Fin 2001, les talibans sont chassés du pouvoir et remplacés par un gouvernement dirigé par Hamid Karzaï. Depuis, ils multiplient les attaques contre le gouvernement de Kaboul, qu’ils qualifient de « vendu ». Photo AFP
Les évolutions géopolitiques régionales auront donné lieu, au fil des décennies, aux rapprochements les plus insolites. Depuis le début des années 2000, de nombreuses sources font ainsi état d'un financement quelconque des talibans afghans par l'Iran. C'est à cette période, en effet, que les États-Unis décident, après les attentats du 11 septembre 2001, d'envahir l'Afghanistan dans le cadre de la lutte contre le terrorisme lancée par l'administration Bush. Fin 2001, les talibans sont chassés du pouvoir et remplacés par un gouvernement dirigé par Hamid Karzaï. Depuis, ils multiplient les attaques contre le gouvernement de Kaboul, qu'ils qualifient de « vendu », et son allié américain.
Les allégations selon lesquelles la République islamique apporte une aide conséquente aux talibans ne sont pas nouvelles : le désir de la République islamique de contrer la présence américaine dans la région n'est pas un secret. Après la chute du gouvernement taliban fin 2001, et après le début en 2006 des offensives talibanes contre le gouvernement et les forces étrangères en présence dans le pays, le mouvement jihadiste n'a eu de cesse d'appeler notamment au départ des troupes étrangères. Selon certains connaisseurs de la région, l'aide financière et militaire de l'Iran chiite aux talibans sunnites remonterait à 2007.
Historiquement, l'Iran et les talibans n'ont jamais entretenu de bonnes relations. « Le premier acte des talibans en 1998 en arrivant au nord de l'Afghanistan a été l'assassinat, contre toutes les règles internationales, de tous les diplomates du consulat iranien dans la ville de Mazar-i-Sharif », rappelle Karim Pakzad, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris. « Et de 2002 jusqu'à aujourd'hui, l'Iran a entretenu des relations amicales avec le régime de Kaboul, tout en dénonçant l'occupation de l'Afghanistan par les Américains », ajoute le chercheur.
L'image des talibans
En outre, les dernières années ont vu des changements diplomatiques dans la région. « L'amélioration des relations entre l'Afghanistan et le Pakistan, clé d'une solution politique en Afghanistan, rend désormais possibles des négociations entre Kaboul et les talibans. Tous les pays voisins, à l'exception de la Russie, prennent contact avec les talibans, qui ont été invités en Chine, en Turquie, dans certains pays européens, ont un bureau au Qatar... C'est ainsi qu'une délégation des talibans s'est rendue en Iran le mois dernier », explique M. Pakzad.
Mais, surtout, l'émergence de groupes tel l'État islamique (EI) pousse certaines puissances à changer de comportement avec les pays voisins, et même à forger de nouvelles alliances, impensables il y a encore quelques années. Ainsi, outre la présence de l'ennemi américain dans la région, l'expansion territoriale de l'EI en Irak et en Syrie, et sa capacité de recrutement et d'attaques dans une quantité de pays orientaux et occidentaux représentent une menace de plus en plus concrète pour l'Iran. Bien entendu, depuis le début de la guerre en Syrie, le soutien de la République islamique au régime de Bachar el-Assad a été inconditionnel. Mais elle n'a jamais encore été attaquée sur son sol par le groupe jihadiste, qui se rapproche pourtant de plus en plus de ses frontières. Il y a quelques semaines, le Pentagone a estimé dans un rapport au Congrès américain que l'EI est actuellement dans une « phase initiale d'exploration » en Afghanistan, décelant « quelques indications d'efforts de recrutement limité ». « La lettre ouverte envoyée par les talibans à l'EI lui demandant de ne pas intervenir en Afghanistan, de ne pas les doubler, de ne pas discréditer leur cause et celle d'autres mouvements islamistes confirme une certaine présence de l'EI dans ce pays, même minime. Apparemment, il s'agirait entre autres des désillusionnés des talibans qui essaient de faire avancer leur cause plus rapidement », juge Houchang Hassan-Yari, chercheur et professeur à l'Université Sultan Qabous de Oman. Ce que confirme M. Pakzad, pour lequel également la présence et le développement de Daech (acronyme arabe de l'EI) au Pakistan et en Afghanistan sont en partie à l'origine du rapprochement de Kaboul et d'Islamabad.
