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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Les psychothérapeutes avant Freud – 2 –

En 1970, aux États-Unis, Henri Ellenberger publie Histoire de la découverte de l'inconscient. Ce fut une révolution dans le monde entier sauf en France où il n'intéressa que le monde psychiatrique, nous dit Élisabeth Roudinesco. Son opposition à Ernest Jones en fut en partie la cause. Pour lui, Freud n'était pas le seul pionnier de la découverte de l'inconscient. Pierre Janet, Carl Gustav Jung et Alfred Adler l'étaient tout autant que lui. De même, l'utilisation de l'inconscient en psychothérapie remontait à Franz Anton Messmer (1734-1815) et à son magnétisme animal qui fonda la première psychiatrie dynamique.
Ellenberger remonte très loin dans son travail historique et retrouve les ancêtres des psychanalystes chez les guérisseurs et les chamans. Ces derniers refusent la séparation entre le corps et l'esprit. Le guérisseur passe par une « maladie initiatique » qu'il se doit de surmonter pour pouvoir guérir les autres, dont on retrouvera l'équivalent dans l'analyse personnelle particulièrement exigeante du futur candidat analyste. Ellenberger appelle « maladie créatrice », la maladie des mystiques, des poètes et des philosophes et la compare à la « névrose de transfert » des patients et futurs candidats analystes.
Les conceptions d'Ellenberger mettent l'accent sur l'importance de la relation entre le thérapeute et le patient, reprenant une certaine conception de la médecine chère à l'Antiquité : soigner le malade et sa maladie et pas seulement sa maladie. Mais en même temps, elles vont plus loin : Le thérapeute doit passer par le même état malade que son patient pour pouvoir le guérir. Mieux encore, chez les guérisseurs, l'inconscient du candidat est mobilisé. En Afrique, chez les Bantous par exemple, raconte Ellenberger, au cours de la période de formation et d'initiation du futur sorcier, on exige du candidat de « confesser ce qu'il voit dans ses rêves ». Enfin, on attend pour former le candidat qu'il ait eu son premier rêve révélateur. Le parallélisme avec la formation des analystes est troublant : c'est l'inconscient du thérapeute qui sera l'élément moteur de la guérison.
Remontant le plus loin possible dans l'histoire de l'Humanité, Ellenberger établit une corrélation entre les différentes psychothérapies pratiquées et les différentes théories que nos ancêtres se faisaient de la maladie.
Ainsi, pendant le paléolithique inférieur, entre deux millions et 250 mille ans avant J.-C., dans l'Ancien Monde, la théorie de la maladie supposait une « pénétration par l'objet maladie ». La thérapie consistait donc en une extraction de cet objet maladie. Au paléolithique supérieur, soit entre 80 et 9 mille ans avant J.-C., dans la Sibérie, la théorie de la maladie supposait « une perte de l'âme ». Le traitement consistait donc en la recherche, le retour et la réintégration de l'âme perdue. Pendant l'Holocène, huit mille ans avant J.-C., dans l'Asie occidentale, la possession démoniaque et l'intrusion d'un esprit constituaient la théorie de la maladie. La thérapie consistait en une extraction mécanique de l'intrus et l'envoi du démon dans un autre être vivant. Plus récemment, c'est la violation d'un tabou qui constitue la théorie de la maladie et la confession provoquait la guérison. Enfin, c'est la sorcellerie qui représente la dernière des théories de la maladie et la contre-sorcellerie son traitement.
La formation du guérisseur joue le rôle principal dans la cérémonie de la cure. Elle n'est efficace que dans des conditions psychologiques et sociologiques déterminées : « C'est la confiance du guérisseur en ses propres capacités, la confiance du patient dans les capacités du guérisseur, le fait que la maladie, le type de traitement et le guérisseur doivent être reconnus par le groupe social qui jouent le rôle principal ». Enfin, ironie de l'histoire, le chaman doit faire partie d'une organisation qui a sa propre formation, ses écoles, ses règles strictes et ses rivalités avec les autres organisations. Le parallélisme est frappant avec le monde psychanalytique, du début de son histoire jusqu'à nos jours. Au Liban et partout ailleurs : rivalités, scissions et guerres ouvertes entre les différentes associations prennent le pas sur la recherche scientifique et discréditent le mouvement analytique. Au lieu d'une mise en commun du savoir de l'expérience, la férocité, bien plus la « frérocité » entre les frères, produit une jouissance sans fin.
Autant pour les anciens psychothérapeutes que pour les analystes aujourd'hui, la foi joue le rôle principal dans le pouvoir donné au thérapeute par le patient. Cette foi est surdéterminée par la croyance du groupe social en la personne du guérisseur plus qu'en sa technique. Appelée transfert par Freud, outil de la cure analytique, cette même foi transforme les associations analytiques en autant d'églises soumises au culte du chef et donne lieu à des manipulations de transfert indignes de la psychanalyse.
Nous verrons la semaine prochaine quelques-unes de ces cérémonies curatives qui mettent bien en évidence l'importance de la relation guérisseur malade, et l'implication subjective du chaman.

Chawki AZOURI

En 1970, aux États-Unis, Henri Ellenberger publie Histoire de la découverte de l'inconscient. Ce fut une révolution dans le monde entier sauf en France où il n'intéressa que le monde psychiatrique, nous dit Élisabeth Roudinesco. Son opposition à Ernest Jones en fut en partie la cause. Pour lui, Freud n'était pas le seul pionnier de la découverte de l'inconscient. Pierre Janet, Carl...

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