« Ce qu'on constate ? Que la crise syrienne s'est normalisée. » Pierre Boulet Desbareau est le coordinateur d'Urgence Syrie pour Médecins sans frontières (MSF), basé à Bruxelles, et c'est avec une pointe de fatalisme qu'il décrit à L'Orient-Le Jour le « chaos humain » devenu presque « normal » dans le pays.
Il y a peu, alors coordinateur des projets MSF en Syrie, l'humanitaire a été confronté à la réalité du terrain et aux « débordements de panique dans certaines zones, faute de moyens ». Il met l'accent sur les conditions de travail extrêmement pénibles pour les équipes médicales qui sont en premières lignes, notamment depuis que les équipes internationales ont été contraintes de quitter le pays, suite à l'enlèvement de cinq membres du personnel, le 2 janvier 2014. Obligés de rester en périphérie, les coordinateurs régionaux ont dû adapter leur manière de travailler, en s'implantant au Liban ou en Turquie.
À défaut d'une présence dans les zones assiégées, MSF est la seule ONG à soutenir plus de 80% installations médicales syriennes opérant actuellement dans ces régions. Depuis le début du conflit, il a fallu instaurer un climat de confiance avec des médecins syriens, alors même que l'aide médicale est dans la ligne de mire des forces gouvernementales. « Les hôpitaux de campagne gérés par des médecins syriens subissent des attaques, des convois humanitaires sont ciblés ou détournés. Ils sont constamment obligés de se repositionner », relate l'humanitaire. Malgré cela, l'ONG tente de maintenir son soutien aux médecins, en les approvisionnant en matériel médical, « même s'ils doivent parfois opérer dans des caves, avec du matériel d'urgence, ou dans des hôpitaux de campagne montés à la hâte », renchérit-il.
L'organisation assure soigner tous les blessés gratuitement et de manière totalement impartiale, mais il lui est toujours impossible de se rendre dans les zones sous contrôle du régime, faute d'autorisation de Damas. « C'est très difficile pour nos équipes qui sont automatiquement qualifiées d'ennemis, car opérant dans des zones rebelles », confie l'humanitaire. Un bon nombre de médecins et infirmiers ont été contraints de fuir le pays.
Les filières d'approvisionnement ne sont évidemment pas dévoilées, mais M. Boulet Desbareau assure que MSF déploie tous les moyens nécessaires, en procédant à des contrôles réguliers, pour que le matériel médical soit livré à bon port. Des appels à des dons sont régulièrement lancés, même s'ils ont tendance « à s'essouffler », mais le financement de l'aide fournie par MSF en Syrie proviendrait de fonds privés.
Raids à Idleb
Ces derniers mois ont été dévastateurs pour la population civile du nord de la Syrie, et les derniers raids aériens dans la province d'Idleb, survenus hier ainsi que le week-end dernier, ne laissent aucun répit aux hôpitaux et aux cliniques mobiles soutenus par MSF. Les attaques de missiles ont provoqué l'afflux de plus de 130 blessés à l'hôpital de campagne le plus proche d'Idleb, soutenu par Médecins sans frontières. Aussitôt, un réapprovisionnement médical général de l'hôpital s'est mis en place, un drame d'une telle envergure ayant totalement vidé le stock de la pharmacie.
« Je peux à peine imaginer les conditions atroces auxquelles ces médecins et infirmiers ont été confrontés, observe le Dr Bart Janssens, directeur des opérations de MSF, dans le dernier communiqué publié par l'ONG. Nous savons d'expérience qu'un afflux de 40 blessés dans un hôpital bien équipé et suffisamment pourvu en personnel est un défi gigantesque. Mais ici, c'est le double de patients qui est arrivé en quelques heures, dans une structure de fortune où travaille une petite équipe médicale avec des ressources limitées. Comme beaucoup d'hôpitaux de campagne en Syrie, ils ont besoin de tout le soutien qu'ils peuvent obtenir. »
En mai dernier, près de 136 civils dont des enfants avaient été soignés pour troubles respiratoires, dus à trois attaques au gaz de chlore menées par le régime contre deux localités rebelles du nord-ouest du pays, rapportés par l'ONG.
Les populations vulnérables, encerclées de toutes parts, subissent quotidiennement des violences, et n'ont, pour la plupart, pas accès à l'aide la plus élémentaire. Bart Janssens indique qu' « il est toujours possible d'apporter de l'aide en Syrie, mais l'environnement est incroyablement difficile ». Cependant, il souligne que « des approches flexibles et innovantes sont nécessaires ».