Nécessité de guerre
L'Iran chiite et les talibans sunnites ont pourtant tout pour les séparer. Mais si l'Iran chiite se pose en défenseur de cette communauté dans le monde, « le critère idéologique a peu de place dans la politique iranienne. Les relations privilégiées de l'Iran avec le Hezbollah ou des partis chiites irakiens sont l'arbre qui cache la forêt. Quand des chiites sont minoritaires comme en Afghanistan, le premier partenaire de l'Iran, ce sont des sunnites proches de lui », affirme l'expert. Car il ne faut pas oublier la nécessité de guerre, qui empêche la négation de toute possibilité de collaboration, avance M. Hassan-Yari, rappelant que, récemment, une délégation de talibans suivant le mollah Omar a visité Téhéran. En revanche, si une aide iranienne est effectivement avancée aux talibans, il n'est pas nécessaire qu'elle ait été décidée au plus haut niveau gouvernemental, d'où son aspect – pour le moment – relativement limité. Karim Pakzad va un peu plus loin et suggère l'implication d'instances qui ont la haute main sur la question de sécurité et de la politique étrangère de l'Iran dans la région (Afghanistan, Irak, Syrie, Liban...) et qui relèvent directement du guide Ali Khamenei. Et, selon certains médias, comme le Daily Telegraph britannique, les talibans auraient déjà établi une certaine présence en Iran. Outre un bureau à Machhad (Nord-Est), ils auraient également droit à quatre camps d'entraînement : à Téhéran, Machhad, Mahedan, et dans une ville de la province de Kerman.
À quelques jours d'un accord sur le nucléaire iranien entre Téhéran et Washington, une telle alliance semble risquée. Pour M. Hassan-Yari, si elle est avérée, elle pourra toutefois servir de moyen de pression sur les États-Unis et leurs alliés. En cas d'accord avec l'Occident, la levée des sanctions permettrait l'entrée de milliards de dollars dans les caisses de l'État iranien. Il n'est cependant pas certain que l'Iran continuerait à financer les talibans avec la même intensité.
Accorder trop d'armes et/ou de fonds aux talibans reviendrait à trop les renforcer, ce qui pourrait constituer, à long terme, une arme à double tranchant et à effet boomerang pour Téhéran.
(Lire aussi : Quand les Saoudiens multiplient les alliances pour contrer l'Iran)
Les talibans afghans vont-ils combattre en Syrie pour le compte de l'Iran ?
La présence de nombreux Afghans en Syrie laisse supposer leur envoi par Téhéran pour aider le régime de Bachar el-Assad. De là à affirmer que ce sont des talibans, il n'y a qu'un pas, que certains franchissent allègrement. Mais pour Karim Pakzad, chercheur à l'IRIS, ces informations sont fausses. Pourtant, en Afghanistan, des combats ont eu lieu entre les talibans et l'État islamique, qui a décapité dix de leurs combattants le mois dernier, selon lui. Et il y a effectivement des Afghans engagés dans la guerre en Syrie, et dont l'envoi est facilité par l'Iran. Mais, il y a aussi des Afghans de confession sunnite dans les rangs de l'EI.
Idem pour Houchang Hassan-Yari, chercheur et professeur à l'Université Sultan Qabous de Oman. « Ce sont des Afghans qui n'appartiennent pas aux talibans. Très souvent, quand il y a des morts parmi ceux qui combattent l'EI aux côtés du régime, le gouvernement iranien se charge de rapatrier les corps et organiser les funérailles de ces combattants, ce qui pourrait pousser certains à penser qu'ils sont envoyés par l'Iran ».
Quels sont les différents groupes talibans ?
Quand on parle du mouvement des talibans, il s'agit de l'ensemble du mouvement de l'insurrection armée contre le régime de Kaboul et jusqu'à très récemment contre les troupes américaines et de ses alliés (l'Otan). D'une manière générale, cette insurrection est composée de deux branches, explique Karim Pakzad : les talibans, à savoir des forces qui représentent l'ancien régime des talibans (l'Émirat des talibans) et le Hezb-é-islami (le parti islamique) de l'ancien chef de guerre contre l'invasion soviétique dans les années 1980 et à cette époque le protégé des Américains. Mais il est vrai que la grosse partie de l'insurrection est composée des talibans. Ces derniers, unis au début, sont composés de deux tendances : celle des talibans historiques, qu'on appelle le conseil de Quetta (ville pakistanaise de Baloutchistan où se trouve l'état-major des talibans), et le réseau Haqqani, du nom d'un autre chef de guerre de l'époque du jihad anticommuniste. Ces derniers, en contact avec el-Qaëda dans les zones tribales pakistanaises, sont devenus plus extrémistes et plus fanatiques. Cependant, le réseau Haqqani accepte le leadership du mollah Omar, le chef suprême des talibans.
Pour mémoire
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Plutôt une alliance à la conVenance.
04 h 19, le 01 juillet 2015