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Moyen Orient et Monde - Le point

Grandes causes et petits effets

« Une grande nation, une grande puissance. » Ce serait chercher une bien mauvaise querelle à Monsieur Recep Tayyip Erdoğan que de lui reprocher ce cri du cœur lancé l'an dernier lors du quatrième congrès général de son Parti de la justice et de la liberté. D'ailleurs, nul ne lui en a tenu rigueur. C'est plutôt l'appel adressé à la jeunesse turque qui avait retenu l'attention des politiciens et des politologues, invitée qu'elle était, cette jeunesse, à avoir les yeux tournés « non seulement vers 2023, mais aussi vers 2071 ». L'évocation des deux dates n'est pas, loin de là, purement fortuite. La première sera celle du centenaire de la république créée par Mustafa Kemal. Quant à la seconde, elle devrait rappeler à ceux qui l'auraient oublié le millième anniversaire de la bataille de Manzipert (ou Malazgirt), qui vit les seldjoukides d'Alp Arslan vaincre les troupes de l'empereur byzantin Romain IV Diogène.


Si, à en croire de nombreux observateurs, la Turquie « erdoğanienne » serait en train de bousculer le legs d'Atatürk, elle semble aussi engagée sur une voie qui n'a rien de rassurant pour ses voisins immédiats d'abord, pour certains membres de l'Union européenne ensuite. Le réveil du sentiment de grandeur auquel il invite ses concitoyens déboucherait – tel est, à tout le moins, l'objectif déclaré de l'intéressé – sur l'accession du chef du gouvernement à la première magistrature, un fauteuil aujourd'hui occupé par son allié au sein de l'AKP, Abdullah Gül. Vendredi dernier, le parti a refusé de modifier son règlement empêchant ses élus de briguer plus de trois mandats successifs, ce qui (un paradoxe en apparence seulement) est de nature à renforcer la perspective d'une candidature d'Erdoğan à la présidentielle appelée à se dérouler en août prochain. Pour peu que tout se déroule comme prévu, le prochain hôte du Çankaya Koşlü (siège de la présidence) sera donc le leader du parti. Lequel se résoudrait alors à ronger son frein en attendant son retour à la présidence du Conseil, passé les cinq années de « purgatoire » présidentiel. En somme, un scénario qui n'est pas sans rappeler le pas de deux Poutine-Medvedev.


En attendant, le régime est en train de renforcer son emprise sur le pays. C'est ainsi que les manifestants du 1er Mai se sont vu interdire l'accès de la place Taqsim, au cœur d'Istanbul, où demeure vivace le souvenir des émeutes de l'an dernier contre le projet du parc Gezi. À Ankara et en province, un important dispositif policier avait été déployé afin de prévenir des mouvements de foule. Certains organes de presse proches du pouvoir avaient jugé bon de publier des images d'« agents de l'opposition » postés devant un étalage de bouteilles de bière, ce qui en faisait automatiquement des débauchés. Les photos, était-il apparu par la suite, avaient été prises en Ukraine ; dans le même temps, les « traîtres » étaient sommés de mettre fin à leur sale jeu. Qu'importe, le grand rendez-vous se tiendra donc le 31 mai.


Le climat politique est devenu malsain au point que Freedom House, une ONG au service de la promotion de la démocratie et financée en grande partie par Washington, a estimé le 2 mai, journée de la liberté de la presse, que la Turquie détenait le bien triste privilège du plus grand nombre de journalistes emprisonnés. L'essor économique peut-il suffire à jeter un voile pudique sur ces réalités? Imparfaitement, oui, car les affaires marquent le pas, les investisseurs se font rares et l'envol de la monnaie nationale se fait lourd.
Et puis il y a ce qui est devenu l'affaire Gülen, ce « pain in the neck » comme disent les Américains. Le prédicateur et fondateur du mouvement Hizmet a beau se trouver à des milliers de kilomètres de la scène locale (il vit en Pennsylvanie), ses directives n'en constituent pas moins une source de souci pour le pouvoir. Le vaste coup de filet anticorruption, c'est lui qui en est l'inspirateur ; lui encore l'auteur indirect de la découverte d'un trafic illicite d'or vers l'Iran ; lui enfin le mystérieux dénonciateur de malversations dans des marchés publics dans le district stambouliote de Fatih. Depuis, les magistrats qui avaient initié une série d'enquêtes sur ces affaires ont été mystérieusement démis de leurs fonctions et la montagne de scandales a fini par accoucher d'une souris.


Mais le gouvernement veut plus. Il veut désormais obtenir l'extradition de Fethullah Gülen, portant le très mesuré New YorkTimes à se fendre d'un éditorial au titre virulent : « Let Erdogan fight his own battles », dans lequel il déplore que l'on puisse politiser une affaire qui n'est à l'origine qu'une lutte pour le pouvoir. En attendant une improbable issue à tous ces problèmes, le Premier ministre entend poursuivre son combat tous azimuts. Hier, c'était le salut des habitants (musulmans) de la province thaïlandaise de Pattani qu'il visait, après le combat en faveur de Mohammad Morsi, la cause du Bangladais Abdel Qader Mollah et maintenant les Tatars de Crimée...
Qui sait de quoi demain sera fait ?

 

 

« Une grande nation, une grande puissance. » Ce serait chercher une bien mauvaise querelle à Monsieur Recep Tayyip Erdoğan que de lui reprocher ce cri du cœur lancé l'an dernier lors du quatrième congrès général de son Parti de la justice et de la liberté. D'ailleurs, nul ne lui en a tenu rigueur. C'est plutôt l'appel adressé à la jeunesse turque qui avait retenu l'attention des...
commentaires (3)

IL BALANCE SUR DES FILS AUX AIRS DE LA DANSE DU VENTRE... ET DES RÊVES D'HÉGÉMONIE OTTOMANE...

LA LIBRE EXPRESSION

21 h 49, le 06 mai 2014

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • IL BALANCE SUR DES FILS AUX AIRS DE LA DANSE DU VENTRE... ET DES RÊVES D'HÉGÉMONIE OTTOMANE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 49, le 06 mai 2014

  • "De quoi demain sera fait ?" ! Eh ben, il terminera same que le KGBiste nain poutinien et donc comme tout populiste, dans les poubelles de l'Histoire et l'oubli.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 23, le 06 mai 2014

  • Je n'avais jamais lu un article sur la Turquie aussi bien fait . Cela nous ramene a comprendre l'expression : mais qu'est il donc alle faire dans cette galere ! Merci Merville on s'en sort moins ignorant après cette lecture . Ah Ah , de quoi demain sera fait ??!!!! et bien un monde ayant mieux compris la politique de la danse du ventre .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 30, le 06 mai 2014

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