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Culture - Rencontre

Charles Dantzig dresse le culte des chefs-d’œuvre littéraires

À l'initiative de « L'Orient Littéraire », du Mouvement culturel Antélias et de l'Institut français, Charles Dantzig, de passage à Beyrouth, a disséqué la notion de chefs-d'œuvre au cours d'une causerie avec Alexandre Najjar, devant une salle – remplie de férus de littérature – non pas comble, mais comblée par la prestation de l'auteur invité !

Alexandre Najjar et Charles Dantzig au cours de la causerie à Antélias. Photo Michel Sayegh

Charles Dantzig a beau être «l'un des meilleurs écrivains et intellectuels français de notre époque, polyvalent, curieux de tout, doté d'un style remarquable, d'une vaste culture» comme l'a présenté le directeur de L'Orient Littéraire, il est aussi et surtout un orateur né, à la verve inépuisable, au bagout plein d'entrain, d'humour et de fantaisie. Et qui arrive à faire d'une causerie littéraire l'équivalent d'un one man show, en rendant la séance aussi plaisante qu'intéressante!


«Il allie l'érudition des encyclopédistes à l'originalité, à la rigueur et à l'impertinence», souligne d'ailleurs aussi Alexandre Najjar qui jouera, dans le cadre de cette rencontre, le rôle d'avocat du diable ou plutôt de contradicteur face à l'élitisme quelquefois trop tranché de l'auteur d'À propos des chefs-d'œuvre, essai paru en 2013 aux éditions Grasset. Une maison dans laquelle l'essayiste, romancier et poète français occupe la fonction de directeur littéraire, parallèlement au feuilleton qu'il tient au Magazine Littéraire, à l'émission hebdomadaire qu'il anime sur France Culture, à ses traductions d'Oscar Wilde et Francis Scott Fitzerald... Sans compter ses propres publications à succès dont le fameux Dictionnaire égoïste de la littérature française qui lui a valu le Prix de l'essai de l'Académie Française en 2005 suivi, entre autres, du Grand Prix Jean Giono pour l'ensemble de son œuvre en 2010.


C'est dire si Charles Dantzig est habilité à explorer la notion de chefs-d'œuvre en littérature. Même sur la base d'une approche finalement très subjective et personnelle... Et qui laissera un peu l'auditoire sur sa faim. Car, pour captivant qu'il soit, le conférencier ne donnera pas une définition précise du chef-d'œuvre littéraire, ni même des critères de sélection qui font d'un texte une œuvre extraordinaire, la plus proche possible de l'absolu.
Et c'est d'avantage en lecteur passionné, en fin critique et conteur «joyeusement» érudit qu'il captivera la salle par ses histoires de – ou plutôt sur – la littérature rehaussées de petites anecdotes, de saillies amusantes et digressions, au final, très enrichissantes.

 

« Aucun chef-d'œuvre n'est parfait ! »
De cette causerie donnée à Antélias, on retiendra que la notion de chef-d'œuvre est universelle. «On retrouve ce terme à l'identique dans toutes les langues, s'enthousiasme Dantzig, sauf peut-être en langue perse où il est traduisible par l'œuvre d'un roi.» On apprendra qu'en France, «il est apparu vers l'an 1200 et qu'à l'origine il était dévolu à l'artisanat, avant de commencer à être appliqué aux beaux-arts vers 1500 et un peu plus tard à la musique. Tandis que, bizarrement, on ne l'évoque toujours pas en littérature», signale Dantzig. Qui, tel un Sherlock Holmes, retrouvera toutefois la toute première trace de son attribution aux belles lettres chez Voltaire, dans un texte où l'auteur de Zadig plaide en faveur de Corneille, alors conspué pour l'inégalité de son répertoire.


Apparue tardivement donc, la notion de chef-d'œuvre en littérature reste toujours très difficile à définir, à en juger par l'échec des tentatives de trouver des traits et critères communs entre des textes aussi dissemblables qu'À la recherche du temps perdu de Proust, l'Ulysse de Joyce, Le Rouge et le Noir de Stendhal, Le Guépard de Lampédusa, Le Don Quichotte de Cervantès, Guerre et paix de Tolstoï ou encore L'Iliade et l'Odyssée d'Homère, pourtant considérés comme des monuments de la littérature.


«Le chef-d'œuvre est un livre qui a créé ses propres critères. Le jugement qu'on y porte est assez immatériel. Il est un monde en lui-même», signalera Charles Dantzig. Répondant à une question d'Alexandre Najjar, il fera remarquer que le chef-d'œuvre n'est pas nécessairement synonyme de classique, ni de perfection, donnant en exemple le Théorème de Pasolini. «Aucun chef d'œuvre n'est parfait», assure-t-il, dénonçant, par ailleurs, «l'illusion rétrospective que les chefs-d'œuvre ont toujours été adorés».


Le chef-d'œuvre est-il alors ce texte immuable, qui échappe au temps? «Absolument pas. Il y a des livres oubliés qui sont quand même des chefs-d'œuvre», rétorque Dantzig, évoquant à l'appui L'astrée d'Honoré d'Urfé, porté aux nues en 1820 et aujourd'hui totalement éteint, ou encore Belle du Seigneur, «prototype même du chef-d'œuvre en train de disparaître depuis quelques années».


«Est-ce que les auteurs français d'aujourd'hui sont encore capable de produire des chefs-d'œuvre?» demandera encore Alexandre Najjar à son hôte. Réponse diplomatique de l'intéressé, rappelant surtout que «la France a apporté l'abstraction et la réflexion dans les romans».


Finalement, si ni la beauté du style ni la profondeur de la pensée, pas plus que l'histoire en elle-même ou le succès populaire, et encore moins le jugement de la critique ne déterminent le chef-d'œuvre, «peut-être que le critère essentiel serait alors le personnage?» fait remarquer une voix dans la salle. «Tout à fait, lui répondra Charles Dantzig, c'est le personnage qui fait le chef-d'œuvre. Tout grand livre se mesure à ses personnages.» Voilà une piste sérieuse à explorer. Même si, au final, et comme le dit si bien Charles Dantzig: «La littérature (reste) une langue mystérieuse.»

Charles Dantzig a beau être «l'un des meilleurs écrivains et intellectuels français de notre époque, polyvalent, curieux de tout, doté d'un style remarquable, d'une vaste culture» comme l'a présenté le directeur de L'Orient Littéraire, il est aussi et surtout un orateur né, à la verve inépuisable, au bagout plein d'entrain, d'humour et de fantaisie. Et qui arrive à faire d'une...
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