Dire que la ville de Jisr al-Choughour a été prise par les rebelles est une chose et dire qu'elle l'a été par le Front al-Nosra, branche d'el-Qaëda en Syrie, en est une autre. L'utilisation du terme rebelle connote quelque chose de positif dans le contexte syrien, et renvoie à l'idée d'une victoire de l'opposition contre un régime hyperoppressif. Au contraire, le nom al-Nosra fait référence à une organisation jihadiste et terroriste qui ne manque pas d'éveiller les pires craintes dans les esprits populaires. Pourtant, prises séparément, aucune de ces deux acceptions ne suffit à décrire la réalité plurielle et complexe de cet événement, en particulier, et de ce qui se joue en Syrie, en général.
Comme lors de la conquête d'Idleb, un mois auparavant, al-Nosra a pris la tête d'une coalition de groupes armés, au premier rang desquels figurent le groupe salafiste Ahrar al-Cham, pour s'emparer de la ville. Si les liens au niveau individuel entre les combattants d'al-Nosra et les autres groupes rebelles étaient connus de tous, cette alliance tactique a le mérite de rappeler que la logique de la branche d'el-Qaëda en Syrie répond, au moins partiellement, à un agenda local et s'inscrit effectivement dans une lutte contre le régime. Mais cela ne doit pas pour autant amener à nier la réalité de la nature et des objectifs de cette organisation : construire un émirat islamique dans les régions « libérées ». Si l'alliance avec les autres formations pourrait amener al-Nosra à modérer, au moins à court terme, ses projets, il n'empêche que c'est bien son drapeau qui flotte aujourd'hui au dessus des villes d'Idleb et de Jisr al-Choughour.
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Au-delà du débat sémantique sur l'utilisation ou non de la notion de rebelle, c'est surtout la façon dont les différents commentateurs du conflit syrien décrivent les évolutions de ces quatre dernières années qui pose problème. Car selon leur appartenance politique, les observateurs écartent, volontairement ou non, une des réalités du conflit. Ce dernier pourrait, de façon synthétique, se résumer en trois phases. La première, dont l'existence est niée par les pro-Assad, est marquée par une révolte populaire, laïque et démocratique contre un régime dictatorial. À ces demandes de réformes, le président syrien va répondre avec deux armes : la répression militaire et la confessionnalisation du conflit.
La deuxième, dont l'existence est niée par les anti-Assad, correspond au financement et à l'armement des acteurs au conflit par les puissances régionales dans le seul but de préserver leurs intérêts, sur fond de guerre froide entre l'Iran et l'Arabie saoudite. À la révolte pacifique des premiers mois se substitue une guerre ultraconfessionnelle entre d'un côté une armée, majoritairement alaouite, soutenue par les pasdarans iraniens, le Hezbollah et une multitude de milices chiites originaires de Syrie ou d'ailleurs, armés et financés par l'Iran, et de l'autre, des groupes islamistes sunnites, fréristes, salafistes et/ou jihadistes, principalement armés et financés par l'Arabie saoudite, via la Jordanie, la Turquie et le Qatar.
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La troisième correspond à la montée en puissance de l'organisation État islamique qui profite du chaos ambiant pour s'imposer comme une force vindicative et menaçante pour les différents groupes rebelles mais aussi pour les forces du régime. Cette phase est probablement la plus démonstrative de la subjectivité des commentateurs. Les pro-Assad présentent l'EI comme une organisation créée par les États-Unis et leurs alliés sunnites du Golfe alors que les anti-Assad y voient une nouvelle invention machiavélique du régime pour justifier la répression portée contre son propre peuple.
Si d'un côté, le régime avait effectivement conclu une sorte de pacte de non-agression avec l'EI, qui profitait alors aux deux parties, et si de l'autre, ce ne serait pas la première fois que les États-Unis et les puissances du Golfe financent des combattants jihadistes, dans les deux cas, les théories du complot semblent davantage utiles à servir les discours énoncés par les parties au conflit qu'à comprendre l'ampleur et l'étendue de ce phénomène jihadiste 2.0.
Quelle que soit l'évolution du rapport de force dans cette troisième phase, aucune partie ne semble en mesure de prendre définitivement le dessus sur les autres. Si le régime contrôle actuellement 50 pour cent du territoire et 2/3 de la population restante, sa stratégie ne semble pas tenable à long terme. De leur côté, le Front al-Nosra et ses alliés ont probablement profité de la récente réconciliation de l'Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie et de la possible coordination de leur politique en Syrie. En s'emparant de Jisr al-Choughour, ils se retrouvent à seulement quarante kilomètres du port stratégique de Lattaquié, bastion alaouite, dont la conquête aurait des conséquences majeures sur la suite du conflit.
Ces offensives pourraient être directement liées à la prochaine ouverture d'une quatrième phase, qui dépend plus globalement d'une période de détente entre l'Iran et les États-Unis, mais aussi entre Téhéran et Riyad, qui amorcerait de manière significative le temps des négociations.
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Pour mémoire
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UNE GUERRE EN CACHE UNE AUTRE l'Arabie saoudite a perdu en Syrie !! "" le refus de Riyad d'arrêter ses bombardements contre le peuple yéménite s'explique par le fait que les bensaoud cherchent à tuer le maximum de civils yéménites. En effet l'offensive s contre le Yémen a visé à récompenser la défaite bensoud à la fois en Syrie et dans le dossier nucléaire iranien . Ils s'efforcent en effet à exposer aux yeux de l'Iran NPR et de leurs adversaires leur puissance militaire , à déverser leur frustration après tant d'échecs politiques et psychologiques subis. mais qu'est-ce qu'ils ont obtenu au Yémen? après plus de 2500 raids menés contre les villes yéménites , causer la mort des milliers de personnes , femmes enfants adolescents, les saoudo se sont montrés incapables de réaliser un seul de leurs objectifs". Un expert syrien est revenu par la suite sur le cas syrien et a ajouté :" les milices bactérielles et leurs sponsors cherchent à changer la donne en Syrie, même en temps de prolongation car ils savent que la moindre entente entre l'Iran et les Etats unis influe directement sur le Moyen Orient et la Syrie. d'où une intensification des combats et des attaques de la part des terroristes . Or les bactéries et leurs soutiens ne peuvent pas ramener le temps en arrière . La Turquie et l'Arabie sentent plus qu'à tout moment le besoin de se tirer du bourbier syrien".
18 h 50, le 28 avril 2015