et du lieu,du journalisme moderne! Yasmina Comair nous glisse des mots forts et nous rattrappe d'une main de velours: le style oscille entre le shoking moderne et le romantisme poétique ! Super intéressant, on a envie de le lire jusqu'au bout et de ne pas en perdre une miette. Apothéose finale dans la conclusion,bravo Yasmina, continuez à nous envoyer des articles de ce calibre!

Sacy Nicole

20 h 11, le 06 juillet 2015

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Commentaires (1)

  • Bravo pour cet article! Super bien écrit, des mots justes sans être pedants, un titre prometteur et intrigant! fort! Très belle description des oeuvres et du lieu,du journalisme moderne! Yasmina Comair nous glisse des mots forts et nous rattrappe d'une main de velours: le style oscille entre le shoking moderne et le romantisme poétique ! Super intéressant, on a envie de le lire jusqu'au bout et de ne pas en perdre une miette. Apothéose finale dans la conclusion,bravo Yasmina, continuez à nous envoyer des articles de ce calibre!

    Sacy Nicole

    20 h 11, le 06 juillet 2015

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