Une anecdote, récurrente depuis un certain temps, notamment sur les réseaux sociaux, s'amuse à tourner en bourrique Télé-Liban, considérée comme étant une chaîne vieillotte qui serait irrémédiablement figée dans le temps, une sorte de boîte à souvenirs audiovisuels remontant à un âge d'or depuis longtemps révolu.
Mais la pointe de cynisme chez les dénigreurs n'est heureusement jamais tout à fait méchante. Elle recèle même un mélange empathique, affectueux, de désolation, d'apitoiement, d'impuissance et de résignation face au sort réservé depuis plusieurs décennies à la chaîne publique. Le téléspectateur averti sait bien que ce n'est pas faute de compétences journalistiques que Télé-Liban s'est retrouvée plongée dans une condition catatonique bien en phase avec l'état de délitement général de l'État libanais. Le confinement de la chaîne publique à cette image quelque peu poussiéreuse, à cet état quasi rachitique, est en effet bel et bien le fruit d'une longue incompétence à différents niveaux du pouvoir politique sur ce dossier.
Cela dit, paradoxe et contempteurs à part, c'est probablement sous un angle positif qu'il faudrait voir le recours parfois intensif de Télé-Liban à ses archives de qualité ; surtout compte tenu de la grande médiocrité d'un très large éventail d'émissions «modernes» diffusées sur les chaînes locales. Là où Télé-Liban peut se permettre de ressortir à foison des émissions culturelles – et politiques – de très grande qualité, bien d'autres chaînes se complaisent désormais à servir au téléspectateur une soupe souvent indigeste de programmes «populaires», dont certains finissent par verser dans la facilité, la vulgarité ou le populisme.
D'autant que la culture, si elle n'est pas «pop» et si elle ne rapporte pas un gros sponsor en contrepartie, semble être devenue aujourd'hui l'ennemi de prédilection des chaînes locales, considérations financières obligent. Et par «culture», il n'est évidemment même plus question ici de francophonie, laquelle n'a plus droit de cité que comme une sorte de curieux phénomène de foire durant la semaine du Salon annuel du livre francophone. Même en arabe, la culture ne rapporte plus, si bien qu'en règle générale, la plupart des programmes – sociaux, politiques ou artistiques – ne sont plus envisagés que sous l'angle du divertissement des masses, sans plus aucune fonction éducative ou proprement informative. Nous voici, en quelque sorte, à l'ère d'une culture tellement massifiée qu'elle est devenue une tyrannie de la médiocrité au nom du plaisir cathodique des masses en question. Et en leur nom seulement, parce qu'en fait, cette tendance n'est plus guidée que par les lois du marché publicitaire, lequel impose cette «globalisation», cette massification et, partant, cet aplanissement, cette «médiocritisation» de la culture (mais aussi de l'information, par exemple), sans plus aucune possibilité de cavale indépendante pour échapper au système.
En d'autres termes, en restant relativement hors du système, Télé-Liban contribue quelque part aujourd'hui, sur certains plans, à racheter ce système. En zappant ainsi sur Télé-Liban la semaine dernière, à une heure de grande audience meublée sur d'autres chaînes par des programmes populaires, le téléspectateur à la recherche de quelque chose de différent pouvait ainsi se permettre le luxe de se laisser brièvement transporter hors de ce monde, le temps d'un vieil entretien extraordinaire avec l'immense poète disparu Saïd Akl, dans toute sa démesure et son érudition, sur le thème de «La mère», mené d'une main de maître par l'écrivain et poète Henri Zgheib.
Dans le climat étouffant, parfois même putride, du matraquage informationnel, du star-system médiatique et de la tyrannie des bas-fonds de l'actuelle « pop culture » locale, ces images-là, surgies d'une autre époque, d'une autre conception du monde, de la culture et de l'information, sont paradoxalement synonymes de fraîcheur. Et ça fait du bien.
Scan TV - Pas très cathodique
La fraîcheur culturelle au temps du paradoxe
OLJ / Par Michel HAJJI GEORGIOU, le 13 décembre 2014 à 00h00
commentaires (6)
Vous avez bien dit:loin du vulgaire. ça ne vole pas très haut,mais on n en demande pas tant. c est au moins propre. ce n est pas très classe. Mais c est correct. Bref ça me donne moins la nausée que les autres. De plus, il m est arrivé de tomber sur d excellentes emissions. dont quelques interviews et le succulent chouchou.
Massabki Alice
11 h 28, le 27 décembre 2014