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Liban - Liban

À Maghdouché, une histoire d’osmose bio entre poissons, fruits et légumes

Un informaticien qui se met à l'aquaponie, une technique agricole qui conjugue élevage de poissons et culture de végétaux, ce n'est pas banal. Telle est l'histoire de Raïf Chabab.

Raïf Chabab exhibe fièrement un des produits de son mur végétal.

Au domicile de Raïf Chabab à Maghdouché, un beau village du Liban-Sud, une famille souriante et affable accueille les visiteurs. Le père est informaticien dans une entreprise privée, sa femme est enseignante et les quatre enfants sont débordants de vie. Mais derrière cette façade de famille on ne peut plus normale, il y a la passion peu commune du jeune père pour une technique agricole de pointe, l'aquaponie. Dans le petit jardin derrière la maison, un mur de végétaux en témoigne. Un mur qui garde tout son mystère pour l'œil du profane, du moins jusqu'à ce que l'homme qui s'est réinventé dans l'agriculture explique la teneur de son activité, racontant au passage comment il en est arrivé là.


« Ma femme me dit souvent que les gens insatisfaits changent le monde », dit-il d'emblée, pour éclairer les raisons de sa motivation. Il ajoute : « Nous avons passé plusieurs années au Canada. C'est durant ce séjour que j'ai entendu parler d'une technique appelée hydroponie, qui est la culture des plantes par de l'eau enrichie en matières minérales, et puis d'aquaponie, un procédé au cours duquel l'eau est enrichie de déjections de poissons qui servent d'engrais au végétal cultivé. De retour au bercail en 2008, j'ai décidé de me lancer dans cette aventure pour cultiver le petit terrain adjacent à ma maison. Je me suis énormément documenté sur cette technique, n'ayant à la base aucune formation en agriculture. »


Durant de nombreux mois, chaque soir après le travail, Raïf Chabab s'est attelé à la tâche d'installer le système qui allait lui donner ce mur de légumes et de fruits. Il a lui-même adapté les réservoirs qui permettent à la technique de se mettre en marche. « Notez tout d'abord ce grand réservoir blanc où sont élevés les poissons, dit-il. Vous remarquez qu'il est fermé, ces poissons n'aiment pas du tout la lumière. J'ai opté pour le «tilapia », une espèce que j'ai préférée aux truites car elle s'adapte mieux aux températures de notre pays. Il y a 350 poissons dans ce bac, de 250 grammes chacun. »

 

 

 

 

Des talents d'équilibriste
Dans ce premier réservoir, un filtre va séparer les déchets solides des déjections liquides des poissons, et l'eau ainsi obtenue, riche en ammoniaque, est acheminée vers un second réservoir. « C'est là, dans ce biofiltre, que s'opère une transformation biologique et chimique, poursuit Raïf Chabab. On y ajoute de l'oxygène, qui attire naturellement une des bactéries nécessaires à la transformation. Il faut en tout deux sortes de bactéries pour faire de l'ammoniaque (NH3 et NH4), du nitrite (NO2), puis du nitrate (NO3). »
C'est cette eau qui sera ensuite drainée pour irriguer les plantes. Celles-ci, en absorbant par leurs racines cette eau riche en fertilisants, vont la purifier, et la même eau va être réacheminée vers le bac à poissons. Et ainsi de suite. « C'est un même écosystème qui est ainsi créé, explique Raïf Chabab. S'il n'y avait pas de plantes ou pas assez, l'eau ne serait pas suffisamment purifiée des déjections et le taux de nitrate augmenterait de manière incontrôlée, rendant l'eau des poissons toxique. D'un autre côté, s'il n'y a pas assez de poissons, l'eau ne sera pas assez riche pour bien nourrir les plantes qui ne sont pas plantées dans le sol. Si le système fonctionne, les deux sont en bonne santé. Il faut qu'il y ait continuellement un équilibre entre le nombre de poissons et le nombre de plantes. Il est nécessaire de faire attention, à titre d'exemple, à ne pas récolter trop de fruits et de légumes en même temps pour ne pas réduire dramatiquement le nombre de plantes qui absorbent l'eau. D'où l'intérêt de cultiver des espèces différentes, récoltées à des moment différents. »


Comme l'explique Raïf Chabab, les plantations ne nécessitent pas la présence de sol, contrairement à l'agriculture traditionnelle, mais se suffisent de l'eau. Ainsi, les plantes poussent soit directement dans l'eau (c'est le cas des laitues par exemple), soit sur un médium neutre, en d'autres termes ni alcalin ni acide. L'informaticien affirme utiliser des boulettes d'argile sur lesquelles poussent ses plantes. C'est ce qui explique que cette technique peut être facilement installée à la verticale, comme c'est le cas chez les Chabab (les plants ne nécessitent qu'un petit conteneur en plastique), ou sur les toits... contrairement aux superficies horizontales requises pour l'agriculture traditionnelle.
L'équilibre est le maître-mot de cette technologie. « L'eau qui passe par les filtres pour subir les transformations ne devrait être ni trop alcaline ni trop acide, ce qui, le cas échéant, mettrait les plantes comme les poissons en danger, souligne le jeune homme. Voilà pourquoi j'effectue des tests sur l'eau très fréquemment. Et si je dois m'absenter durant plusieurs jours, je préfère ne pas brancher le système d'alimentation automatique des poissons. Ils peuvent survivre quelques jours sans manger, mais une perturbation du système, en revanche, pourrait leur être fatale. »

