Le 13 avril 2015 n'était pas un jour noir. Quarante ans, jour pour jour, après le début de la guerre libanaise, les jeunes de l'association Offre-Joie s'inspirent de la Holi, la fameuse fête des couleurs hindoue, pour colorer le ciel. Et pour que la date du 13 avril ne sombre pas dans l'oubli. Hier dans l'après-midi, la commémoration réunissait responsables religieux, toutes confessions confondues, et 130 jeunes volontaires impliqués dans l'association, venus de tout le pays. Retransmis sur toutes les chaînes de télévision, chorégraphies, chants, discours et pièces de théâtre se sont enchaînés pendant plus d'une heure. Symboliquement, l'événement a eu lieu devant le musée national, sur la place qui servait de base des francs-tireurs pendant la guerre. Située sur la ligne verte, elle séparait Beyrouth en deux. Hier, cette place était celle d'un pont. Un pont entre les générations, entre les communautés, pour un « Liban pluriel, uni, libre et juste ».
Transmission de l'histoire
« Il est important que l'histoire soit dite et transmise de génération en génération », affirme Melhem Khalaf, l'un des fondateurs d'Offre-Joie. Pour faire passer le message devant un public enthousiaste et réceptif, l'association a mis en scène une pièce de théâtre, un dialogue entre une petite fille et son professeur. La fillette dit à ce dernier qu'elle ne connaît pas sa leçon d'histoire. Car lorsqu'elle parle du 13 avril à sa mère, celle-ci fond en larmes. L'enseignant se charge alors de lui raconter l'histoire de son pays pendant la guerre. S'ensuit une série de mises en scène, évoquant chacune un volet de la guerre. « On a beaucoup travaillé sur le texte, pour mettre l'accent sur la date du 13 avril et sur ses conséquences », poursuit Melhem Khalaf, qui a misé sur la dimension didactique de l'événement. « Nous y sommes allés de façon crescendo pour arriver à la consolidation de la paix civile. Le professeur commence par évoquer les victimes de la guerre, les vagues d'exode, puis le problème de la séparation entre les communautés. Enfin, nous terminons en évoquant le vide présidentiel. » Le message est clair : il faut que l'histoire se sache pour tourner la page et aller de l'avant.
Tourner la page
« À l'école, les cours d'histoire s'achèvent avec le mandat français, explique Gaëlle, une jeune impliquée dans l'association depuis les attentats d'Achrafieh en 2012. À la maison, nos parents n'en parlent pas. Il y a un décalage entre les générations. Je n'ai jamais connu la guerre qu'ont connue mes parents, mais je pense que nous avons tous besoin de la connaître pour aller de l'avant, ensemble. » En évoquant la masse de gens qui a fui le Liban dès la réouverture de l'aéroport, Gaëlle raconte avec regret que « la plupart des jeunes, dès qu'ils le peuvent, quittent leur pays. Mais il faut qu'on le reconstruise ensemble ! ». Autour d'elle, les jeunes – entre 15 et 30 ans – portent le même message. De confessions différentes, ils crient « non à la guerre ». Et selon Melhem Khalaf, « c'est essentiel que la jeune génération s'unisse pour éviter que l'histoire se répète. Le Liban doit bâtir son avenir, ce sont nos jeunes qui le crient ». Il avait lui-même 21 ans lorsqu'il a participé à la création de l'association. « On a volé mon enfance, on a violé ma jeunesse, raconte-t-il. C'était en 1985, j'avais déjà dix ans de guerre derrière moi. On aurait bien aimé dire, quarante ans plus tard : on a tourné la page. Mais on n'a pas réussi à le faire, la politique a échoué. »
Politique et confessionnalisme
Sur la façade du musée, un pont est dessiné. Il a la forme d'un découpage politique. À sa gauche, 128 chaises noires. À sa droite, un arc-en-ciel. Si le second évoque naturellement la force de l'union entre générations et communautés, le premier représente les députés qui sont dans « l'incapacité à élire un nouveau président ». Il s'agit également de « dénoncer le prolongement de leur mandat ». En plus des travers politiques, le confessionnalisme est pointé du doigt. « Nous avons un message très clair : libérez la religion du confessionnalisme ! » En cela, la présence d'une dizaine de responsables religieux, toutes confessions confondues, était emblématique. Ceux-ci ont chanté en chœur, une branche d'olivier dans la main, une prière commune, « un texte écrit ensemble », explique Melhem Khalaf, avant de spécifier qu'ils ont tous été invités « à se réunir autour d'une table, à l'Université Saint-Joseph ».
L'un d'eux, représentant la religion catholique, dit n'avoir « pas hésité à participer à l'événement », et ce depuis plusieurs années. D'après le dignitaire religieux, « avant la guerre, la séparation entre les communautés n'existait pas de façon aussi profonde et radicale. Chacun vivait l'un avec l'autre en paix. Aujourd'hui, on nous demande à quelle religion on appartient, avant même de savoir si on est libanais. C'est bien différent dans les autres pays. Pourquoi, nous Libanais, nous n'arriverions pas à surmonter cette barrière ? », s'interroge-t-il avant de se cacher des pigments de couleurs que s'envoient les jeunes de l'association. À l'image de la Holi, on voit dans le ciel du vert pour l'harmonie, du bleu pour la vitalité, du rouge pour la joie et l'amour. Et de l'orange pour l'optimisme.
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