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Liban - 40e anniversaire de la guerre libanaise

Ce cheminement vers la réconciliation que très peu osent...

Le général Khalil Hélou.

Ancien phalangiste, de 1975 à 1981, le général Khalil Hélou s'est enrôlé dans l'armée en 1984 en tant qu'officier spécialiste. Cette première prise de conscience sera celle de l'allégeance aux institutions, « seules capables de résoudre les conflits », selon lui. Conseiller du ministre de la Santé sous le gouvernement du général Michel Aoun, il supervise, à partir du poste de Mar Roukoz, le soin des blessés de l'armée et l'enrôlement des volontaires qui participaient aux combats contre les Forces libanaises à Kleyate. Avec la fin de la guerre, son allégeance à la troupe sera tenue à l'écart de toute affinité politique déclarée. Mais son cheminement de l'après-guerre sera marqué par une seconde prise de conscience, comme un sursaut intime par lequel l'émotion extériorisée devient action : sa rencontre avec l'ancien cadre des Forces libanaises, Raymond Nader, qui venait de fonder en 2007, avec d'anciens combattants de l'armée et des FL, le mouvement Liban-Message, dans le but d'initier le dialogue entre les deux parties. Cette rencontre, qui aura lieu à la demande de Raymond Nader, par le biais d'un intermédiaire, sera le premier contact direct du général Hélou avec un combattant des FL.

Le général Khalil Hélou confie à L'Orient-Le Jour « la complexité » de la situation où il se trouvait à cet instant : « J'avais envie de tendre la main, mais je pensais aussi au sang de mes camarades. Je pensais à Bassam Gergi, dont le père m'appelle jusqu'à ce jour pour parler de son fils. Je revoyais Saïd Yammine, sa veuve et ses enfants... » Ces tiraillements prendront fin dès qu'il se trouvera face à son interlocuteur, au faciès affable. « Nous partagions la même volonté de faire quelque chose, d'obtenir un résultat, nos combats s'étant avérés stériles », dit-il.

Des cercles de dialogue
C'est après sa retraite, il y a trois ans, que le général Hélou adhérera au mouvement Liban-Message, dont il est l'actuel vice-président. Ce mouvement organise des cercles de dialogue, ouverts au public, entre d'anciens partisans des FL, du CPL et de l'armée, en mettant en face à face leurs témoignages sur un même événement : ainsi, deux cadres des Forces libanaises et un officier de l'armée sont revenus, devant un parterre de 350 personnes à la paroisse de l'église de Baabda, sur des combats qu'ils avaient menés, l'un contre l'autre ;
de même, 400 personnes sont venues écouter, au Batroun, les témoignages opposés (mais tellement complémentaires) de deux partisans respectifs du CPL et des FL ; une rencontre similaire a eu lieu ensuite à Bauchrieh, et une autre est prévue prochainement à Kleyate ; entre les deux, à Aïn Saadé, « le général Toufic Melhem a pleuré et fait pleurer le public avec lui », explique le général Hélou, révélant ainsi toute l'ardeur d'un contact direct avec le passé, que lui-même a d'ailleurs entamé graduellement.
Il y a un an, en effet, écouter le général Hélou laissait, chez son interlocuteur, l'impression d'être bloqué dans un passé qu'il tente de surmonter. Il évoquait ainsi l'ouverture qui « s'impose » envers un « autre » pourtant différent. Ce discours avait néanmoins le mérite d'oser l'introspection, ce préalable nécessaire au travail de mémoire. Il apprendra ensuite, « par l'observation et l'écoute », à abattre la crainte pernicieuse de l'autre.

« Tous sont fautifs »
Se tourner vers son passé implique une reconnaissance des souffrances de l'autre, suivie d'une identification de soi avec d'anciens ennemis, presque une compassion, où mûrit, lentement, une perception humaine, libérée des stigmates, où l'autre devient nous. Comprendre ainsi la similarité dans la différence, c'est reconnaître la richesse du Liban dans sa diversité.
C'est à ce niveau, plus serein, que semble se situer aujourd'hui le général Khalil Hélou.
Cette maturité transparaît à travers l'approche identique qu'il a de lui-même et de ceux contre lesquels il avait combattu. « Tous sont fautifs », souligne-t-il, en faisant remarquer qu'il ne fait pas son mea culpa et « ne se livre nullement à l'autoflagellation ». Il se démarque ainsi des anciens miliciens chrétiens qui ont déclaré leur repentir, se posant presque comme les seuls coupables des violences. Leur repentir serait de ce fait assimilable à un slogan de paix, auquel manque une vision globale du passé, pourtant nécessaire pour un dialogue efficace.
« J'ai combattu avec une grande conviction. Si je devais retourner à cet instant du passé, je referais la même chose, puisque mon combat était un combat de survie », souligne Khalil Hélou.
Mais il est loin de s'aligner sur les positions des actuels « va-t-en-guerre » qui se disent prêts à reprendre les armes « mais n'ont pas la volonté de le faire ». D'ailleurs, « cette volonté manque aujourd'hui aux leaders », relève-t-il.
L'enjeu de dialoguer sur le passé n'est donc pas lié au risque d'une guerre imminente, mais il est le corollaire, qu'on ne peut contourner, d'une paix qu'on choisit de faire avec soi-même, jusqu'au bout.

