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Entre deux feux

Avec la stérile rengaine des condamnations, on croyait avoir atteint le fond de l'abîme, dans le registre de ces formules creuses qu'affectionnent tant hommes politiques, chancelleries et gouvernements. Au gré des occasions, on condamne à qui mieux mieux, ici une agression armée, et là un attentat terroriste : c'est bien le moins qu'on puisse faire, cela donne bonne conscience, et de plus cela ne coûte rien.


Ce qui restait encore à inventer en matière de lapalissade, c'est un gouvernement proclamant, avec force flonflons et à une rare unanimité, son total soutien à l'armée régulière qui affronte en ce moment des hordes de terroristes : le tout laissant la désastreuse impression que l'autorité politique, censée assigner des missions précises à la force publique, ne faisait là qu'approuver et cautionner – après coup – quelque fantaisie guerrière des généraux.


Et encore, cette belle unanimité apparue lundi en Conseil des ministres n'était-elle pas exempte de griefs contenus, réserves muettes et autres arrière-pensées. Comme sait tout un chacun, une partie du gouvernement n'est que trop heureuse, au fond, de voir la force étatique amenée à croiser le fer avec le même ennemi que combat le Hezbollah en Syrie. Et si l'autre partie se joint au chorus, c'est seulement dans l'espoir – pour ne pas dire à la condition expresse – que l'armée fasse preuve de rigueur face, aussi, aux jihadistes de l'autre bord ; qui, à la différence des premiers, trônent honorablement, eux, au sein d'un gouvernement se voulant naïvement à bonne distance du conflit syrien.


Pour surréelle que soit la situation, elle n'est après tout que le résultat logique, prévisible, d'une incroyable accumulation de lacunes, d'erreurs et de faux-fuyants qui ont jalonné ces dernières années. On s'émeut aujourd'hui de la liquéfaction des quasi centenaires lignes Sykes-Picot entre l'Irak et la Syrie, et on oublie que la frontière libano-syrienne, jamais explicitement reconnue par Damas, est laissée, depuis des décennies, sans grande protection et donc ouverte à tous les vents. Tout aussi mal gérés auront été l'aménagement, le ravitaillement et surtout la surveillance policière des camps de réfugiés syriens devenus – on le constate aujourd'hui – de véritables viviers de terroristes.


Comment a-t-on pu croire un seul instant – et le claironner, de surcroît – que les douteux chemins de l'interventionnisme en Syrie étaient à sens unique ; qu'en s'en allant guerroyer aux côtés du régime baassiste, le Hezbollah ne faisait que prendre de vitesse, sur place, un phénomène menaçant de s'étendre au Liban ? Or la preuve par neuf vient d'être faite que cette équipée n'a pas seulement exposé le pays tout entier aux risques, mathématiques pourtant, d'un retour de bâton. Le Hezbollah a surtout imposé à l'armée nationale un combat, le sien propre, dont elle se serait volontiers passée. Plus périlleux encore que les aléas de la bataille de Ersal est cet amalgame que d'aucuns s'emploient aujourd'hui à instiller dans les esprits des citoyens. Car ce n'est pas en jouant un jihad chiite contre son alter ego sunnite, mais en retrouvant sa raison d'être en même temps que sa raison tout court, que le Liban de la coexistence peut trouver son salut. C'est seulement dans les incendies de forêts que l'on combat le feu par le feu.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Avec la stérile rengaine des condamnations, on croyait avoir atteint le fond de l'abîme, dans le registre de ces formules creuses qu'affectionnent tant hommes politiques, chancelleries et gouvernements. Au gré des occasions, on condamne à qui mieux mieux, ici une agression armée, et là un attentat terroriste : c'est bien le moins qu'on puisse faire, cela donne bonne conscience, et de plus...