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Liban - Architecture

Bernard Khoury, rebelle et coqueluche des promoteurs

« Toute architecture est politique, mon architecture est contextuelle » : ce sont les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche de l'architecte, dont les réalisations, érigées en philosophie, sont le fruit d'une réflexion constante, et ne suivent aucune mode... Elles sont un coup de poing dans l'œil pour le paysage.

Un building structuré et solide.

Deux créations particulièrement avant-gardistes ont fait de Bernard Khoury un des architectes libanais les plus réputés, certes, mais aussi un des plus controversés. Cependant, on oublie que le concepteur de La Centrale et du BO18, mais également du Yabani, qui a souvent défrayé la chronique aussi bien au Liban qu'à l'étranger, n'a pas conçu que des boîtes de nuit et des restaurants. Bousculant les codes, imposant une nouvelle typologie des espaces résidentiels, il a parsemé le Grand Beyrouth de bâtiments dont les façades soulignées de noir sont devenues presque un label – aussi critiquées soient-elles. Aujourd'hui, le succès financier de ses constructions fait de lui la coqueluche des jeunes promoteurs.
Déterminé, l'architecte philosophe diplômé de Harvard, lauréat du prix Borromini en 2001, avance à grands pas, même sans Johnny (Walker) dont il a été l'un des ambassadeurs. Il enchaîne les commandes sous tous les climats : au Liban, en Arménie, dans les pays du Golfe, en Afrique du Nord et en Europe.
Dans un ouvrage intitulé Local Heroes, publié en Italie par les éditions Skira et préfacé par le critique et historien de l'architecture Luca Molinari, le patron de l'agence DW5 relate ses expérimentations et ses rencontres pendant les années d'exercice de son métier...


Disons que Local Heroes n'est pas une monographie au format conventionnel. Ce n'est pas ce qu'on appelle en anglais un « coffee table book ». Le livre, richement illustré, s'articule autour de quatre chapitres, mettant en scène une brochette de personnages, tels « The Art Collector », « The Broker », « The Son of the Dictator », « The Prime Minister », et autres protagonistes, qui ont accompagné l'architecte dans son parcours, et ont joué un rôle dans le contexte économique, social et politique de leur pays respectif. Car « mes projets sont les produits de situations, dont certaines virent au polar (mais ce ne sont pas des fictions), et il faut donc les comprendre dans leur cadre », explique Bernard Khoury, insistant sur le fait que « toute architecture est politique » et qu'architecture et contexte sont indissociables.
À travers quelques chapitres de son ouvrage, il confie à L'Orient-Le Jour sa vision de l'architecture...

 

L'histoire... zappée
Alors que l'architecture s'inscrit dans une logique de permanence, curieusement Bernard Khoury débute sa carrière avec des projets temporaires, c'est-à-dire à durée de vie limitée. Le chapitre intitulé « Best Before » (À consommer avant...), renvoie à ses premières interventions, toutes situées dans des zones « en convalescence », sur des parcelles qui n'avaient pas encore atteint leur maturité foncière ou n'avaient pas atteint leur exploitation maximale.
Écoutons-le : « Ces projets m'ont permis de prendre des positions audacieuses et de produire un type d'architecture spontané, radical et bizarrement beaucoup plus politique que les projets institutionnels. En signant le BO18 (dont la date d'expiration était novembre 2003, avant d'être repoussée et encore repoussée), je m'insurgeais contre le fait qu'on rasait une ville que je ne reconnaissais plus. Sans vouloir faire le procès de Solidere, la société immobilière a fait une sélection précise du patrimoine, en réhabilitant uniquement l'architecture levantine et celle du mandat. Quelques bâtiments de l'époque ottomane ont pu être sauvés mais toute l'histoire de la République a été zappée. Solidere a occulté toute la période postérieure à l'indépendance qui était aux avant-postes de la modernité. La ville moderne à laquelle Beyrouth aspirait dans les années 50, 60, 70 et qu'on lisait à juste titre sur ses façades a disparu. Plus aucune trace des œuvres de nos premiers modernistes. Toute une période a été nettoyée, stérilisée. Et cela s'est reflété bien au-delà de Solidere, dans la déchéance totale de ce que les architectes ont produit durant la période d'après-guerre. »
Il a donc essayé d'écrire une autre histoire de Beyrouth en marquant un rapport différent avec le passé récent, qui irait totalement à contre-courant des années 1990-2000. « C'était un acte politique, dit-il, beaucoup plus complexe, beaucoup plus fascinant, beaucoup moins sucré, peut-être beaucoup plus amer. Le hasard a voulu que cela soit fait à travers des boîtes de nuit et des restaurants, sur des parcelles portant les plaies flagrantes de la guerre. Mais cela m'a permis d'être le voyou qui pouvait prendre des positions beaucoup plus radicales, en dehors de l'establishment. » Bernard Khoury sera ainsi associé au spectaculaire et au sensationnel, aux « programmes futiles » et temporaires. Ce qui est aussi au cœur de la vie !

