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Économie - Liban - Enquête

Employés de maison : ce que facturent les agences

Les débats sur les pratiques des agences de placement de personnel de maison au Liban occultent généralement une question pourtant essentielle : à combien se chiffre réellement la facture pour recruter une employée de maison par l'intermédiaire d'un courtier ?

Les tarifs affichés par les agences varient en fonction de la nationalité de l’employé recruté. Photo Philippe Hage Boutros

Les agences qui proposent les services de femmes de ménage immigrées au Liban sont officiellement dans le collimateur du ministre du Travail, Sejaan Azzi. Dans un communiqué publié mardi, ce dernier a en effet décidé d'interdire toute forme de publicité « à connotation commerciale » à ces établissements, considérant que cette manœuvre portait « atteinte à la dignité de la personne humaine ». Contacté par L'Orient-Le Jour, M. Azzi considère qu'il s'agit là d'une « première étape » et leur accorde « un délai d'une semaine » pour se conformer à cette exigence. Passé ce délai, le ministre promet de passer à la vitesse supérieure pour sanctionner les contrevenants. Un colloque sur la question réunissant les principaux acteurs du marché devrait par ailleurs être organisé par le ministère vers la fin du mois de novembre.


Pour les intéressés, cette annonce ne concerne pourtant qu'un petit nombre de courtiers. La dizaine d'agences interrogées s'accordent néanmoins à l'unanimité pour dénoncer ces pratiques. La plupart d'entre elles continuent malgré tout de proposer une offre diversifiée à des tarifs qui s'harmonisent d'un bout à l'autre du pays. Il est ainsi malheureusement possible de dégager un « catalogue » du personnel de maison issu de l'immigration africaine et asiatique, à grande majorité composé de femmes et dont le voyage vers le Liban est donc financé par des familles libanaises par le biais de ces établissements.

 

Des prix en fonction de la nationalité
La procédure de recrutement est bien rodée. Les agences libanaises possèdent des fichiers constitués à partir d'informations fournies par leurs correspondants dans un pays « fournisseur ». Lorsqu'un employeur s'entend avec un ressortissant étranger désireux de venir travailler au Liban, l'agence facture une somme qui servira à payer le billet d'avion, les frais de dossier relatifs à la constitution des documents de voyage dans le pays de résidence de l'immigré, ainsi que la commission personnelle de l'établissement. Le tarif varie ainsi en fonction de ces trois paramètres auxquels s'ajoute un quatrième, purement conjoncturel. Ce dernier se rapporte à l'état des relations diplomatiques entre le Liban et le pays dont les immigrés sont originaires. Les Philippines, Madagascar ou encore l'Éthiopie interdisent par exemple à leurs ressortissants d'émigrer vers le Liban. Les employés de ces pays qui travaillent sur le territoire ont donc souvent quitté leur pays par des voies illégales, ce qui peut gonfler la facture à l'arrivée.


En pratique, les ressortissants du Bangladesh comptent ainsi parmi les employés les moins chers à placer au Liban avec un prix de base gravitant autour de 1 600 dollars. Le recrutement des travailleurs africains (Kenya, Bénin, Togo, Nigeria) se négocie lui autour de 2 200 dollars en moyenne, à 200 dollars près en fonction des établissements. Dans cette catégorie, la somme nécessaire pour s'offrir les services d'un employé de maison d'origine camerounaise peut grimper jusqu'à 2 700 dollars en moyenne. Un prix lié au fait que la plupart des ressortissants de ce pays parlent généralement le français et l'anglais. Les Philippins et les Sri Lankais, pour leur part, reviennent le plus cher avec des apports qui oscillent d'une agence à l'autre entre 3 500 et 4 500 dollars. Ces derniers bénéficient d'un statut particulier : les femmes originaires des Philippines ont « un niveau d'éducation plus élevé que la plupart des immigrés et sont très recherchées pour l'accompagnement des enfants », selon les agences. Les Sri Lankais, quant à eux, sont désormais bien implantés au Liban, ce qui leur permet de pouvoir négocier plus facilement leurs contrats sans passer par un intermédiaire. À noter, comme le rappelle M. Azzi, que le Liban « attire le plus souvent des personnes qui appartiennent aux couches les plus défavorisées des pays dont sont issus ces immigrés, les autres allant généralement tenter leur chance dans les pays industrialisés ».

 

Une avalanche de dépenses pour l'employeur
Une fois l'accord de l'employeur donné, il faut généralement compter un minimum d'un mois à un mois et demi avant que l'employée ne foule le sol libanais et soit en règle pour pouvoir travailler sur le territoire. Fait étrange, sa rémunération mensuelle variera, elle aussi, en fonction de la nationalité. Il n'existe pas de réelle explication à cet état de fait qui semble simplement issu d'une transposition de l'échelle des prix en cours au moment du recrutement. Il faudra ainsi compter 150 à 180 dollars pour un employé bangladais, 180 à 200 dollars pour une Africaine et 200 à 250 dollars au minimum pour une employée originaire des Philippines ou du Sri Lanka. Un salaire qui, pour ces derniers, est susceptible de doubler en quelques mois. Ces conditions sont généralement fixées au moyen d'un contrat rédigé par l'agence pour une période de deux ans, renouvelable à la discrétion des parties. Ces contrats sont par ailleurs assortis d'une période d'essai d'une durée d'un mois en moyenne.


En plus de ces sommes, l'employeur devra aussi compter avec les frais de gîte et de couvert, l'employée étant généralement recrutée à plein temps et logée par ce dernier. De plus, l'intégralité des frais de dossier à débourser chaque année pour les formalités administratives auprès des autorités libanaises sont à la charge de l'employeur, en sa qualité de « garant » octroyé par la loi. Au permis de travail (240 000 LL par an) et de séjour (300 000 LL) s'ajoutent les frais d'assurance médicale (150 000 à 180 000 LL environ), les examens sanguins (100 000 LL ; dépistage typhus, malaria, sida...), ou encore les radios du thorax exigées par le ministère du Travail depuis le début de l'année en cours (100 000 LL environ).


En somme, comme le relève le secrétaire général du Centre libanais des droits humains, Wadih el-Asmar, « les familles ont l'impression de payer moins cher un service qui leur fait en réalité débourser entre 500 et 600 dollars par mois au minimum », précise-t-il. Une somme qui dépasse le salaire minimum en vigueur au Liban depuis 2012, fixé à 675 000 livres, soit 450 dollars. « Un comble, quand on sait que ces transactions se font souvent au détriment des droits des immigrés qui viennent chercher du travail au Liban ».

 

Le consul honoraire du Cameroun au Liban, Jean Abboud, partage ce point de vue et va même plus loin. Pour lui, « les drames liés à la maltraitance des travailleurs immigrés peuvent, à terme, avoir des répercussions dramatiques sur les expatriés libanais résidant dans les pays concernés ». « Il est donc important de maintenir nos bonnes relations diplomatiques en protégeant les ressortissants originaires de ce continent qui viennent au Liban pour chercher du travail, plutôt que de se refuser à réglementer un secteur construit sur des compromis », conclut-il.

 

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