L'accord de principe entre les pays dits 5 plus 1 et l'Iran sur le dossier nucléaire a eu beau mettre au second plan la guerre contre et au Yémen, celle-ci reste une actualité sanglante. Selon une source diplomatique, le Yémen serait même la première victime de l'accord sur le nucléaire, tant ce qui s'y déroule est tributaire des développements régionaux et internationaux.
Un ancien député yéménite, cheikh Sultan Assaméi, qui a longtemps été persécuté par le parti de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, actuellement au Liban, a une lecture particulière de ce qui se passe dans son pays. Il précise tout d'abord que, contrairement à ce que montre la carte, le Yémen est un grand pays, même s'il semble écrasé par la superficie de l'Arabie saoudite. Il compte officiellement 30 millions d'habitants, mais ils pourraient être plus nombreux, car, dans les montagnes, comme le signale l'ancien député, on ne compte pas les femmes... (il faut préciser que l'Arabie saoudite, en dépit de son immensité, ne compterait pas plus de 17 millions d'habitants, mais avec près de 8 millions d'étrangers). Les houthis (des zaidites) forment près de 33 % de cette population, dont plus de la majorité est malheureusement illettrée. Le Yémen est en effet le pays le plus pauvre du monde arabe.
L'ancien député ainsi qu'Ibrahim al-Dilmi, directeur de la chaîne de télévision al-Massira (l'une des deux chaînes qui n'ont pas encore été fermées par les bombardements de la coalition), précisent que les relations entre le Yémen et l'Arabie ont toujours été conflictuelles, et le royaume wahhabite a toujours considéré le Yémen comme sa chasse gardée, voire son arrière-cour, avec toujours pour souci d'isoler et de persécuter les yazidites. C'est ainsi que, lorsque « le printemps arabe » est arrivé au Yémen, il a été rapidement étouffé par ce qu'on avait appelé à l'époque « l'initiative du Golfe » qui était essentiellement saoudienne. Cette initiative qui prévoyait une sorte de transition du pouvoir. Elle décidait en même temps un découpage administratif du pays qui étouffait les yazidites. Ceux-ci ont donc mené la révolte contre ce projet, et alors qu'ils gagnaient du terrain dans le pays, l'Arabie saoudite a décidé de réagir. Il est faux de prétendre que l'Arabie saoudite a créé cette coalition après l'appel du président yéménite démissionnaire Abd Rabbo Mansour Hadi, puisque celle-ci a commencé ses frappes au lendemain de la lettre adressée par Hadi au Conseil de coopération du Golfe. Autrement dit, la coalition était préparée à l'avance, et l'opération « Tempête de la fermeté » avait, selon Assaméi et al-Dilmi, plusieurs objectifs. Il s'agissait essentiellement d'écraser les yazidites, qui se font désormais appeler Ansarullah, et surtout les empêcher d'atteindre Aden et Bab el-Mandeb, qui, avec le détroit d'Ormuz, constituent le point de passage du pétrole du Golfe. Or si Bab el-Mandeb est aux mains d'Ansarullah, ce groupe deviendra maître du passage du flux pétrolier, ce qui pourrait mettre en cause la stratégie saoudienne de production de 10 millions de barils par jour pour mettre en difficulté économique la Russie et l'Iran. La bataille de Aden et de Bab el-Mandeb est donc stratégique aussi bien pour le Yémen que pour l'Arabie saoudite et les pays du Golfe. Les Ansarullah sont en train de gagner du terrain et mettent ainsi en échec les plans saoudiens.
L'opération militaire au Yémen avait aussi d'autres objectifs. Il s'agissait ainsi de resserrer les rangs du Conseil de coopération du Golfe à la veille de la conclusion de l'accord sur le nucléaire pour éviter que les pays membres de ce Conseil décident chacun de son côté d'améliorer ses relations avec l'Iran, sans tenir compte des autres. De plus, les nouveaux hommes forts du régime saoudien, les émirs Mohammad ben Nayef (ministre de l'Intérieur) et Mohammad ben Salmane (ministre de la Défense), avaient besoin de s'imposer sur le terrain, surtout qu'au royaume wahhabite on n'est pas encore habitués aux responsables jeunes et que les deux émirs ont besoin de faire taire d'éventuelles voix contestataires au sein même de la famille royale. Enfin, il fallait aussi, à travers la guerre contre Ansarullah et leur affaiblissement, porter un coup à la République islamique d'Iran. Un peu comme l'invasion puis la prise de Mossoul par Daech en juin dernier étaient destinées à affaiblir l'Iran et briser l'axe qui relie Téhéran à Bagdad et Damas. Les deux personnalités yéménites précisent que, sans l'Arabie, qui a construit au cours des dernières années plus de 5 000 mosquées dans le pays, les Yéménites ne connaissaient pas les dissensions confessionnelles. Mais les mosquées sont devenues des lieux de division avec des prêches incendiaires contre les autres factions de la population. Toutefois, l'ampleur des frappes de la coalition menée par l'Arabie saoudite a ressoudé les Yéménites face à un ennemi venu de l'extérieur et qui a depuis longtemps un lourd contentieux avec eux. De plus, alors que les Saoudiens attendaient une riposte sur leur propre territoire par le lancement de missiles, ce qui leur aurait permis de prétendre que les sunnites sont attaqués par les houthis, alliés à l'Iran, Ansarullah a riposté stratégiquement en avançant sur le terrain du côté de Bab el-Mandeb et de Aden désormais pratiquement sous leur contrôle. Il a ainsi choisi de resserrer l'unité nationale yéménite et de laisser l'Arabie saoudite s'enliser dans ce conflit, ce qui pourrait entraîner des troubles à l'intérieur même du royaume. C'est pourquoi les deux personnalités yéménites sont convaincues que le conflit est appelé à se prolonger... jusqu'à ce qu'il y ait, au final, une solution politique et un dialogue qui devraient, cette fois, prendre en considération les revendications d'Ansarullah. Mais à quel prix ?
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CORRECTION : LIRE CAP AU LIEU D'ESTUAIRE... TROISIÈME LIGNE. MERCI.
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 14, le 08 avril 2015