Son design a une charge poétique et émotionnelle qu'on ne trouve généralement pas chez les architectes. Et pourtant, Georges Mohasseb est bel est bien architecte. Sauf qu'il fait partie de ceux qui accordent autant d'importance à la conception d'un bâtiment qu'à celle d'une chaise, une table ou un luminaire. « L'architecture et le design sont des univers à la fois très différents et très complémentaires », estime-t-il. Précisant que « les deux sont basés sur la rencontre entre le concept, la matière et l'exécution. Leur distinction se situe, surtout, au niveau de leur temps de production et de maturité ».
Dans son atelier situé au dernier étage d'un immeuble industriel de Mkallès, l'alignement de maquettes d'objets mobiliers sur une longue étagère ceinturant le mur d'entrée en dit long sur le processus de travail de cet architecte-designer. À l'heure du numérique à tous crins, dans la modélisation d'objets en particulier, ces répliques miniatures de tables, chaises, fauteuils, bibliothèques, banquettes ou encore luminaires qu'il a conçues introduisent une note personnelle, chaleureuse, un peu rétro, un brin nostalgique et, somme toute, pleine d'humanité dans ce vaste espace clair et lumineux. Un atelier de création où « traînent », également, entre les tables d'architectes et les ordinateurs, un prototype de chaise en cours de réalisation et des « spécimens » de créations précédentes, tel ce fauteuil de la série Beaubourg en plexiglas et tuyauterie, ou encore cet objet non identifié en bois à la surface alvéolée et aux contours biseautés... Qui pourrait, tout à la fois, faire office de banquette, de table basse ou encore de sculpture.
Des idées et des « ergonomies » qui naissent chez Georges Mohasseb « d'une émotion, une sensation, une chose vue, un livre lu... Parfois aussi d'une rencontre, une gestuelle, des mouvements d'une personne... Mais surtout de la nature, sous toutes ses formes », affirme-t-il.
Baobab... et nonne à cornette
Donner des formes inédites, souvent organiques et végétales aux objets usuels, les sortir de leur géométrie habituelle, est un exercice auquel aime se livrer ce designer aux œuvres, certes, souvent poétiques, mais qui n'en sont pas moins réalisées avec une extrême minutie. En témoignent son sculptural bar Baobab (entre fleur, arbre et nuage), « travaillé à partir de la poudre de métal coulée d'un seul tenant à froid dans un moule en résine », ou encore le fauteuil Baleine inspiré de Moby Dick, un des romans de jeunesse préférés de ce quadragénaire qui retranscrit, souvent, dans ses créations mobilières, ses rêves d'enfant. Parfois aussi ses sentiments d'adulte. C'est clairement le cas de sa fameuse Marguerite des sables dont les photos ont fait le tour de la presse étrangère, d'AD Londres à Marie Claire Italie et Elle Déco France.
S'il travaille beaucoup le métal, le laiton, le verre ou encore la résine, le bois reste la matière préférée de Georges Mohasseb. Lequel a, d'ailleurs, choisi comme label Wood &, « parce que j'aime mélanger le bois et... tous ces autres matériaux », indique-t-il. Mais cet écologiste convaincu privilégie le bois recyclé et ne recourt au massif que de manière limitée, en réduisant au maximum les chutes et autres gaspillages.
Sensible aux métiers d'art, « à l'ébénisterie en particulier que j'essaie de perpétuer par mon travail », dit-il, Mohasseb n'en prend pas moins, de temps à autres, des chemins de traverse. Comme lorsqu'il « construit » une immense tour d'agrafes en guise de luminaire. Grosse attraction des derniers Design Days de Dubaï, où elle avait été emmenée par Smogallery, elle sera déclinée dans des dimensions plus modestes.
Ruches d'abeilles
Sinon, ce grand défenseur de l'artisanat reste sur « le chemin de l'art fonctionnel et décoratif qui fait que chaque pièce est travaillée et qu'elle a une durée dans le temps, par ses proportions, le choix des matériaux et la qualité de sa fabrication ». À l'instar de cette « sculpturale » table basse-banquette, « en bois de noyer américain inséré de poudre de métal de laiton vieilli ». Une pièce surprenante, inspirée d'une poignée de crayons mines. Lesquels, reproduits en grand format, assemblés et collés à l'ancienne, ont donné en surface un motif d'alvéoles de ruches d'abeilles, tandis que ses côtés multi-biseautés lui impulsent comme un mouvement de propulsion en avant. À mi-chemin entre design et art. Tout comme The Walking Nun, une de ses toutes dernières créations : un tabouret de bar, inspiré du profil de la nonne en cornette des films de Louis de Funès, sculpté dans la masse d'un bois de teck blanc brut.
Ce qui est stimulant dans la création d'un meuble ou d'un objet ? « C'est le procédé, répond sans l'ombre d'une hésitation Georges Mohasseb. Cette idée qui revient et revient, puis se transforme en maquette, ensuite en prototype, ensuite en échantillon, avec à chaque étape des adaptations et des modifications de proportions ou de matières, avant d'arriver à l'objet fini. » Lequel lui inspirera, à son tour, un autre. La preuve : le motif ruche d'abeilles de la table-banquette est en train de donner naissance, trois ans plus tard, à des chaises en métal alvéolé. En cours de conception...
Un bouquet happé en chemin
Réalisation exceptionnelle née « d'un désir et d'un manque », dit-il, la Marguerite des sables est une pièce dédiée, à l'origine, à sa femme, qui lui réclamait une table basse pour leur salon. Demande que Georges Mohasseb, pris par ses engagements professionnels, n'avait jamais le temps de réaliser. « Jusqu'à ce que je me réveille un beau matin avec l'envie de lui faire plaisir en lui offrant des fleurs », raconte-t-il. C'est de là que naîtra l'idée de cette table-bouquet « constituée de 241 tiges de marguerites en laiton massif découpées au laser, puis travaillées de manière artisanale ». Sauf que ce bouquet si amoureusement composé n'arrivera pas à sa destinataire. Intercepté en chemin par Gregory Gasteleria (le galeriste de Smogallery, où il expose ses créations) qui insiste pour l'emmener au PAD de Paris 2013, il y sera immédiatement happé par un acheteur. Rançon du succès, sa femme devra patienter encore quelques mois avant de recevoir sa Marguerite des sables, deuxième sur une édition limitée à 9 pièces.
Formation multi-facettes
Des études d'architecture à Washington, à la Catholic University of America (où il enseignera par la suite le design mobilier), suivies d'une formation au Stevens Institute of Technology, vont permettre à Georges Mohasseb « d'aborder plus en détail et précision les différents matériaux, leur résistance, leur paramétrage et leurs techniques, d'un point de vue plus scientifique », dit-il. Puis un passage par la France et l'école Boulle, où il se forme à l'ébénisterie contemporaine, lui donnera une sensibilité particulière à l'artisanat et au bois.
Pour mémoire
Le beau et le bon ont leur valse à dix temps
UN ARCHITECTE CRÉATEUR !
10 h 40, le 01 juillet 2015