 

(Pour mémoire : Visite guidée du loft beyrouthin de Bernard Khoury)

 

Le revoilà « six pieds sous terre »
L'architecte passe ensuite à des réalisations dites « permanentes ». Là aussi, il se rebelle, menant son combat contre une typologie « désastreuse », imposée depuis quarante ans. « Une très mauvaise interprétation des recettes modernistes des années soixante. » Il explique qu'en sortant de l'ascenseur, un 15 août, à midi, vous devez allumer la lumière pour mettre la clé dans la porte. Les réceptions donnant sur la rue sont séparées des chambres par des corridors aveugles et mal ventilés. « Il y a d'un côté la ségrégation entre la réception et la famille et, de l'autre, la volonté de sceller carrément l'extérieur à l'intérieur en vitrant les balcons. Autant dire s'isoler encore plus de l'extérieur. Comme si la rue était devenue un environnement hostile. Or cela crée un tissu social très dangereux. Cela produit un mec qui n'ouvre plus ses fenêtres, qui ne connaît pas son voisin et qui n'est plus en rapport avec son quartier... J'ai passé le début de ma carrière à casser cette typologie et en sortant de ce schéma, j'ai été banni du résidentiel. Mais j'ai eu la chance de croiser et de séduire des jeunes promoteurs et aujourd'hui plus personne n'en nie le succès. » Offrant des espaces lumineux et une manière de vivre en harmonie avec l'environnement, ses appartements cartonnent sur le marché. Sans vouloir pavoiser, le capitaine de DW5 se dit très convoité par les promoteurs.

 

La course vers le ciel
Et quand on lui parle de sa tour Skyline, 90 m de haut, 24 étages, 13 000m², ce monument à l'allure défensive qui porte la marque de son architecture puissante, et de tous ces autres gratte-ciel dont l'ombre se fait pesante sur les quartiers, il rétorque : « C'est le résultat des conditions de la surface d'exploitation. C'est la faillite de la ville qui ne sait pas réguler la densité du tissu urbain. Et les réalités financières font qu'un promoteur va optimiser l'usage de son terrain au maximum, allant chercher les derniers mètres carrés qu'il a le droit d'exploiter. »
Par ailleurs, une sélection de 120 projets est consignée en index dans Local Heroes. Un chiffre énorme compte tenu de l'âge de cet homme qui porte haut ses idées et dont l'architecture reflète sa personnalité, directe, structurée et solide. Pourtant, on ne discerne dans le paysage aucun établissement culturel (théâtre, Opéra, musée), aucune structure civile ou projet public. « Ce n'est pas par hasard que j'ai ajouté cet index de 15 pages. L'objectif n'était pas de présenter mes réalisations mais de montrer que je travaille dans un contexte amer, où je n'ai pas droit à la commande publique. Parce que celui-ci est en faillite totale. Une faillite totale du projet nation. Quelle modernité peut exister dans un contexte où toute commande publique est bannie ? »

 

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Deux créations particulièrement avant-gardistes ont fait de Bernard Khoury un des architectes libanais les plus réputés, certes, mais aussi un des plus controversés. Cependant, on oublie que le concepteur de La Centrale et du BO18, mais également du Yabani, qui a souvent défrayé la chronique aussi bien au Liban qu'à l'étranger, n'a pas conçu que des boîtes de nuit et des restaurants....

commentaires (2)

Bernard Khoury mérite le maillot jaune ...du tour de Beyrouth de l'architecture......!

M.V.

09 h 46, le 01 avril 2015

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Commentaires (2)

  • Bernard Khoury mérite le maillot jaune ...du tour de Beyrouth de l'architecture......!

    M.V.

    09 h 46, le 01 avril 2015

  • Merci d'avoir explique aussi clairement Bernard Khoury et son architecture. Tres interessant.

    michele bibi

    05 h 32, le 01 avril 2015

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