Dans ce Moyen-Orient en flammes, tous les développements sont désormais liés. Du Yémen à la Syrie, en passant par l'Irak, la Libye et même les territoires palestiniens, chaque crise nourrit l'autre et ce sont les épisodes d'une même confrontation entre l'Arabie saoudite et l'Iran, mais aussi plus insidieusement entre l'Arabie saoudite et les États-Unis, accusés de vouloir conclure un accord défavorable aux Arabes avec la République islamique. Seul le Liban reste plus ou moins épargné par les remous pour des raisons propres à sa composition et à cause du fait que le rapport de force y est encore en faveur du Hezbollah. Par conséquent, toute déstabilisation au pays du Cèdre serait profitable à cette formation...
Selon une source diplomatique arabe à Beyrouth, l'Arabie saoudite a donc voulu réagir à l'imminence de l'accord entre l'Iran et la communauté internationale sur le nucléaire iranien en marquant en quelque sorte son territoire et son influence au Yémen. Les États-Unis auraient laissé faire pour permettre aux Saoudiens de laisser éclater leur mécontentement, tout en surveillant de près la situation afin d'éviter une guerre régionale. Les Saoudiens ont profité dans cette opération militaire – qui se poursuit en dépit de l'annonce de la fin de la « Tempête de la fermeté » – de la volonté iranienne de rester en retrait jusqu'à la signature de l'accord final sur le nucléaire prévue à la fin du mois de juin. Riyad a donc encore deux mois pour s'imposer comme une puissance régionale et avoir sa part dans le gâteau en voie de préparation. Ce souci de ne pas intervenir directement pour ne pas fournir de prétexte à un nouveau report de la signature de l'accord serait aussi l'une des raisons pour lesquelles les Yéménites hostiles à l'hégémonie saoudienne sur leur pays n'ont tiré aucun missile sur l'intérieur saoudien en dépit de la violence des bombardements aériens sur leurs villes.
En même temps, c'est dans le contexte des réactions régionales à l'accord sur le nucléaire qu'il faut, selon la source diplomatique arabe, situer la nouvelle offensive des forces de l'opposition syrienne dans le nord du pays. La source précitée affirme que le vice-héritier du trône saoudien, le prince Mohammad ben Nayef, s'est rendu le 6 avril à Ankara pour préparer cette offensive. Il était d'ailleurs accompagné de 20 officiers des renseignements saoudiens qui sont restés sur place, ou plutôt qui se sont installés à Antioche (non loin de la frontière syrienne) pour diriger la nouvelle salle des opérations militaires, qui regroupe des militaires saoudiens, qataris et turcs, dont les pays sont unis dans la même volonté de s'imposer dans la région face à l'influence grandissante de l'Iran. Ces trois pays ont estimé qu'ils n'ont plus le temps d'attendre que les États-Unis aient achevé d'entraîner des forces de l'opposition dites modérées et ils ont décidé d'agir rapidement.
D'ailleurs, le général américain Michael Nagata, chef adjoint des opérations spéciales contre le terrorisme au sein de l'armée américaine, qui avait été chargé d'entraîner l'opposition syrienne modérée, a démissionné, sans que cette décision modifie la volonté des Turcs, des Saoudiens et des Qataris de lancer une vaste offensive dans le nord de la Syrie.
Près des 10 000 combattants ont donc été envoyés à Idleb et Jisr el-Choughour, en provenance essentiellement de Tchétchénie et des pays du Caucase, et regroupés sous le nom de l'« Armée de la conquête ». Mais, en dépit de la propagande faite autour de cette armée formée en théorie des diverses factions de l'opposition syrienne, il s'agit désormais en Syrie d'une guerre ouverte de règlements de comptes régionaux, dans le but de s'imposer à la table des négociations entre l'Iran et la communauté internationale.
Selon la source diplomatique arabe à Beyrouth, l'objectif de la nouvelle offensive dans le nord de la Syrie est donc de revenir à la fameuse revendication d'Ankara de créer une zone d'influence à la frontière de la Turquie, tout en affaiblissant le régime de Bachar el-Assad pour l'amener à faire des concessions. Cette initiative est d'autant plus importante que les tentatives d'encercler la capitale Damas, par le sud à travers le Golan occupé et la Jordanie via Deraa, ont jusqu'à présent échoué, en dépit de l'aide fournie par les Israéliens qui ont frappé ces derniers jours des positions dites du Hezbollah dans le Qalamoun.
(Lire aussi : L'« Armée de la conquête », la coalition qui avance face au régime syrien)
Même la remise par la Jordanie du point de passage de Nassib à la frontière avec la Syrie aux combattants d'al-Nosra n'a pas donné les résultats escomptés sur le terrain. Elle s'est essentiellement traduite par une guerre médiatique et psychologique contre l'armée syrienne et ses alliés dans cette zone. Comme le laisse entendre la source diplomatique arabe, la « Tempête de la fermeté », qui n'est certes pas finie au Yémen, s'est aussi déplacée vers la Syrie où elle cherche à frapper les forces du régime et leurs alliés, après s'être concrétisée en une alliance de facto entre l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar qui ont réussi à surmonter leurs nombreuses divergences dans ce but. En Syrie et au Yémen, les combats sont appelés à s'intensifier au cours des deux prochains mois pour permettre à cette nouvelle alliance de marquer des points et de reprendre l'avantage, en profitant de l'inertie forcée de l'Iran pour cause d'ultimes négociations nucléaires. Toutefois, comme ils l'ont déjà prouvé à maintes reprises au cours de ces dernières années, les Iraniens ne réagissent jamais à chaud et prennent leur temps pour répondre aux attaques qui visent à les affaiblir... Les guerres dans la région ne sont donc pas sur le point de se terminer.
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commentaires (12)
Dans tous les cas de figure, le Liban restera le "barmil zbéli" (Tonneau-poubelle) des pays arabes et de l'Empire perse. Mais, hélas, le tonneau est débordé, les "zbélis" en dehors du tonneau sont dix fois plus que nombreux que son contenu.
Un Libanais
18 h 35, le 29 avril 2015