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Culture - Création

Et si la quadrature du « Troisième Cercle » était la charia ?

Quelle orientation prendrait l'art s'il était strictement appliqué selon la loi islamique ? Telle est la question qui a guidé les recherches de la chorégraphe Nancy Naous et du compositeur Waël Kodeih, qui se traduit par une performance musicale et corporelle, présentée ce vendredi 5 juin au théâtre Tournesol, à 21h.

Waël Kodeih.

« Imprégnées par l'histoire du Liban, les créations de Nancy Naous tentent de préserver son identité et son vécu tout en aspirant à dépasser l'appartenance géographique. Le « Troisième Cercle » ne déroge pas à cette règle puisqu'il part du constat qu'après les révoltes arabes, la référence à la charia a été mise en avant par un certain nombre de pouvoirs de façon très forte. » C'est ainsi que le MuCem (Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerrannée) décrit le travail de Nancy Naous, chorégraphe, danseuse et comédienne. Après avoir suivi des cours de danse classique, de jazz, de dabké, cette artiste plurielle a choisi la danse contemporaine, qu'elle a tout autant pratiquée, naturellement, pour nourrir et développer son travail, qui se tisse entre théâtre et danse. Ce qui l'a menée à fonder sa propre compagnie intitulée 4120.Corps. « Je travaille depuis plusieurs années sur la résonance des uerres dans le corps tout en essayant de développer un langage propre en m'appuyant notamment sur la dabké », explique l'artiste.
Quant à Waël Kodeih, auteur compositeur et interprète également connu sous le nom de Rayess Bek, il s'est révélé comme une figure majeure du mouvement rap et slam au Liban comme dans toute la région. Son Goodbye Schlöndorff, spectacle audiovisuel au cours duquel des lettres intimes retrouvées sur les cassettes, compositions musicales et mélodies acidulées se mêlent aux extraits du film Le Faussaire et de son making of, avait marqué les esprits.

Qu'est-ce que le « Troisième Cercle » ?
Nancy Naous : Le « Troisième Cercle » est une installation et une performance musicale et chorégraphique basées sur des entretiens menés au Liban avec nombre d'érudits musulmans, religieux et spécialistes du droit islamique. Après leur avoir présenté un extrait vidéo d'un enchaînement chorégraphique, Waël et moi les avons interrogés sur les modalités d'exécution de cette pièce conformément à la loi islamique. Il s'agissait d'identifier, pour la danse, comme pour la musique, ce qui est autorisé par la charia.
Dans l'islam, il y a 3 cercles principaux. Le premier est le cercle familial, le second est celui des « maharem » (pour les hommes : les femmes qui leur sont interdites au mariage, et pour les femmes : les hommes qui leur sont interdits au mariage), et le troisième est celui de la société, appelé « cercle des étrangers ».
Nous avons choisi ce dernier comme titre, puisque le public nous est étranger/interdit, et que nous lui sommes étrangers/interdits. J'avais pensé au 4e mur d'abord ; ce mur imaginaire qui sépare la scène des spectateurs. Après, en réécoutant les interviews, le « Troisième Cercle » semblait plus adéquat.

Quel a été le déclencheur de ce projet ? Et combien de temps cela a-t-il nécessité ?
N. N. : L'organisation al-Mawred al-Thaqafy (la ressource culturelle) a désigné 50 artistes de différents domaines dont elle a coproduit les projets au cours des 10 dernières années. Nous en faisions partie, Waël Kodeih et moi. Al-Mawred a demandé à chacun de nous de proposer un projet afin de le présenter dans le cadre du 10e anniversaire de la structure. Nous avons décidé de travailler ensemble et avons proposé ce projet qui a été sélectionné parmi les cinq finalistes.
Démarré en 2013, ce work in progress a donc été présenté au Caire en septembre 2014. Le projet a été ensuite élaboré et présenté au MuCem, à Marseille, en mars 2015, puis enrichi à nouveau. Cela a pris beaucoup de temps, surtout que l'interprétation est un mot-clé dans ce travail.

Comment avez-vous pensé aborder ce sujet épineux ?
N. N. : La motivation première est forcément liée au contexte géopolitique actuel dans le monde arabe. Au cours des dernières années, j'ai été très attristée et choquée par la violence et les actes barbares faits au nom de la religion, au nom de Dieu. J'ai abordé pour la première fois la question de la religion dans ma dernière création, These shoes are made for walking. Quelle action mériterait d'être exécutée au nom de Dieu : un acte violent ou une danse – cette même danse que l'on dit interdite à la femme musulmane ? C'est de là que tout a commencé.
Waël Kodeih : Qu'est-ce qui se passerait si, dans les pays arabes, la charia devenait l'unique source de droit ? Quel serait, entre autres, l'avenir de l'art surtout qu'après les révoltes arabes, plusieurs pays comme la Tunisie, l'Égypte et la Libye ont inséré dans leur constitution des dispositifs faisant référence à la charia ? C'est, à la limite, une recherche anthropologique.

Un projet à quatre mains ?
W. K.  : L'idée a surgi après de longues discussions et réflexions sur ce projet commun. Lors d'un déjeuner, au beau milieu d'un brainstorming, le sujet s'est imposé.
N. N.  : C'est Waël qui compose la musique de mes spectacles. Notre collaboration a commencé en 2008 avec Instant de chutes. J'aime bien son intuition musicale et sa manière de capter rapidement ce que je tente de lui expliquer – chose qui n'est pas évidente au début d'une création.
W. K. : Pour le « Troisième Cercle », la collaboration était différente. On a monté le projet à quatre mains. Il fallait aller vers l'autre et comprendre sa façon de créer.

Était-ce facile d'interroger les religieux ?
N. N. : Ce n'était pas difficile de pouvoir prendre un rendez-vous avec eux. Nous avons, de plus, eu recours à des personnes compétentes en la matière.
W. K. : Nous en avons interrogé une dizaine. Certains ont voulu se prêter au jeu, alors que d'autres étaient mal à l'aise, car une grande confusion règne sur ce sujet.

Une performance provocatrice ?
W. K. : Pas du tout. C'est un dialogue avec les religieux pour essayer de créer une plate-forme d'entente et de compréhension.
N. N. : Notre sujet est assez délicat, il va forcément provoquer quelques réactions. Mais la provocation n'a pas été notre moteur.

 

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OBSCURANTISME... MÊME DANS LES ARTS ?

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 09, le 03 juin 2015

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  • OBSCURANTISME... MÊME DANS LES ARTS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 09, le 03 juin 2015

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