Iraniens, Turcs, Saoudiens, Qataris, Jordaniens, Israéliens, Européens et, last but not least, Russes et Américains : ils sont foule, ils se bousculent, tous ces lointains acteurs du sanglant feuilleton de géopolitique-fiction qui se joue en Syrie et en Irak. Lointains, en effet, car c'est télécommande en main, et sans trop se montrer sur le terrain qu'ils préfèrent généralement opérer ; diablement influents, et même déterminants sont-ils en revanche, ce qui ne les met guère pour autant à l'abri des mauvaises surprises.
De tous ces froids tireurs de ficelles, c'est paradoxalement le colosse US qui manifeste en ce moment le plus d'embarras. Les États-Unis se veulent la plus grande démocratie au monde. Pour grande qu'elle soit toutefois, cette démocratie n'a pas empêché un George W. Bush devenu littéralement impérial de leurrer son peuple à propos des armes de destruction massive prétendument détenues par Saddam Hussein, avant de l'entraîner dans une guerre qui a débouché sur le chaos.
C'est cette même démocratie qui sert de paravent, sinon de prétexte à l'anti-Bush, Barack Obama, pour justifier sa peu présidentielle indécision, ses hésitations, ses inhibitions. L'an dernier déjà, et après avoir menacé de lancer des frappes aériennes contre un régime syrien acharné à gazer les populations civiles, le président américain posait, comme condition préalable, un fort hypothétique feu vert du Congrès : tellement hypothétique, en fait, qu'on l'attend toujours. Encore un paradoxe, c'est la Russie qui venait alors au secours de l'Amérique empêtrée dans ses contradictions, en lui offrant un compromis portant sur la destruction des armes chimiques syriennes. Ce qui fut fait ; mais pas entièrement fait, faut-il croire, puisque de nouveaux cas d'usage de gaz toxiques viennent tout juste d'être signalés.
Or face au phénomène Daech qui fait tache d'huile – et des torrents de sang – c'est derrière cette même exigence d'une étroite association du Congrès à toute initiative militaire en Syrie que se barricade une nouvelle fois hier Barack Obama. Mais auparavant, reconnaissait-il hier, il faut savoir exactement ce qu'il convient de faire. Car aussi incroyable que cela puisse paraître depuis que gonfle à vue d'œil le singulier califat d'Irak et de Syrie, et que des minorités chrétiennes et autres sont massacrées ou forcées à l'exode, la première puissance mondiale n'a pas encore de stratégie, pour reprendre les propres termes de son chef !
Elle est là pourtant, elle crève les yeux, cette stratégie, la seule et unique possible et que commandent aussi bien la raison que la morale politique, du moment que le régime de Damas et Daech sont les deux faces d'un même monstre, comme le disent éloquemment les experts en terrorisme. Comme le soutient le président François Hollande, qui dénonce l'alliance objective entre Bachar el-Assad et ses ennemis jihadistes. Comme l'admet Barack Obama lui-même, quand il affirme que son pays n'a pas de choix à faire entre ces deux protagonistes : la solution alternative ne pouvant être que le soutien à l'opposition modérée de Syrie. Mieux vaut tard...
Cela ne consolera sans doute pas le chef de la Maison-Blanche, mais le Liban éclaté, menacé, est lui aussi en manque de stratégie. Eh oui, le minuscule, le poids plume Liban : le Liban qui, non point par libre choix étatique mais par le fait – et la faute – de Libanais fourvoyés dans le conflit de Syrie, est tout entier aujourd'hui menacé par le brasier ; le Liban dont le territoire est la cible tout à la fois des forces régulières syriennes et des jihadistes ; le Liban dont les infortunés soldats pris en otage par les terroristes sont maintenant égorgés comme des moutons.
Parce qu'il menace désormais d'échapper à tout contrôle, le chaos régional a suscité, ces derniers jours, d'impensables rapprochements. On a vu, ces derniers jours, Washington faire parvenir indirectement à l'aviation syrienne les coordonnées précises, recueillies par satellite, des positions jihadistes, on a vu Iraniens et Saoudiens se concerter. Mais vous avez vu, vous, des Libanais œuvrer de concert, toutes obédiences confondues, pour parer à l'incendie ?
Issa GORAIEB
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