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Liban - Rencontre

Youssef Tohmé, l’architecte des possibles

La médaille de l'urbanisme de l'Académie d'architecture de France a été décernée à Youssef Tohmé le 10 juin. Une étape de plus à marquer d'une pierre blanche dans la carrière de ce quadragénaire qui ne s'arrête toujours pas de grimper, grimper, grimper...

Un projet réalisé pour la BLF, à Ghazir, inspiré du bunker. Photo Youssef Tohmé

Diplômé de l'École d'architecture Paris-Villemain, Youssef Tohmé s'est vu confier, en 2001-2002, l'étude du réaménagement de la gare d'Austerlitz chez Arep. L'année suivante, parachuté dans l'atelier du géant Jean Nouvel, il assiste à la conception de The Landmark au centre-ville de Beyrouth (projet temporairement mis en pause), avant d'être nommé chef de projet du musée du Louvre Abou Dhabi, dans sa phase préliminaire. Depuis 2013, le voilà en plein sous les projecteurs, pilotant le réaménagement du quartier de Brazza à Bordeaux – dont il devient également le commissaire de sa biennale d'architecture, d'urbanisme et de design en 2014. Et ce n'est pas tout. Son agence YTAA, née en 2008 de son association avec les architectes Roger Akoury et Anastasia Elrouss, a signé plusieurs réalisations en Europe et Moyen-Orient : le MARe Museum for Modern and Contemporary Art à Bucarest, et le complexe résidentiel Marina Alzorah, à Ajman, aux Émirats arabes unis.

Sur-mesure
Tout d'abord Brazza. Traçant les lignes directrices autour desquelles vont se greffer les réalisations d'une vingtaine d'architectes, il met en scène un quartier comprenant 4 500 logements, 70 000 mètres carrés de bureaux et autant pour des activités artisanales et semi-industrielles, ainsi que 20 000 mètres carrés de commerces, deux groupes scolaires, une crèche, un gymnase, une bibliothèque et les réserves des collections municipales. En quelques points, Youssef Tohmé livre sa conception de l'urbanisme.
« Le projet conçu n'est en rien la représentation d'un quartier fini et figé. La trame proposée laisse une marge importante pour intégrer les imprévus et prévoir des évolutions dans le futur, dit-il. Aujourd'hui, on ne peut plus travailler le territoire d'une manière générale. Il faut faire du sur-mesure. C'est sans doute ce qui a plu aux commanditaires du projet. »

Volume capable
Dans l'habitat, Youssef Tohmé a introduit la notion du « volume capable ». Il propose une hauteur de plafond de cinq mètres et livre le logement « non fini ». Non pas au sens où il serait « mal fini », mais plutôt ouvert pour être terminé. « En investissant, par exemple, dans un 100 mètres carrés, le client peut transformer son espace en 200 m2. Il achète donc un potentiel qu'il pourra exploiter librement sur deux niveaux et le faire évoluer avec le temps, selon son travail ou sa famille. Ce volume flexible, concept tout nouveau à Bordeaux, est un moyen de retenir l'usager sur place. »
La Garonne et la nappe végétale sont, par ailleurs, les générateurs du projet. « D'habitude, on construit un quartier, puis on pose un paysage à l'intérieur. Moi, j'ai inversé le processus », signale l'architecte-urbaniste, indiquant que dans Brazza, la frontière entre les projets immobiliers et le site paysager est brouillée. Le plan n'accorde aucune rupture.


