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Moyen Orient et Monde - Analyse

« La rivalité régionale Riyad-Téhéran complique et amplifie le conflit au Yémen »

Les factions loyales au président Abd Rabbo Mansour Hadi (à droite), qui s’est réfugié à Aden, se sont regroupées au sud du pays. Photo Reuters

Écartelé entre le Nord contrôlé par une milice chiite et le Sud dominé par des forces alliées au président légitime, le Yémen est le théâtre d'une guerre par procuration Iran-Arabie saoudite, qui risque d'aboutir à une désintégration du pays, selon des experts.
Des bruits de bottes ont même été entendus jeudi dernier à la frontière saoudienne où la milice chiite des houthis, soutenue par Téhéran, a organisé des manœuvres militaires, les premières de cette ampleur depuis son coup de force en février dans la capitale Sanaa. À cela s'ajoute la poursuite d'actions, parfois spectaculaires, d'el-Qaëda, régulièrement visé par des drones américains mais qui continue de prospérer dans plusieurs régions avec le soutien de tribus sunnites.
Indépendamment des violences, le Yémen apparaît de plus en plus coupé entre un Nord sous l'emprise des houthis et un Sud où se sont regroupés les factions loyales au président Abd Rabbo Mansour Hadi qui s'est réfugié à Aden, ex-capitale du Yémen du Sud. La partition géographique recoupe pour l'essentiel une division confessionnelle chiites/sunnites. Les houthis appartiennent en effet au zaïdisme, branche du chiisme, et représentent un tiers des 24,5 millions d'habitants. « Face à l'expansionnisme iranien, une solidarité sunnite s'est nouée derrière l'Arabie saoudite », affirme un diplomate sous couvert d'anonymat. L'Arabie saoudite a parrainé une transition politique fin 2011 au Yémen dans la foulée du printemps arabe. Elle s'est trouvée en porte-à-faux face à la montée en puissance en 2014 des houthis à sa frontière sud, après avoir lâché les islamistes d'al-Islah, branche yéménite des Frères musulmans, confrérie classée « terroriste » à Riyad. « Le royaume saoudien a, pendant un temps, préféré une domination des houthis (à sa frontière) à celle des Frères musulmans. Son rôle au Yémen a alors régressé, ce qui a encouragé les houthis à avancer depuis Saada, leur bastion du Nord, vers Sanaa, où ils sont entrés en septembre sans résistance avant de prendre le pouvoir en début d'année, explique la directrice du Carnegie Middle East Center, Lina Khatib. Riyad « a parié sur une plus grande influence dans le Sud, mais a payé le prix fort en perdant toute influence dans le Nord », passé sous le contrôle des houthis pro-iraniens, ajoute-t-elle.

Téhéran hausse le ton
Fin février, l'Arabie saoudite a transféré à Aden son ambassade de Sanaa, fermée après le « coup d'État » des houthis. Elle a proposé une conférence de sortie de crise à Riyad, mais les houthis vont vraisemblablement rejeter les conditions posées par le président Hadi.
L'Iran, mieux écouté par Washington qui lui a reconnu un rôle dans la lutte contre le groupe État islamique (EI) en Irak, a haussé le ton contre Riyad. « Sanaa est la capitale officielle et historique du Yémen, et ceux qui, à Aden, soutiennent la désintégration ou la guerre civile seront responsables des conséquences », a prévenu le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian. Les houthis ont en outre récemment annoncé l'inauguration d'une liaison aérienne Sanaa-Téhéran et précisé que l'Iran allait approvisionner le Yémen en pétrole pendant une année et construire une centrale électrique de 165 mégawatts. Selon April Longley Alley, spécialiste du Yémen à l'International Crisis Group, « les Iraniens ont reçu un énorme bénéfice politique pour un tout petit investissement ». « Alors que l'Arabie saoudite durcit sa position à l'encontre des houthis et cherche maintenant à les faire reculer, ces derniers vont certainement resserrer leurs liens avec des pays comme l'Iran », ajoute-t-elle. La rivalité régionale Riyad-Téhéran « complique et amplifie le conflit au Yémen », conclut-elle.

« Créer le chaos »
Riyad, qui a coupé son aide économique vitale au Yémen, redoute que les houthis progressent vers le détroit stratégique de Bab al-Mandeb, à l'entrée de la mer Rouge, donnant à l'Iran la possibilité de contrôler ce détroit en plus de celui d'Ormuz, dans le Golfe. Le porte-parole des houthis, Mohammad Abdessalam, a néanmoins nié « l'ingérence » de l'Iran au Yémen. « Nous refusons et refuserons toute ingérence dans nos affaires internes de l'Arabie saoudite, de l'Iran ou des États-Unis », a-t-il déclaré, soupçonnant les Saoudiens de vouloir « créer le chaos » au Yémen. « Le risque d'une guerre civile ou d'une partition du Yémen » est évoqué ouvertement dans les milieux politiques, selon l'analyste Lina Khatib.
Mohammad Saleh Sadqiane, directeur du Centre arabe d'études iraniennes basé à Téhéran, prévient pour sa part que la lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite aura d'autres conséquences. Elle « impliquera d'autres pays » si Riyad et Téhéran « ne se mettent pas autour d'une table pour discuter, dans la transparence, de tous les dossiers litigieux » au Moyen-Orient, juge-t-il.

Taieb MAHJOUB/AFP

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