Dans cet espace blanc, sous la chaleur des spots, se prélassent vingt-cinq sculptures d'Alfred Basbous. Elles se déclinent, aériennes, en pierre, en bronze, en plusieurs dimensions. Loin de leur lieu d'origine entre ciel et mer, loin du bleu de firmament qui les a vues naître, loin de la caresse des grands arbres indolents bercés par le souffle du vent. Loin de cette route qui mène au couvent de sainte Rafqa.
Avec cette délicieuse insolence de défier le temps. Cette remarquable énergie de ne jamais vieillir. Cette incroyable luisance comme une lumière qui irradie de tout corps touché par une certaine grâce, une certaine élévation, une certaine tranquillité, une certaine harmonie.
Pas une ride. Pas un grain de poussière. Pas une protubérance déplacée. Pas une fausse note. Pas une lourdeur. Pas un nœud. Pas une stridence. Sur leurs socles, blanches, brunes, noires, anthracites, ces sculptures sont d'une impassible modernité, d'une étonnante souplesse, d'une heureuse élasticité, d'une rigidité que rien n'ébranle. Fabuleux mélange de paradoxes et de contradictions qui ont leur langage particulier, leur équilibre tacite.
Hommage à la femme dans sa maternité, ses élans d'amante, sa force féline de séduction avec ses rondeurs et son galbe, ses articulations déliées. Ces statues parlent avec éloquence de désir, de plaisir, d'épanouissement, de couples qui s'entrelacent, de solitude sereine...
En termes de suggestions, d'abstractions, mais aussi de formes perceptibles, presque tangibles, comme pour un rêve accessible, aux contours soyeux et à portée de main.
Ne regardez pas les titres (pour la plupart sans titre, comme pour piquer la curiosité ou susciter une interactivité avec le visiteur !) de ces sculptures en basalte, marbre, pierre jaune, pierre vert de Jordanie, pierre rouge de Bergame. Mais suivez la ligne, le mouvement, les liaisons, les césures. L'histoire et le talent sont là, incrustés et enserrés entre deux courbes, deux unions pourtant si improbables à première vue...
De la pierre au bronze il n'y a qu'un pas. Les deux univers se marient, se fondent, fusionnent. Comme un poème qui n'a pas besoin de changer de ton, mais seulement de vocables.
Lisses, luisants, libérés de toute granulation, poncés de tout superflu, ces bronzes s'élancent dans l'air ou se recroquevillent en boules quand ils ne plongent pas dans une géométrie dans l'espace où se dessine la vie.
Une femme assise, un couple aimanté par l'amour, un masque comme échappé au chœur de Thèbes, un enfant encore accroché à la lumière maternelle, une sirène qui ferait revenir tous les Ulysse du monde...
En prolongement de cet univers échappé aux songes taillés et ciselés dans une matière dure mais domptée, les dessins en fusain sont un accompagnement éclairant. Comme l'annonce d'une naissance, le signe d'une main qui sème et guide.
La sculpture ici est plaisir du regard, chuchotement secret aux sens et invitation à entrer dans l'univers d'Alfred Basbous, amoureux fou de la pierre et de tout matériau qu'il taille à la dimension de sa sensibilité et de ses émotions.
Et pour cet artiste libanais disparu à 82 ans et qui est resté maître de son art jusqu'au bout (en 2006), cette exposition, d'une lumineuse simplicité dans la sélection des pièces, est sans nul doute un vibrant rappel à la notion de créer, dans la paix, au pays du Cèdre. Inaltérables rêves et aspirations échappées à la quiétude d'une terre solitaire et empreinte d'harmonies sans violence.
*La galerie Mark Hachem, centre-ville, expose les sculptures d'Alfred Basbous jusqu'au 10 mars.