« Renoncer face à l'adversité n'est pas une option pour nous, nous devons continuer à soutenir les réseaux médicaux syriens, comme nous le faisons actuellement pour plus de 100 hôpitaux et centres de santé, y compris dans les zones assiégées, en leur apportant un soutien régulier et une aide d'urgence », conclut-il.
Cet article a été modifié le 9 juin 2015 à 18h.
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« Il y avait des corps partout, sur les tables, dans les couloirs, sur le sol... »
À Idleb, en Syrie, le 5 juin 2015. Photo prise par un personnel de l'hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF) et tirée du site de MSF.
Témoignage
Le directeur d'un hôpital soutenu par MSF décrit l'horreur, après un raid sur Idleb.
Jeudi 4 juin 2015, un bombardement meurtrier secoue la ville d'Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie. Les victimes sont transportées vers un petit hôpital de campagne soutenu par Médecins sans frontières (MSF). Le directeur de l'hôpital, qui a accepté de témoigner sous le couvert de l'anonymat pour des raisons de sécurité, a raconté l'horreur à MSF :
« Les avions sillonnaient le ciel au-dessus de nos têtes tout l'après-midi. Nous attendions dans l'angoisse. Serons-nous les prochaines victimes ? Allons-nous devenir un numéro ?
« À 15h15, un avion de chasse a lancé trois roquettes sur un quartier très peuplé du centre-ville. Les immeubles résidentiels et les magasins ont été détruits en l'espace de quelques minutes. Tout a été transformé en décombres. Les cadavres jonchaient le sol, il y avait des morceaux de chair partout. C'était un vrai massacre, un carnage.
« Je ne trouve pas les mots pour décrire l'ampleur de la destruction. Un état d'hystérie s'est emparé de tout le monde : les familles qui cherchaient leurs proches, les voisins qui cherchaient leurs amis, et même nous, les médecins et infirmiers.
« Quelques minutes après le raid, notre modeste hôpital de fortune de 12 lits a commencé à recevoir des patients présentant des blessures horribles. Les appels aux secours ont remplacé les appels à la prière dans les mosquées, exhortant les gens à secourir les blessés sous les décombres.
« L'hôpital a vite été débordé. Il y avait des corps partout, sur les tables, dans les couloirs, sur le sol. Le personnel médical et les volontaires se frayaient un chemin entre les corps des blessés, faisant le maximum. Nous pouvions seulement soigner 80 patients, nous avons dû en renvoyer 50 : nous n'avions pas la capacité de traiter leurs blessures. Nous étions uniquement capables de soigner ceux qui étaient blessés par les éclats d'obus ou qui nécessitaient une amputation. Nous étions malheureusement obligés de refuser les personnes souffrant de problèmes neurologiques ou cardio-vasculaires parce que nous n'avions ni les ressources ni l'expertise nécessaires pour soigner ce genre de complications. Et le fait que nous soyons forcés de refuser des malades augmentait encore plus la pression sur notre équipe.
« Une femme est arrivée à l'hôpital à la recherche de son fils. Nous avons reconnu l'enfant grâce à sa description, mais il était déjà décédé. Dévastée, elle s'est effondrée en larmes, refusant de voir le corps pour l'identifier. Je lui ai alors amené sa chemise, je n'avais pas le choix...
« Il y avait du sang partout, mais nous étions en manque de réserves de sang. Des femmes et des hommes donnaient leur sang aux étrangers.
« À la tombée de la nuit, l'espoir de retrouver des survivants sous les décombres s'amenuisait. En tant que secouristes, notre principal souci est d'assurer le ravitaillement médical, de garder l'espoir, et d'être prêts pour la prochaine tragédie. »
(OLJ/MSF)
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Près de 50 civils tués dans des raids du régime sur un village d'Idleb
Des habitants d'Ariha, dans la province d'Idleb, fuyant les troupes d'al-Nosra qui se sont emparées de la ville le 28 mai dernier. Omar Haj Kadour/AFP
Au moins 49 civils ont été tués hier dans des raids aériens des forces gouvernementales sur un village de la province d'Idleb, dominée par les rebelles, selon un nouveau bilan de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
« Le bilan des morts dans le village d'al-Janoudiya, bombardé par l'armée de l'air du régime, s'est élevé à 49 civils, dont six enfants », a ainsi déclaré le directeur de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane. Les raids ont touché « une place publique, où beaucoup de gens se rassemblent d'habitude parce qu'il y a beaucoup d'échoppes », a-t-il ajouté, précisant que le village compte de nombreux déplacés ayant fui les violences dans d'autres régions. L'ONG a ajouté que des dizaines de personnes avaient également été blessées dans les raids, certaines grièvement, et d'autres étaient portées disparues.
