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Liban - Liban

Sous le parrainage de Bkerké, Saydet el-Jabal dit « non » à l’alliance des minorités

L’éveque Youssef Béchara, représentant le patriarche maronite au séminaire de Fatqa, devant un parterre de personnalités chrétiennes et musulmanes. Photos Émile Eid

Jamais la finalité de la Rencontre de Saydet el-Jabal (Notre-Dame de la Montagne), celle de convertir l'action chrétienne en action nationale, n'a paru plus nécessaire ni plus complexe. Le défi n'est plus d'initier un combat souverainiste transcommunautaire, fondé sur des valeurs de partenariat national profondément assimilées, mais de tracer désormais une ligne directrice, salvatrice, qui neutralise le réflexe de crispation identitaire de minorités tourmentées par l'émergence d'une violence démentielle.

Le 11e congrès de Saydet el-Jabal, hier à Fatqa, qui a réuni des dizaines de personnalités de différents horizons sociocommunautaires, chrétiens et musulmans, a désavoué les discours sur la protection des chrétiens basée sur la théorie de l'alliance des minorités.

Le ton est dès le départ donné par l'ancien député Farès Souhaid, parrain du Rassemblement : « Ce ne sont pas des moyens exclusifs aux chrétiens qui les sortiront de leur peur, ni des moyens chiites purs qui briseront le monopole du Hezbollah sur sa communauté, ni une modération émanant exclusivement des sunnites qui limiteront le fanatisme dont ils souffrent. » Selon cette approche, il était erroné, « pour les maronites, de considérer que la présidentielle est strictement de leur ressort (...) et pour les musulmans de leur demander de s'entendre sur un président et de leur communiquer le résultat de leurs concertations », ajoute l'ancien député.

(Pour mémoire : Les Églises premières d'Orient, preuve d'un passé fondé sur le vivre-ensemble)

À la victimisation, au repli et à la peur, se sont ainsi substituées deux certitudes.
La première est l'incompatibilité de la citoyenneté et, avant tout, de la modération, avec la quête d'une quelconque protection au niveau de la communauté. Le problème que soulève l'ancien député Samir Frangié dans son intervention est, au contraire, celui de savoir « quelle action commune les chrétiens et les musulmans peuvent-ils mener pour protéger une nation qui menace de s'effondrer ? ».

Textes fondateurs de Bkerké

La seconde certitude est l'appui de Bkerké à des solutions nationales fondées sur le vivre-ensemble, présenté comme « modèle » pour la région : cet appui émane de textes élaborés par le patriarcat, en l'occurrence les documents conciliaires de 2006, que l'évêque Youssef Béchara, ancien parrain du Rassemblement de Kornet Chehwane et représentant hier le patriarche maronite Mgr Béchara Raï au séminaire de Fatqa, expose comme des « textes fondateurs du vivre-ensemble ».

Le choix de Bkerké de déléguer un éminent acteur de la lutte contre l'occupation syrienne, qui s'était retiré depuis 2006 de la vie publique, est doublement significatif : le parrainage par le patriarcat maronite de la rencontre de Saydet el-Jabal s'est rétabli sur la base d'une nécessité de parer au repli chrétien et de renouer avec l'esprit qui avait fait de l'Église maronite le fer de lance du rétablissement du binôme unité-indépendance face à l'occupation syrienne.

Sélectionnant, des documents conciliaires de 2006, un texte relatif à l'Église maronite et la politique, dont il donne lecture de certains extraits, Mgr Béchara déclare au préalable que leur contenu « a été repris par le document national élaboré par le patriarche Raï, et par les positions honorables et audacieuses du cardinal Nasrallah Sfeir pendant un quart de siècle ».

(Lire aussi : Al-Nawraj, pour aider les chrétiens à rester dans leurs villages...)

