Rechercher
Rechercher

Ensablements

C'est un cas de désertification fort singulier que représente aujourd'hui notre vert Liban. Car le sable s'y est installé partout sauf là où il devrait se trouver, c'est-à-dire sur nos plages chaotiquement envahies par le béton.


Il ne s'agit pas seulement ici, hélas, de ces hélicoptères anti-incendie qui, faute de crédits pour l'entretien, faute de conscience professionnelle – et même de conscience tout court – achèvent de rouiller tranquillement au sol, alors que brûlent nos forêts. L'affaire ne se limite pas non plus à ces canaux d'écoulement des eaux jamais désencrassés à temps et qui, à la moindre averse, transforment les routes en torrents de boue.


Bien plus gravement ensablés en effet sont nos institutions, notre système, nos mœurs politiques. Par cargaisons entières de mauvaise foi, d'ignorance délibérée du jeu démocratique, on obstrue ainsi le chemin d'un Parlement appelé pourtant à élire, à très bref délai, un président de la République. Et comme si de faire barrage au prochain pensionnaire du palais de Baabda n'était pas encore assez, ce sont des tonnes d'immondices que l'on déverse impudemment devant le portail du patriarcat maronite de Bkerké en reprochant au chef de la plus grande Église catholique d'Orient, hier encore porté aux nues, sa pastorale, sa courageuse décision d'aller à la rencontre de ses ouailles de Terre sainte pour y accueillir le pape François. Présidence, patriarcat : à l'heure où se trouve de plus en plus contesté – dans les faits, davantage encore qu'en paroles – le principe sacro-saint de la parité islamo-chrétienne, on ne saurait voir un fait fortuit dans ce raid visant les deux instances les plus hautes de la chrétienté libanaise.


Que dire par ailleurs de l'acharnement que mettent nos voisins, proches et moins proches, à vouloir faire de nous tous de la chair à canon, de vulgaires sacs de sable. Il fut un temps, ainsi, où, pour le chef palestinien Abou Ayad, la route de Jérusalem passait nécessairement par Jounieh ; mais du moins Abou Ayad et ses hommes avaient-ils la mince excuse d'affronter Israël quand ils n'étaient pas trop occupés à saccager le Liban. Puis ce fut la Syrie, qui tout en se gardant de la moindre initiative militaire dans le Golan occupé, entreprit de résister jusqu'au dernier Libanais grâce aux bons soins des fedayine d'abord, du Hezbollah par la suite.


C'est à la rébellion de son propre peuple que s'affaire à résister désormais le sanguinaire régime de Damas, et c'est donc la théocratie de Téhéran qui s'affirme sans complexe comme le véritable maître des lieux. C'est ainsi qu'il y a quelques jours, un ancien chef suprême des gardiens de la révolution, demeuré toutefois le conseiller militaire de l'ayatollah Khamenei, repoussait d'autorité la frontière de son pays jusqu'aux rivages méditerranéens, faisant du Liban-Sud sa première ligne de défense méridionale.


Voilà qui n'était certes pas très courtois, et encore moins amical, envers les Libanais, toutes appartenances confondues. Mais surtout, de tels propos ne sont guère flatteurs pour les alliés locaux de l'Iran eux-mêmes, traités de la sorte en exécutants, en instruments, en disponible et abondante chair à canon. Se refuser à l'admettre c'est, pour les intéressés, faire l'autruche. Ce n'est pas le sable qui manque pour cela.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

C'est un cas de désertification fort singulier que représente aujourd'hui notre vert Liban. Car le sable s'y est installé partout sauf là où il devrait se trouver, c'est-à-dire sur nos plages chaotiquement envahies par le béton.
Il ne s'agit pas seulement ici, hélas, de ces hélicoptères anti-incendie qui, faute de crédits pour l'entretien, faute de conscience professionnelle – et...