Qu'y a-t-il de séduisant dans une veuve ? Son veuvage, justement, l'idée qu'elle est de nouveau « sur le marché », à la fois disponible et vulnérable. Sous la bannière « La mort vous va si bien », on accède à cet espace étrange au rythme du Requiem de Gabriel Fauré. Projetés sur les murs, apparaissent et disparaissent de manière spectrale des extraits de journaux intimes féminins, magazines et livres d'une époque où le deuil des femmes obéissait à des règles strictes et des normes rigides. Dans les salles dédiées au deuil des veuves, on découvre de nombreux vêtements, bijoux, accessoires et chapeaux ainsi que la robe en taffetas noir portée par la reine Victoria de 1894 à 1895 et les robes à sequins, taillées en France en 1902, de sa belle-fille la reine Alexandra. L'exposition est organisée de manière chronologique traversant tout un siècle, avec des robes des années 1815 à 1915. Et dans la garde-robe de la reine Victoria, il y a de quoi piocher car elle fut la plus célèbre des veuves du XIXe siècle, ayant porté pendant 40 ans le deuil de son mari, son si cher Albert dont elle écrit qu'il fut le premier à lui parler avec « des mots de tendresse ». Sans doute la souveraine britannique, piégée dans le dogme du « never complain, never explain », n'avait-elle trouvé que ce moyen (somptueux par ailleurs) de traduire son chagrin intérieur. Mais il faut savoir que les robes de deuil étaient très coûteuses en raison de la rareté de la teinture noire. Monotones, ces garde-robes étaient sobres et noires au début du deuil. On ne passait que progressivement au gris et aux mauves monochromes, à mesure que l'on apprivoisait la séparation. Les tissus opulents, eux aussi, taffetas et velours, ne venaient que plus tard car ils étaient considérés trop somptueux pour la première période de deuil. C'est sans doute en raison de ce luxe que le deuil était devenu à la mode au XIXe siècle. L'Amérique chic s'alignait sur l'Angleterre et s'en inspirait pour la mise en scène de son savoir-vivre. Ainsi, le deuil pouvait durer deux ans pour un mari, un an pour le père ou la mère, six mois pour un frère ou une sœur. On se demande d'ailleurs sur quel critère se sont basées les baronnes de Staff de cet étrange calendrier pour établir cette échelle de valeur. Toujours est-il que cette exposition, bien que relativement modeste et reposant sur les propres archives de l'Institut du costume ainsi que quelques emprunts, notamment au Victoria and Albert Museum de Londres, draine un public de plus en plus nombreux. On se prend à imaginer ce que donnerait un tel événement au Liban où deuil et condoléances sont des piliers de la cohésion sociale occasionnant autant de disputes épiques que d'émouvantes réconciliations. Quand on pense qu'aujourd'hui encore « le tailleur de condoléances » et le sac Chanel qui le complète sont les pièces maîtresses du trousseau d'une jeune mariée, cela laisse rêveur.
« Death becomes her. A century of mourning attire », Institut du costume du Metropolitan Museum de New York, jusqu'au 1er février.