De la coexistence au vivre-ensemble

C'est dans le chapitre 3, relatif aux « défis », que Youssef Béchara puise ensuite des références « au vivre-ensemble, l'édification de l'État démocratique moderne et la réconciliation avec la politique ».
En traitant du vivre-ensemble, le texte dépasse la coexistence et la contrainte qu'elle connote : « Vivre ensemble est le sort des Libanais, mais il est aussi leur choix libre. » Et la définition qui en est donnée consacre l'individu : « Le vivre-ensemble dépasse le seuil de la cohabitation entre des groupes libanais : il s'agit d'un mode de vie par lequel l'homme a la chance d'interagir avec l'autre... sans abolir ses spécificités ni ses différences qui sont source de richesse pour tous. Ce mode de vie se base sur le respect de l'autre, unique, qu'il ne tend donc ni à éliminer ni à soumettre...Ce mode de vie est fondé sur le respect de la vie dans sa diversité et sa richesse. » Cette approche fait qu'en définitive, « aucune scission ne se produit au sein de l'individu entre les multiples appartenances qui composent son identité ».

La reconnaissance de l'identité plurielle de chaque individu se transpose sur la définition de l'identité libanaise. L'éditorialiste Ahmad el-Ghozz appelle, dans ce cadre, à rédiger un serment dont la prestation accompagnerait, comme dans d'autres pays, l'acquisition de la nationalité libanaise. Et c'est dans le premier message des patriarches d'Orient, repris par le document final de Saydet el-Jabal en 2013, que Ahmad el-Ghozz puise une ébauche de ce texte : « Les chrétiens sont une partie objective de l'identité culturelle des musulmans, tout comme les musulmans sont une partie objective de l'identité culturelle des chrétiens. » Il n'est donc pas anodin que le nom d'Ahmad Farès el-Chidiac, figure symbolique de cette appartenance civile dépassant tous les clivages communautaires, revienne souvent au cours du débat.

« La diversité, seule arme face au terrorisme »

Par ailleurs, le document de Bkerké a d'ores et déjà décrit le système qui doit servir de moule au vivre-ensemble : « L'État démocratique moderne, fondé sur une distinction franche, jusqu'à la séparation, entre la religion et l'État (...) ; la liberté et l'égalité dans les droits et les devoirs ; l'harmonie entre le droit de l'individu à l'autodétermination et le droit des communautés à disposer de leurs choix ; l'harmonie entre l'indépendance du Liban et la finalité de son entité, d'une part, et son appartenance arabe et son ouverture au monde, d'autre part », déclare l'évêque Youssef Béchara.

Préserver le vivre-ensemble et véhiculer « ce modèle », qui pourrait servir de repère aux pays rongés par les problèmes de gestion du pluralisme, relève à la fois de la responsabilité des chrétiens, notamment les maronites, et des musulmans, ajoute Mgr Béchara, toujours en citant les documents conciliaires. Ceux-ci devraient, en somme, servir de « référence non seulement aux acteurs politiques, mais aussi aux citoyens », conclut-il, préconisant une action qui commence par la base populaire.

Aux fins de cette action, Samir Frangié propose notamment de « soutenir les efforts de Bkerké pour combler la vacance présidentielle » et appelle à une « révision, par les chrétiens, des raisons du recul de leur rôle national depuis l'intifada de l'indépendance ». En outre, « préserver la religion de l'instrumentalisation politique qui justifie la violence » nécessite une « interaction islamo-chrétienne au Liban et dans le monde arabe », renforcée par « une position de la Ligue arabe en faveur du pluralisme comme seule arme de lutte contre le terrorisme ». L'idée selon laquelle les chrétiens devraient jouer le rôle de médiateurs de paix dans le cadre du conflit sunnito-chiite est également avancée.

Dans ses résolutions, Saydet el-Jabal amorce cette action sur l'affirmation claire du rejet du projet de « l'alliance des minorités » : « La protection des chrétiens ne se fait pas par le biais de l'alliance des minorités. » Elle réaffirme enfin « le refus, d'abord moral, de distinguer entre un terrorisme et un autre », et rappelle que « la majorité est autant victime du terrorisme que les minorités ».


