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À La Une - L'homme de la semaine

L'insatiable quête de pouvoir du "sultan" Recep Tayyip Erdogan

Le Premier ministre turc est candidat à la présidence de la République.

Atteint par la limite des trois mandats imposée par son propre parti, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan se porte candidat à la présidentielle d'août 2014. AFP/Aadem Altan

Où s'arrêtera Recep Tayyip Erdogan ? Vénéré par ses partisans comme il est haï par ses critiques, le Premier ministre turc a confirmé mardi son intention de perpétuer son règne sans partage de onze ans à la tête du pays en briguant la présidence de la République.

Son entrée dans la course n'était plus qu'un secret de Polichinelle. Atteint par la limite des trois mandats imposée par son propre parti, personne n'imaginait sérieusement son départ à la retraite, tant sa longue silhouette écrase la vie politique turque. Car à 60 ans, "Tayyip" Erdogan reste, de très loin, l'homme politique le plus populaire, le plus brillant et le plus charismatique depuis Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne. "Il est le mâle dominant de la politique turque", résume un diplomate.

Dans l'esprit d'une majorité de Turcs, il est d'abord celui qui leur a permis de bénéficier d'une décennie de forte croissance économique et de stabilité politique. Mais depuis un an, M. Erdogan est aussi devenu la figure la plus contestée du pays.

Dénoncé comme un "dictateur" par la rue pendant les émeutes de juin 2013, il est considéré comme un "voleur" depuis sa mise en cause, l'hiver dernier, dans un scandale de corruption sans précédent qui a fait trembler son régime sur ses bases.

Des écoutes téléphoniques pirates l'ont peint en "parrain" extorquant des pots-de-vin aux patrons ou en autocrate imposant leur "une" aux médias. Et ses décisions de bloquer l'accès aux réseaux sociaux Twitter et YouTube ont suscité une avalanche de protestations, en Turquie comme dans les capitales étrangères.
"Il a définitivement perdu toute légitimité pour diriger ce pays", répète à l'envi son principal opposant, le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.

 

(Lire aussi : La Turquie d’Erdogan plus que jamais divisée à l’aube de l’élection présidentielle)


Homme fort
Mais celui que ses rivaux et ses partisans présentent parfois comme un nouveau "sultan" n'a pas capitulé. Loin de là. Sûr de sa force électorale, M. Erdogan a organisé la riposte en reprenant sa stratégie favorite, celle de la victime. Pendant des semaines, il a galvanisé sa base en agitant le spectre d'un "complot" ourdi contre lui par ses anciens alliés de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen. Avec succès, puisque son parti a remporté haut la main les municipales du 30 mars (45% des voix).

C'est en cultivant cette image d'homme fort, proche des préoccupations du Turc de la rue, que ce gamin des quartiers modestes d'Istanbul a gravi les marches du pouvoir. Éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, "Tayyip" a un temps caressé le rêve d'une carrière de footballeur, avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste.

Élu maire d'Istanbul en 1994, il triomphe en 2002 lorsque son Parti de la justice et du développement (AKP) remporte les législatives. Il devient Premier ministre un an plus tard, une fois amnistiée une peine de prison qui lui avait été infligée pour avoir récité en public un poème religieux.

Pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme libéral et islam modéré, enchaîne les succès, dopé par la croissance "chinoise" de son économie. Réélu en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il se prend alors à rêver à haute voix de rester aux commandes du pays jusqu'en 2023, pour célébrer le centenaire de la République turque.

 

(Lire aussi : Où va la Turquie ?)


Dérives
Mais ce scénario se complique en juin 2013. Pendant trois semaines, plus de trois millions et demi de Turcs descendent dans la rue pour lui reprocher sa main de fer et sa politique de plus en plus ouvertement "islamiste". Le chef du gouvernement répond par une répression sévère des "pillards" et des "terroristes" qui le contestent, mais son crédit démocratique en prend un sérieux coup.

Le discours agressif et clivant dont il ne se départ plus dérange et inquiète. "Depuis qu'il a pris le pouvoir, il a progressivement viré du pragmatisme à l'idéologie, du travail d'équipe aux décisions personnelles, de la démocratie à l'autoritarisme", résume Ilter Turan, professeur à l'université Bilgi d'Istanbul.

En mai dernier, après la catastrophe minière de Soma qui a fait 301 morts, il s'est lui même chargé de nourrir son image controversée en traitant un manifestant de "sperme d'Israël" et en menaçant physiquement un autre. "Si tu hues le Premier ministre, tu vas te prendre une claque !", lui a-t-il lancé. Ces incidents soulèvent l'indignation. Mais faute d'un adversaire à sa hauteur et alors que l'économie du pays, son principal argument de vente, résiste tant bien que mal à la crise, rien ne semble pouvoir barrer la route à M. Erdogan.

Après celle modérée et apaisée de son compagnon de route Abdullah Gül, beaucoup redoutent maintenant une présidence tendue, heurtée, partisane. "Combien de temps va-t-il pouvoir gouverner comme un président partisan, en guerre avec la moitié du pays", s'inquiète l'éditorialiste Semih Idiz. "Erdogan va utiliser jusqu'à leur extrême limite tous ses pouvoirs constitutionnels", prédit l'universitaire Ahmet Insel, "ça va conduire à une sérieuse crise de régime en Turquie, source d'encore plus d'instabilité et de turbulences".

 

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