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Liban - Tribune

Tribunal spécial pour le Liban : Quo Vadis ?

Un ancien Premier ministre de stature internationale est assassiné en 2005 ; une commission d'enquête internationale est mise en place la même année par la résolution 1595 du Conseil de sécurité ; un Tribunal spécial international (TSL) est institué en 2007 par la résolution 1757 ; la commission d'enquête travaille de 2005 à 2009 ; le tribunal entame ses travaux en 2009, son premier mandat de trois ans expire en 2012, son deuxième mandat expire en 2015, son troisième mandat est déjà entamé ; des commissionnaires viennent et s'en vont ; des juges sont nommés, décèdent, partent et sont remplacés ; des procureurs se succèdent ; des fonctionnaires internationaux font carrière à La Haye; des équipes d'avocats de la défense, que le tribunal paie, assurent la défense d'accusés qu'ils n'ont jamais rencontrés ; des centaines de millions de dollars ont été dépensés en dix ans, depuis 2005, dont la moitié supportée par le Liban. Et tout ça pour que cinq accusés « anonymes » soient jugés par défaut, sans comparution, dans une salle d'audience dépeuplée sans eux.

D'un côté, l'une des plus grandes et coûteuses machines judiciaires de l'histoire et, de l'autre, M. Salim Jamil Ayyash, M. Mustafa Amine Badreddine (alias Sami Issa ou Élias Fouad Saab), M. Hassan Habib Merhi, M. Hussein Hassan Onaissi (alias Hassan Issa) et M. Assad Hassan Sabra, jamais notifiés, probablement jamais sérieusement recherchés. Une Chambre de première instance composée de cinq juges, dont deux très courageux magistrats libanais, qui siège depuis des mois et voit défiler des témoins de différents calibres et valeurs, mais tous téméraires ; une Chambre d'appel qui se réunit parfois pour trancher des points de procédure, créant le droit au fur et à mesure de ses arrêts. Tout cela, pour quel bilan décennal ? Sans entrer dans les détails techniques, il est possible de faire part d'autant de déceptions que d'espoirs.

Des déceptions
Classique est l'affirmation selon laquelle « la justice ne peut être juste si elle tarde trop » (H. Lehman). Banal est l'adage de droit anglais « Justice delayed, justice denied ». Mais il ne serait pas possible de parler sérieusement du TSL sans s'interroger sur le sens d'une justice qui serait, éventuellement, rendue plus de dix ans après le crime.
Décevante est la souris que représentent les cinq accusés fantômes dont a accouché la montagne de travail de la commission d'enquête et des procureurs dans, respectivement, leurs rapports et leurs actes d'accusation, surtout que l'absence de ces accusés du banc du tribunal rend l'impact de ce procès encore moins frappant, donc moins utile. « Justice must not only be done, but must be seen to be done » : voit-on vraiment la justice être « faite » à La Haye dans l'affaire TSL-11-01 « Le procureur c. Ayyash, Badreddine, Merhi, Onaissi et Sabra » ?
Troublante, enfin, est l'exclusion, à ce jour, du champ de compétence du tribunal des autres assassinats et tentatives d'assassinat qui, aux termes de l'article premier du statut du TSL, pourraient entrer dans ce champ de compétence.

Et de l'espoir
En revanche, il ne faut pas manquer de relever que le Tribunal est toujours là et fonctionne à plein régime, malgré toutes les tentatives de sabotage dont il a fait l'objet : les arguments juridico-politiques soulevés par ceux qui s'y opposent ont été balayés par le tribunal lui-même et, avant lui, par le Conseil de sécurité ; le financement de la quote-part du Liban a toujours été assuré, quels que soient les gouvernements en place, moyennant parfois des procédés peu orthodoxes (passant par l'Association des banques ou par certains organismes publics totalement étrangers à l'affaire) ; les juges siègent malgré le danger ; les témoins comparaissent malgré les menaces publiques et directes ; les victimes sont représentées. La procédure suit un cours lent mais, semble-t-il, assez sûr et, étrangement, c'est de deux procès subsidiaires que l'espoir le plus fort jaillit.

Monsieur Ayyash et ses quatre compagnons n'intéressent vraiment pas grand monde. C'est ce qui est derrière et au-dessus d'eux qui constitue l'enjeu véritable. Pour ce qui est des supérieurs, personnes physiques, des cinq accusés, le paragraphe 2 de l'article 2 du statut du TSL les met déjà dans le collimateur du tribunal : le supérieur est pénalement responsable du crime commis par ses subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectif s'il savait que ces subordonnés allaient commettre ces crimes ou s'il a délibérément méconnu des informations qui l'indiquaient clairement. Donc, la remontée « verticale » de la compétence du tribunal vers les supérieurs de messieurs Ayyash et autres est possible pour avoir été prévue dans le texte fondateur du tribunal.

Plus intéressant encore est l'élargissement « latéral » de cette compétence : outre les supérieurs personnes physiques des accusés, ce serait peut-être l'organisation « personne morale » à laquelle ceux-ci se rattachent qui pourrait se voir attraire devant le TSL. Ce possible élargissement latéral de la compétence ne découle pas du statut mais de la « jurisprudence » que le tribunal est en train d'écrire sous nos yeux. En effet, dans les deux affaires d'outrage, au sens de l'article 60 bis du Règlement de procédure et de preuve, visant les deux médias libanais New TV SAL et Akhbar Beirut SAL et leur deux responsables, respectivement Mme Karma Mohammad Tahsin Khayyat et M. Ibrahim Mohammad Ali al-Amine, la Chambre d'appel a rendu deux arrêts d'importance majeure, les 2 octobre 2014 et 23 janvier 2015, dans lesquels elle a considéré que le délit commis peut être puni non seulement dans le chef des deux personnes physiques précitées, mais aussi dans celui des deux personnes morales. Cet élargissement latéral de la compétence du tribunal aux personnes morales dont dépendent les accusés personnes physiques est du plus haut intérêt dans l'affaire Hariri : les criminels sont donc les personnes physiques qui sont passées à l'acte, les instigateurs, les complices, les financiers, etc., mais aussi, éventuellement, leurs supérieurs ainsi que les « organisations » dont ils font partie. Les frontières géographiques, hiérarchiques et politiques sont donc effacées pour le plus grand bien de la justice.
Déceptions certes, mais espoirs aussi...

Nasri Antoine DIAB
Professeur des facultés de droit, avocat à la cour

 

 

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Un ancien Premier ministre de stature internationale est assassiné en 2005 ; une commission d'enquête internationale est mise en place la même année par la résolution 1595 du Conseil de sécurité ; un Tribunal spécial international (TSL) est institué en 2007 par la résolution 1757 ; la commission d'enquête travaille de 2005 à 2009 ; le tribunal entame ses travaux en 2009, son premier...

commentaires (4)

"Qui n'empêche pas Le Mal le favorise." ! Mahééék ?

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 48, le 17 juin 2015

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Commentaires (4)

  • "Qui n'empêche pas Le Mal le favorise." ! Mahééék ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 48, le 17 juin 2015

  • UN TRAIN... SANS RAILS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 02, le 17 juin 2015

  • En deux mots, Maître, le Tribunal n'est qu'une coûteuse mascarade et les crimes resteront impunis à jamais. Vanité, tout n'est que vanité... Farid Malak

    Rotary Beyrouth

    07 h 34, le 17 juin 2015

  • Merci pour cet article Maitre Diab.

    michele bibi

    05 h 26, le 17 juin 2015

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