 

Du bio avec 90 % d'eau en moins
L'agriculteur (pas si) amateur a trouvé que l'aquaponie présente beaucoup d'avantages par rapport à l'agriculture traditionnelle, notamment pour l'environnement. « Comme l'eau circule en circuit fermé et que les seules quantités perdues sont celles absorbées par les plantes ou celles qui s'évaporent, l'aquaponie permet une économie de 90 % d'eau », affirme-t-il.
« Sur un autre plan, poursuit-il, cette technologie exclut naturellement toute utilisation de pesticides ou de fertilisants artificiels parce que ceux-ci affectent la qualité de l'eau et mettent les poissons en péril. » « Parmi les autres avantages, on peut retenir l'économie d'espace, ajoute-t-il. On peut planter horizontalement et sur tous types d'espaces. D'un autre côté, l'entretien est plus facile, on n'a pas besoin de fournir des efforts physiques comme labourer la terre. Les plantes obtenues sont d'une qualité exceptionnelle, que leur confèrent les fertilisants de poissons, ce qui les rend très résistantes aux maladies. Last but not least, on récolte deux sortes de bénéfices, autant par les poissons (qu'on peut vendre ou consommer) que les plantes. »
Des plantes solides, mais également très goûteuses, d'un goût authentique qu'on peut comparer à celui des autres produits bio. Sur son mur végétal, Raïf cultive 20 plants de concombres, 280 de haricots verts, 13 de fraises, 28 de laitues. « Pour l'instant, je ne les commercialise que dans le village, je n'ai pas les quantités suffisantes pour le faire ailleurs, raconte-t-il. Mais je peux dire qu'ils ont un succès fou. Je vends tout ce que je récolte à un prix pourtant supérieur à celui du marché, et on m'en redemande. »


Mais l'aquaponie n'a pas que des avantages. « L'investissement initial pour l'installation du système est substantiel, explique Raïf Chabab. J'ai dû débourser pas moins de quatre mille dollars rien que pour ce mur de trois mètres et demi de hauteur et de douze mètres de largeur, sans compter les frais résultant des erreurs en cours de route. Et encore, j'ai adapté les réservoirs et le biofiltre moi-même ! Les frais d'alimentation de ces poissons sont également élevés, l'État ne subventionnant que l'élevage des truites. »
Ce système nécessite également une alimentation en courant 24 heures sur 24, d'où une facture non négligeable et des difficultés dans un pays où les coupures sont fréquentes. Il déplore aussi avoir dû, jusqu'à nouvel ordre, utiliser des tuyaux en PVC pour la circulation de l'eau. Il compte les remplacer, à terme, par des produits en plastique HDPE, plus écologiques et plus durables, bien que plus chers.


Raïf Chabab ne peut certifier qu'il soit le premier ni même le seul à pratiquer ce genre d'agriculture au Liban, mais il espère que cette technique se répandra dans le pays. Il y croit ferme. « Pour ma part, j'espère pouvoir agrandir mon exploitation », dit-il. Il montre tour à tour une superficie plantée de manière traditionnelle dans son petit jardin, puis le mur d'aquaponie. « D'un côté le passé, de l'autre l'avenir, dit-il. J'aimerais adapter toute la superficie que je possède à l'aquaponie, mais il me faut un sponsor susceptible de couvrir un projet à hauteur de 50000 dollars, pour environ 500 mètres carrés. J'espère en trouver, je crois que mon expérience peut être utile à d'autres. L'introduction de l'aquaponie et son développement au Liban ne peuvent être que bénéfiques. »

 

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Au domicile de Raïf Chabab à Maghdouché, un beau village du Liban-Sud, une famille souriante et affable accueille les visiteurs. Le père est informaticien dans une entreprise privée, sa femme est enseignante et les quatre enfants sont débordants de vie. Mais derrière cette façade de famille on ne peut plus normale, il y a la passion peu commune du jeune père pour une technique agricole...

commentaires (3)

Enfin un Libanais qui a compris que la solution ne venait pas du politique mais de l'initiative privée, de la persévérance et de la science. Bonne continuation et bon courage.

ELIAS NJEIM

17 h 38, le 22 juillet 2014

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Commentaires (3)

  • Enfin un Libanais qui a compris que la solution ne venait pas du politique mais de l'initiative privée, de la persévérance et de la science. Bonne continuation et bon courage.

    ELIAS NJEIM

    17 h 38, le 22 juillet 2014

  • Très intelligent comme système et je lui souhaite plein de succès.

    Pierre Hadjigeorgiou

    14 h 43, le 22 juillet 2014

  • Entre le concombre de mer et le concombre masqué ...je vais réfléchir avant d'acheter du labné hydroponique ....

    M.V.

    11 h 52, le 22 juillet 2014

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