Mar Mikhaël: un nom qui, pour beaucoup de jeunes Libanais, n'évoque que les soirées passées à descendre des bières sur un bord de trottoir. Situé au cœur de Beyrouth, entre Gemmayzé, Achrafieh et Bourj Hammoud, le quartier attire par son cachet authentique et les nombreux restaurants et bars qui s'installent les uns à côté des autres.
Pourtant, Mar Mikhaël est bien plus qu'un lieu de récréation. Cette ancienne aire industrielle et quartier résidentiel est le nouveau cœur de la créativité beyrouthine : artistes, artisans et designers en ont fait un centre regroupant leurs ateliers, afin d'y pratiquer leurs techniques et mettre à jour leur inventivité.
L'implantation d'une telle économie créative a-t-elle un rôle à jouer dans la régénération des zones urbaines traditionnelles ? C'est le sujet de discussion des tables rondes qui se sont déroulées récemment à la Grande Brasserie du Levant, à l'occasion de la conférence « Créativité et régénération à Mar Mikhaël ».
Des artisans, artistes et designers locaux, ainsi que des experts financiers et académiques y ont pris part, en présence du ministre de la Culture, Rony Araiji. Ils ont ainsi discuté des problématiques de l'urbanisme, de l'espace public et du rôle du secteur créatif à Mar Mikhaël. Organisé par Gaia-Heritage, société de conseil libanaise spécialisée dans la préservation culturelle, l'événement s'inscrit dans le cadre du projet financé par l'Union européenne Medneta (réseau culturel méditerranéen pour promouvoir la créativité dans les arts, l'artisanat et le design pour la régénération des communautés dans les villes historiques).
« Une machine à faire du profit »
Vaste lieu abandonné au beau milieu de la ville, la Grande Brasserie du Levant, autrefois moteur de l'économie locale, s'est à nouveau remplie de vie le temps d'une journée, en accueillant créatifs, experts et représentants d'institutions financières et diplomatiques. Symbole même de la régénération urbaine au centre du débat, incarnant l'esprit des classes populaires et ouvrières du quartier, le bâtiment s'est également métamorphosé en espace d'exposition pour les artistes de Mar Mikhaël à l'occasion de cet événement unique.
Depuis une décennie, Mar Mikhaël a vu naître de nombreuses initiatives créatives: studios d'architecture, entreprises spécialisées dans le mobilier d'intérieur, concept stores... Cependant, l'installation effrénée de restaurants et de pubs a altéré l'atmosphère originelle du quartier et participé à la hausse des prix de l'immobilier. «Mar Mikhaël est devenu une machine à faire du profit, constate Mona Harb, professeure associée à la planification urbaine à l'Université américaine de Beyrouth. Depuis quelques années, les investisseurs ont compris le potentiel du lieu et la spéculation immobilière a commencé, détruisant le quartier peu à peu. »
La situation peut être dissuasive pour les créatifs, qui sont à la recherche de grands espaces aux loyers modestes. « Les artistes doivent pouvoir trouver des ateliers sans avoir à payer un loyer hors de portée », a reconnu le ministre libanais de la Culture, Raymond Araiji, également présent ce jour-là.
Entre pragmatisme et théorie
La conférence se donnait donc pour objectif de réunir les différents acteurs en jeu, afin de trouver une stratégie commune en vue de donner aux artistes, artisans et designers un rôle dominant dans la réappropriation de Mar Mikhaël. « L'économie créative est en essor, mais peine quand même à s'imposer face à la croissance exponentielle de l'industrie numérique », souligne Khater Abou-Habib, président de la société Kafalat, qui soutient les petites et moyennes entreprises à l'aide de crédits.
À la fois pragmatique et théorique, l'événement était l'occasion pour les différentes parties d'échanger leur savoir-faire tout en permettant d'ouvrir une discussion active sur les enjeux urbains. « À Beyrouth, il y a trop peu d'espaces publics, et ils sont facilement appropriés: en témoigne le nombre de services de voituriers qui occupent désormais l'espace à Mar Mikhaël, fait remarquer Stephen Hill, économiste à l'Université de Sohar. C'est aux municipalités qu'il revient de préserver l'espace public, afin de rendre le quartier prospère.»
Parmi les invités, Raphaël, propriétaire d'une petite entreprise de nouveaux médias, remarque cependant «qu'on donne la parole aux nouveaux créatifs, installés là depuis quelques années, mais aucun ancien artisan de Mar Mikhaël n'est présent à la conférence».
À l'image de Beyrouth en perpétuelle mutation, la réflexion menée lors de ces tables rondes est loin d'être achevée. L'événement organisé par Gaia-Heritage et Medneta devrait néanmoins se faire le tremplin pour un plan d'action adéquat.
Concluant la journée, le ministre de la Culture a invité «un groupe de travail à se créer» sur la question. Le quartier de Mar Mikhaël pourrait ainsi devenir un modèle à suivre pour de nombreuses villes libanaises en quête de renaissance.
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