En condamnant le "génocide" des Arméniens sous l'Empire Ottoman, le pape François a voulu défendre les chrétiens persécutés aujourd'hui, au risque de se brouiller avec la Turquie, acteur influent pour la paix au Moyen-Orient.
Quand, un siècle après ces grands massacres, il a prononcé dimanche dans la basilique Saint-Pierre le terme de "génocide" pour les qualifier, le pontife argentin était sûr de toucher une communauté chrétienne au destin tragique.
"Le chemin de l'Eglise est la franchise, elle doit dire les choses avec liberté", a observé le pape lundi dans son homélie au Vatican. "Là où il n'y a plus de mémoire, le mal tient encore la blessure ouverte", avait-il insisté dimanche en élargissant son propos à l'actualité des violences contre les chrétiens, de la Syrie à l'Irak et du Nigeria au Kenya.
"Nous sommes en train de vivre une sorte de génocide causé par l'indifférence générale. Nos frères et sœurs sans défense, à cause de leur foi dans le Christ ou de leur appartenance ethnique, sont publiquement et atrocement tués (... ou) contraints d'abandonner leur terre", a-t-il rappelé.
Selon l'ONG chrétienne Portes ouvertes, plus de 150 millions de chrétiens souffrent de persécutions dans le monde. François avait dénoncé à Pâques le "silence complice" de certains dirigeants occidentaux et musulmans. En franchissant le pas sur le "génocide" arménien, le pape était certain de s'attirer les foudres d'Ankara, qui récuse formellement le terme et qui a aussitôt rappelé son ambassadeur, provoquant une crise majeure pour la diplomatie vaticane.
Lors de son voyage en Turquie en novembre, François avait évité de prononcer le mot "génocide". Selon une source informée, le président turc islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan en avait fait une condition de sa visite. Ankara a d'ailleurs vivement réagi dès dimanche en accusant le souverain pontife d'avoir tenu des propos "inappropriés".
Pour les Arméniens, 1,5 million des leurs ont été tués de manière systématique à la fin de l'Empire Ottoman. La Turquie affirme qu'il s'agissait d'une guerre civile doublée d'une famine.
Implications géopolitiques
Pour l'éditorialiste du quotidien catholique français La Croix Isabelle de Gaulmyn, si François a donné "une certaine solennité à cette commémoration du génocide arménien, ce n'est donc pas pour le plaisir de raviver une polémique historique" mais pour que le souvenir de cette tragédie épargne à l'humanité de "retomber dans des horreurs semblables".
Le pape François s'intéresse à la question arménienne depuis l'époque où il était archevêque de Buenos Aires, rappelle la vaticaniste du quotidien Il Messaggero Franca Giansoldati, selon qui il est fondamental de "restaurer la mémoire commune, passage fondamental pour arriver à la paix".
Andrea Ambrogetti, vaticaniste de Korazym.org, estime en revanche que François a eu le tort de "faire le choix du cœur, plus que de la raison politique": "Parler de génocide a des implications géopolitiques. Il aura pu parler seulement du martyre des Arméniens chrétiens".
En novembre, la visite du pape en Turquie s'était soldée par un dialogue de sourds, François se faisant l'avocat d'une alliance des religions contre le terrorisme tandis que les autorités d'Ankara dénonçaient l'islamophobie.
En Turquie, où le christianisme est arrivé très tôt, les chrétiens sont devenus une petite minorité aux droits limités, même pour le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée, grand ami du pape François.
Le vaticaniste Andrea Tornielli rappelle que les catholiques y subissent des persécutions, comme l'évêque Luigi Padovese, assassiné en Alexandrette en 2010.
"Ces tensions n'aident certes pas au plan géopolitique, alors que la Turquie a à ses frontières le califat autoproclamé" de l'Etat islamique (EI), observe encore Andrea Tornielli sur le site Vatican Insider.
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20 h 25, le 13 avril 2015