La chute de Ramadi a anéanti les efforts menés par le Premier ministre irakien Haider al-Abadi pour mettre sur pied une force multi-confessionnelle crédible afin de combattre le groupe jihadiste Etat islamique (EI), ont estimé des experts lundi.
M. Abadi, chef des forces armées, s'est efforcé avec le soutien des Etats-Unis de faire de la province d'al-Anbar une zone où des groupes armés émanant de tribus sunnites pourraient faire leurs preuves sous son commandement.
Sur bien des fronts, des milices majoritairement chiites ont mené le gros des combats lancés pour déloger l'EI des vastes pans de territoire qu'il a conquis en juin 2014 à la faveur d'une offensive fulgurante et d'une débâcle de l'armée. Une première unité de 1.180 combattants sunnites complètement intégrés au sein des Unités de mobilisation populaires (Hached al-Chaabi), une coalition paramilitaire anti-jihadiste, devait être officiellement investie lundi sur la base d'Habbaniyah, à l'est de Ramadi.
Mais cette base grouille désormais des combattants chiites des Hached, que le Premier ministre a appelés à la rescousse à contrecœur, après la prise de Ramadi par l'EI suivie d'une retraite chaotique de l'armée.
La tentative de faire coopérer combattants sunnites et chiites "est une erreur de calcul du commandant en chef" Abadi, estime l'expert irakien Ihsan al-Shammari. "Il voulait donner une voix aux Américains, et une plus grande place aux membres des tribus" (sunnites), explique-t-il.
"Mais quand on est en guerre contre des groupes extrémistes, on ne peut pas faire des calculs politiques ou élaborer un équilibre entre les pouvoirs internationaux et régionaux. Ce qui compte le plus, c'est de ne pas perdre de terrain", estime-t-il.
La défaite à Ramadi dimanche est le pire revers enregistré par les forces irakiennes depuis la débâcle de juin 2014 face à l'EI.
La coalition des Unités de mobilisation populaires vise à doter les combattants volontaires et les puissantes milices soutenues par l'Iran d'un statut légal et d'un commandement centralisé.
Le Premier ministre Abadi s'est efforcé de changer l'image de cette coalition, considérée comme un mouvement confessionnel chiite, et dont plusieurs membres sont accusés d'avoir maltraité la population sunnite.
Mais si les Hached sont officiellement sous le commandement de M. Abadi, celui-ci n'a en fait que peu de pouvoir sur eux, selon Ayham Kamel, directeur Moyen-Orient du cabinet d'analyse de risque Eurasia Group.
"C'est le premier véritable défi auquel est confronté l'autorité d'Abadi: il est sécuritaire mais aussi politique", souligne-t-il.
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Dépourvu de forces actives
Même le camp du Premier ministre est divisé car certains responsables, menés par son prédécesseur Nouri al-Maliki, remettent en cause sa stratégie sécuritaire.
Les principaux groupes composant les Unités de mobilisation populaire ne cachent pas aussi leur mécontentement.
La Ketaeb Hezbollah, l'une des principales milices chiites irakiennes, a déploré "la volonté du gouvernement de suivre la vision des Américains". Cela a retardé une intervention à Al-Anbar, où le groupe s'est finalement déployé pour ne pas "laisser pourrir la situation davantage", selon son porte-parole militaire, Jaafar al-Husseini.
Un autre groupe paramilitaire chiite important, Badr, qui dispose de plusieurs portefeuilles au sein du gouvernement irakien, a également estimé que la décision du Premier ministre de mobiliser les combattants chiites arrivait "plus d'un mois trop tard".
Selon l'expert Ayham Kamel, M. Abadi, arrivé au pouvoir en septembre, s'est montré trop ambitieux en lançant, en plein conflit, des réformes sécuritaires qui prennent habituellement des années, tout en essayant de ménager ses alliés américains et iraniens.
"M. Abadi a fait de grosses erreurs (...) Il s'est vraiment lié les mains en terme de stratégie à court terme. L'Irak s'est retrouvé dépourvu de forces combattantes actives", souligne-t-il.
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De ce fait, des groupes armés chiites soutenus par l'Iran se déploient en plein cœur du territoire sunnite, dans une province frontalière de la Jordanie et de l'Arabie saoudite, un scénario qui inquiète les adversaires de Téhéran.
Al-Anbar, que les troupes américaines connaissent bien pour y avoir mené certaines de leurs plus rudes batailles pendant leurs huit années d'occupation, était considéré comme étant dans la sphère d'influence des Etats-Unis. Ils y ont déployé des centaines de conseillers militaires dans la base d'Al Assad, d'où ils orchestrent des raids aériens quotidiens dans le cadre de la coalition dirigée par Washington contre l'EI en Irak et en Syrie. Le contrôle d'Al-Anbar est considéré comme stratégique par les groupes chiites pour sécuriser les sites les plus sacrés du pays, à Bagdad, Najaf et surtout Kerbala.
La présence de milices pro-Téhéran dans un bastion du groupe Etat islamique risque en outre de faire redoubler de combativité ce groupe sunnite ennemi juré de Téhéran, dont le chef Abou Bakr al-Baghdadi a mis l'accent sur cette province dans son message audio publié jeudi.
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09 h 26, le 19 mai 2015