(Pour mémoire : L'« Intensive Beyrouth » de Youssef Tohmé au débat de l'Agora)

 

Jongler avec l'ambiance
La même approche est proposée au Liban, où les projets de son agence YTAA se développent autour des thèmes comme « l'horizon, l'ambiance, le vide, la mobilité, l'enveloppe, le contraste et le paysage ».
Rejetant toute architecture standardisée, parachutée, que l'on peut mettre ici et ailleurs, l'agence conçoit l'architecture « comme espace unique, privilégiant plutôt la création d'une série de rapports entre le bâti, l'espace de vie et le contexte », tels que la villa T, la villa SC ou la villa VR, ainsi que le siège de repli de la banque BLF, la tour résidentielle au centre-ville A599, l'hôtel HAT au bord de mer, ou encore le nouveau siège de PSLAB à Achrafieh.
À Kornet Chehwane, la villa T de Roger et May Tohmé, accrochée à un relief escarpé, au milieu d'une forêt de pins, est quasi invisible en surface. Une baie vitrée de 50 mètres cadre une vue sur Beyrouth et la mer. « Sa structure étagée est constituée de trois grandes nappes de béton qui communiquent entre elles au moyen d'une rampe. La villa n'est qu'un intérieur où il est donné à vivre sans transition avec le dehors », dit Youssef Tohmé. Il signale que la chambre de 15 m de long et trois de large, et le séjour en long « avec des tensions », permettent d'aménager son sitting, en toute liberté. « Je procède presque à l'inverse de l'architecture dans le sens moderne du terme où tout est étudié. Moi, je donne des ambiances, des structures. »

Toucher les nuages
Plus haut à Akoura, la villa SC, habillée de pierre locale, se pose comme un rocher sur un promontoire, à 1 200 m d'altitude. Elle semble appartenir à la montagne, depuis toujours. Sa façade donnant sur le vide est entièrement ouverte et capte la vue sur le pic. « Son apparente proximité avec le ciel et les nuages la rend monolithique et irréelle. À l'intérieur, les mouvements ascensionnels sont privilégiés et son patio central amplifie les ambiances. »
À Halate, c'est une palmeraie qui constitue la trame principale d'un complexe hôtelier, avec plage privative. « Cette maille végétale fait office de filtre de lumière entre les chambres et trace les sillons de promenades interstitielles », explique Youssef Tohmé. Le projet offre une façade de 220 mètres linéaires, ouverte généreusement sur la mer. « Chaque unité de vie est contenue dans une coque en béton double hauteur ancrée dans le sable. »

Comme s'il se fend...
En cours de construction à Ajaltoun, la villa VR, qui présente un contexte topographique à fort dénivellement (-25 mètres entre la route et le point bas), a été le point de départ d'une réflexion à contre-pied : considérer le site comme une architecture très structurée et le bâti comme un terrain à courbes de niveaux en pente douce, explique Youssef Tohmé. « La structure en béton blanc précontraint est abordée dans la limite de sa flexion. » Prenant des airs de (deux) tentures, le toit dessine les contours de deux niveaux : le salon au niveau inférieur et les chambres à l'étage. De l'intérieur, il donne le sentiment de se fendre et de craqueler, laissant entrer par ses interstices la lumière naturelle.
Pour les architectes de l'agence YTAA, un appartement vit et évolue au fil des ans et de ses habitants. Ainsi, leur dernier projet en date, une tour résidentielle à Furn el-Hayek, décline des « appartements des possibles », qui appellent à l'invention et à l'imagination des hôtes. Cet espace, où aucun poteau n'interfère, est « le lieu de la liberté d'appropriation absolue », souligne Youssef Tohmé, expliquant que la tour présente un noyau central, des façades structurelles et une superposition de plateaux horizontaux libres en plan et en volume qui permettent de créer des typologies différentes d'appartements (simplex, duplex ou penthouse) et de composer un intérieur « selon les besoins et les rêves du client ». Quant aux façades, elles disparaissent derrière une ceinture de jardins-terrasses pour laisser apparaître une structure unie.
Il y a ceux qui conçoivent l'architecture comme un métier, exaltant souvent... Et il y a ceux, bien moins nombreux, qui l'appréhendent comme une philosophie. Plus encore : comme une façon de faire de la politique. Youssef Tohmé fait partie de ceux-là.

 

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