Ne pas oublier
La méthode que préconise Khalil Hélou est simple : « Parlons honnêtement. »
S'il a du mal à envisager « un autre moyen de construire des ponts », il reconnaît paradoxalement que « cette approche est loin d'être appuyée par la majorité ».
Il relève que « depuis 1975 pas une seule action n'a été entreprise au niveau sociétal pour un dialogue franc ». Il s'attarde sur un élément, souvent bien dissimulé, qui vicie l'examen du passé : le mensonge. Ainsi, « dans les salons monochromes, le discours sur la guerre diffère des propos tenus en public ». Très peu osent revenir sur les détails de ce qu'ils ont vécu. La période de la guerre n'est pas à revisiter. La mémoire se résume à des appels superficiels à l'acceptation de l'autre. C'est-à-dire à l'oubli enrobé d'engagements de pure forme pour la paix.
Ce modus vivendi prévaut au niveau de la caste politique. Même si des efforts ont été déployés par certaines autorités politiques, comme les excuses publiques de Samir Geagea et l'action de Walid Joumblatt pour le retour des chrétiens déplacés du Chouf, Khalil Hélou les juge « insuffisants et incomplets ». Ces initiatives doivent être poursuivies et nécessitent pour ce faire non pas une volonté politique, mais citoyenne. « Il y a une envie certaine de parler, de raconter le vécu de guerre, chez ceux qui ont vu les corps de leurs camarades en pièces, ou agonisant dans leurs bras », estime-t-il. Si le mutisme continue de prévaloir, c'est que cela semble plus facile.

Les acteurs de Liban-Message ne semblent épargner aucun moyen pour rompre le silence. Ainsi, à l'occasion d'une rencontre au domicile du général Antoine Karim, qui œuvre également pour la réconciliation, Raymond Nader identifie un ancien partisan du Parti syrien national social, un druze originaire de Aley. « C'est moi qui vous bombardais lors des combats de Aley (entre Forces libanaises et PSP). Vous permettez que je vous embrasse ? »
lui a demandé le fondateur de Liban-Message. « Son interlocuteur était sidéré », rapporte Khalil Hélou. Même si, après cet instant inattendu, des échanges ont eu lieu, il ne lui a jamais répondu, ni par la négative ni par l'affirmative, à sa demande de pardon.
C'est dire à la fois la complexité du processus de réconciliation et le mérite des initiatives spontanées d'aborder l'autre, fussent-elles superficielles. « Le pardon suppose de ne pas oublier. L'oubli est inconciliable avec le renouveau et la renaissance », conclut-il.
L'on comprend pourquoi il juge « le dialogue actuel entre les deux leaders des FL et du CPL, par l'entremise de deux émissaires, peu authentique et carrément... révoltant ».

 

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Ancien phalangiste, de 1975 à 1981, le général Khalil Hélou s'est enrôlé dans l'armée en 1984 en tant qu'officier spécialiste. Cette première prise de conscience sera celle de l'allégeance aux institutions, « seules capables de résoudre les conflits », selon lui. Conseiller du ministre de la Santé sous le gouvernement du général Michel Aoun, il supervise, à partir du poste de...

commentaires (2)

TOUS SONT FAUTIFS... TOUS SONT TOUJOURS LÀ... ET DE NOUVEAUX ÉNERGUMÈNES S'Y SONT AJOUTÉS... PAUVRE PAYS ! PAUVRE PEUPLE LIBANAIS !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 01, le 14 avril 2015

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Commentaires (2)

  • TOUS SONT FAUTIFS... TOUS SONT TOUJOURS LÀ... ET DE NOUVEAUX ÉNERGUMÈNES S'Y SONT AJOUTÉS... PAUVRE PAYS ! PAUVRE PEUPLE LIBANAIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 01, le 14 avril 2015

  • Ce que je ne comprends pas c'est le fait que beaucoup de ces gens la prétendent vouloir la réconciliation, prétendent vouloir par le dialogue reconstruire ce qui a était détruit et panser les blessures du passé, mais refusent de reconnaître qu'ils était eux même dans le faux en diluant leur culpabilité sous des slogans du style "Ils ont tous eu tort", "Ils sont tous fautifs" etc... Et rajoutent "Si c’était a refaire j'aurais fais la même chose". En fait, si je comprends bien, a travers le soi-disant dialogue, ces messieurs essayent tout simplement de rejeter la faute sur les autres sans sentir le besoin de s'excuser ou montrer un certain remord pour les malheurs que leurs actions ont causé. Pour panser les plaies et les blessures, il faut dire la vérité, toute la vérité sans jeux de mots et sans hypocrisie et reconnaître SES erreurs sans chercher a en faire porter le fardeau sur les autres!

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 45, le 14 avril 2015

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