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Jamais la finalité de la Rencontre de Saydet el-Jabal (Notre-Dame de la Montagne), celle de convertir l'action chrétienne en action nationale, n'a paru plus nécessaire ni plus complexe. Le défi n'est plus d'initier un combat souverainiste transcommunautaire, fondé sur des valeurs de partenariat national profondément assimilées, mais de tracer désormais une ligne directrice, salvatrice,...

commentaires (4)

La Rencontre de Saydet-el-Jabal à Fatqa (Kesrouan) a réuni des chrétiens et des musulmans en vue de trouver une solution à la crise libanaise. Le supplétif chrétien (sic) du Hezbollah n'a pas jugé utile d'y participer mais il a jugé opportun d'envoyer deux sous-fifres pour assister à la Course de la Dahyé sans participation féminine. Voilà dans quel gouffre se trouve le vrai/faux candidat "consensuel" (sic).

Un Libanais

15 h 26, le 01 juin 2015

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Commentaires (4)

  • La Rencontre de Saydet-el-Jabal à Fatqa (Kesrouan) a réuni des chrétiens et des musulmans en vue de trouver une solution à la crise libanaise. Le supplétif chrétien (sic) du Hezbollah n'a pas jugé utile d'y participer mais il a jugé opportun d'envoyer deux sous-fifres pour assister à la Course de la Dahyé sans participation féminine. Voilà dans quel gouffre se trouve le vrai/faux candidat "consensuel" (sic).

    Un Libanais

    15 h 26, le 01 juin 2015

  • ALLIANCE DES MINORITÉS... NON ! MAIS... CHACUN CHEZ SOI ET TOUS ENSEMBLE... COMME EN SONT CONSTITUÉ NOMBRE ILLIMITÉ DE GRANDS ET DE PETITS PAYS... Où RÈGNENT LA PAIX ET LA SÉCURITÉ... EST À SOUHAITER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 17, le 01 juin 2015

  • L'alliance des minorités est l'alliance de démagogies et de populismes sots. Ni plus ni moins.

    Halim Abou Chacra

    06 h 44, le 01 juin 2015

  • Qu’on prenne garde ! Il paraît hautement probable qu’un repli dans des Can(r)tons pareils replets mais croupions, crispés derrière leurs clôtures et leurs barbelés, n’irait pas sans quelques inconvénients pour les Maronitiques "nationaux-sociaux" et les Chïïtiques fakkîhdiots à la rigueur libanais éhhh ! C’est donc opportunément que des voix s’élèvent, cinglantes et saines, pour prévenir que la plupart des éminents acteurs du Maronitisme et du Chïïsme moderne, ceux qui compte participer à leur renouveau à l’intérieur et hors des frontières, ne se reconnaissent pas dans ce sectarisme purulent qui suinte dans leurs deux ou trois Cazas à cause de ce genre "minoritaire" Malsain en 8-là. Et que d’autres voix, tout aussi Saines, se joignent à elles pour dire leur malaise de voir tant de leurs concitoyens et "frèèères" glisser vers 1 telle Malsanité extrême, comme s’ils étaient aspirés irrésistiblement par l’énergie de ce sale fanatisme "minoritaire" vers le fond d’une fange ou d’1 sentine. Et voilà que la "Sainte" alliance spontanée entre ces Maronites et Chïïtes modernes et ces Sains Cédraies éhhh libanais, reçoit le renfort costaud de maints imams, ulémas et curés ; toutes tendances confondues ; parmi les plus avisés, qui montent eux aussi en ligne car peu enclins, yâ allâh, à se retrouver tête à tête avec des petits roués "minoritairez-alliés" retors, réacs, archaïques et rétrogrades de toutes obédiences fakîhàRienistes et bossfàRieniques pareils de tout poil ! Disons n'challâh.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 27, le 01 juin 2015

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