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À l’heure d’Abraham

Al-Adha (le Sacrifice), que l'on est sur le point de célébrer, est la plus importante des fêtes musulmanes, la seule en fait qu'observent, à l'unisson, les diverses branches de la religion du Prophète. Est commémorée, ce jour-là, l'épreuve d'Abraham qui, se soumettant à une injonction de Dieu, s'apprête à égorger son propre fils ; devant une si extraordinaire profession de foi, c'est finalement un mouton, procuré par l'archange Gabriel, qui servira d'offrande, en lieu et place de l'enfant.

Sans doute le pressentiez-vous déjà, avant même de lire : à l'heure où, dans cette partie du monde, la folie meurtrière des hommes prétend se parer de la volonté divine, jamais la symbolique de cette fête n'aura été plus frappante. Car fête ou jour ouvrable, ce ne sont pas des moutons qu'égorgent ces faux musulmans de Daëch et consorts, mais des humains, des prisonniers, des otages sans défense. Il est d'autres symboles cependant, moins macabres mais tout aussi capitaux, qui s'imposent à la réflexion.

Faire un sacrifice, c'est aussi se priver, c'est se dessaisir de son libre arbitre ; c'est même parfois céder tout ou partie de ce que l'on croit être son bon droit, sa vérité totale et absolue. En Irak comme en Syrie ce sont, dans une large mesure, des guerres sectaires qui font rage : sunnites contre chiites et apparentés, le brasier menaçant sérieusement de s'étendre à notre pays où les tensions entre ces communautés pèsent dangereusement, depuis des années déjà, sur le fonctionnement des institutions et la sécurité publique. On ne saurait méconnaître, certes, l'ampleur et la gravité d'un schisme vieux de treize siècles ; laisser libre cours à la spirale sans fin des vieilles rancunes et des quêtes de revanche sur le passé, c'est néanmoins se promettre de nouveaux siècles de calamités.

Il est plus que temps, pour les sages de l'islam, chefs spirituels et dirigeants politiques, toutes obédiences confondues, de dépassionner le débat. De le dépolitiser, de le démilitariser. De désamorcer une bombe qui n'est plus seulement à retardement, mais à répétition, une bombe qui hypothèque lourdement l'avenir de près d'un milliard et demi de musulmans. En attendant un tel et salutaire œcuménisme intra-musulman, il y a plus urgent à faire. On ne le répétera jamais assez : le venin du fanatisme guerrier, conquérant, ne menace pas les seuls chrétiens et autres minorités religieuses du Proche et du Moyen-Orient, que l'on a vu fuir, en misérables cohortes, l'humiliation, la dépossession et le massacre. C'est l'islam lui-même, dans sa quintessence, qui est le premier visé par ceux qui en ont usurpé les valeurs, fusil ou couteau au poing.

Jamais les frappes aériennes ne suffiront pour venir à bout de l'État islamique. Et seule une intervention massive de troupes régulières musulmanes pourra réduire au silence ceux qui, déjà, crient à la croisade occidentale. Avant d'y venir, c'est à la guerre du dedans qu'il faudra se résoudre. Guerre contre l'ambiguïté, pour commencer. Les émirs saoudiens, par exemple, ne doivent plus être en mesure de couvrir de donations privées ces mêmes jihadistes que combat le royaume. Pourquoi, par ailleurs, aura-t-il fallu que les hordes de Daech arrivent à un jet de pierre de la ville kurde de Kobané pour que la Turquie se décide à montrer les dents après avoir longtemps servi de point de passage aux combattants ?

Guerre, ensuite et surtout, contre les terreaux de l'extrémisme : nichés au plus profond de sociétés antagonistes, ils sont inévitablement appelés à devenir de véritables pépinières du terrorisme. Cette guerre, nul musulman n'en est exempté. Si en effet c'est le terrorisme dit sunnite qui en ce moment tient la funeste vedette, l'Iran a longtemps figuré en tête dans la liste noire des États soutenant le terrorisme ; des responsables du Hezbollah sont en outre accusés par la justice internationale d'avoir pris part à l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.

C'est dire qu'aux uns et aux autres, la gravité de la situation commande des révisions courageuses, allant au-delà d'une simple condamnation de la barbarie. Avec mes vœux de bonne fête à mes nombreux amis sunnites, chiites, druzes et autres, cet affectueux rappel : au contraire du saint épisode d'Abraham, ce n'est pas d'un fils mais d'un monstrueux intrus qu'est requis le sacrifice.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Al-Adha (le Sacrifice), que l'on est sur le point de célébrer, est la plus importante des fêtes musulmanes, la seule en fait qu'observent, à l'unisson, les diverses branches de la religion du Prophète. Est commémorée, ce jour-là, l'épreuve d'Abraham qui, se soumettant à une injonction de Dieu, s'apprête à égorger son propre fils ; devant une si extraordinaire profession de foi, c'est...