Al-Janoudiya est sous contrôle rebelle depuis longtemps, mais ce n'est qu'au cours des derniers mois que la quasi-totalité de la province d'Idleb est tombée aux mains d'une coalition de groupes armés qui se fait appeler l'Armée de la conquête et comprend la branche syrienne d'el-Qaëda, le Front al-Nosra, ainsi que des groupes islamistes de la rébellion. Al-Janoudiya est situé au nord de la ville de Jisr el-Choughour, tombée aux mains de cette coalition le 25 avril, soit moins d'un mois après la chute de la ville d'Idleb, chef-lieu de la province éponyme. Le régime ne dispose plus que d'une poignée de positions dans cette région frontalière de la Turquie, notamment l'aéroport militaire d'Abou Douhour.
Auparavant, un couple et ses cinq enfants ont été tués dans la nuit de dimanche à lundi par une frappe de la coalition antijihadistes dirigée par les États-Unis sur la province syrienne d'Alep, d'après l'OSDH. La famille a été tuée dans un raid sur le village de Dali Hassan, dans le nord-est de la province septentrionale d'Alep. « Cela porte le bilan des civils syriens tués dans les raids de la coalition depuis le 23 septembre à 148 morts, dont 48 enfants et 32 femmes », rapporte l'OSDH qui dresse méticuleusement le bilan des morts de la guerre en Syrie. En mai, l'Observatoire avait rapporté la mort d'au moins 64 civils, dont 31 enfants, dans des frappes de la coalition fin avril sur le village de Birmahlé, également dans la province d'Alep. La Coalition de l'opposition syrienne en exil avait alors appelé à une enquête. Le Pentagone dément généralement la mort de civils dans les frappes de la coalition, malgré de nombreuses informations faisant état de la mort de non-combattants. Mais le 22 mai, le chef de la coalition internationale a reconnu pour la première fois qu'un raid en novembre dernier sur Alep avait tué deux enfants. Une enquête avait conclu qu'aucune erreur n'avait été commise.
(Source : AFP)
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Une opposition syrienne « élargie » tente de s'unir au Caire
Des représentants de l'opposition syrienne ont entamé hier une réunion de deux jours au Caire. L'idée de cette conférence sur la Syrie est de trouver une alternative à la Coalition de l'opposition – principal regroupement en exil soutenu par l'Occident et par des pays arabes comme le Qatar et l'Arabie saoudite, mais aussi par la Turquie –, notamment en l'élargissant à d'autres groupes et en la rendant « indépendante » financièrement et politiquement des puissances étrangères, selon Haytham Manna, un opposant de premier plan et l'un des coorganisateurs de la conférence.
Organisée par l'Égypte, cette « conférence élargie des forces de l'opposition syrienne a pour objectif de définir une vision représentant le spectre le plus large possible de l'opposition syrienne ».
Environ 150 représentants de différents groupes syriens ont assisté au discours d'ouverture du ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, dans un hôtel du Caire. Cette conférence « est juste un point de départ, nous allons travailler ensemble pour faire transmettre votre message et votre vision pour une solution politique à travers la Syrie, mais aussi le monde entier », a dit M. Shoukry.
Sont notamment présents des responsables du principal bloc de l'opposition syrienne toléré par le pouvoir, le Comité de coordination nationale pour les forces du changement démocratique (CCND), des membres de l'opposition en exil mais qui ne représentent pas officiellement la Coalition de l'opposition, ainsi que des chefs de l'Armée syrienne libre (ASL) – la rébellion dite modérée et appuyée par Riyad et Washington –, des responsables kurdes et des personnalités indépendantes.
Il y a deux semaines, M. Manna avait indiqué que la conférence devait « élire un comité politique, adopter une feuille de route et une charte politique » pour un regroupement qui s'appellerait l'opposition nationale syrienne. « La communauté internationale doit obliger le régime syrien et toutes les parties à se mettre d'accord sur une solution politique », a-t-il affirmé hier à l'AFP.
M. Manna avait promis le 23 mai que cette conférence du Caire donnerait naissance à une opposition « totalement différente » de l'actuelle coalition, une nouvelle opposition « syro-syrienne à 100 %, financée par nous-mêmes, téléguidée par personne avec un ordre du jour purement syrien ».
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