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Moyen Orient et Monde - commentaire

L’évangile de François

Le pape François se définit lui-même comme un « fils obéissant de l’Église ». Andreas Solaro/AFP

Les papes Jean XXIII et Jean-Paul II constituent un couple étrange au sein du catholicisme romain. Jean XXIII, le pape affable qui voulait assouplir une Église rigide, et Jean-Paul II, le pape combatif qui s'est efforcé de limiter ce qu'il considérait comme les excès du concile de Vatican II convoqué par Jean XXIII, paraissent diamétralement opposés sur le plan idéologique. Pourtant le pape François va les canoniser tous deux ce mois-ci. C'est une décision surprenante qui éclaire ses objectifs et démontre qu'il ne veut pas de cette polarisation.
Il espère par cet acte rendre le catholicisme plus rassembleur et plus attirant. Il est certainement en très bonne position pour impulser ce changement. Sa popularité est considérable, elle dépasse même celle du président Obama lors de ses tout premiers jours à la Maison-Blanche. On apprécie son enseignement par l'exemple et par des gestes spectaculaires, plutôt que par des encycliques – ce qu'illustre sa canonisation des deux stars rivales de Vatican II.
Cette stratégie sera-t-elle suffisante pour ramener dans le giron de l'Église les catholiques qui s'en sont éloignés ou pour combler le fossé entre la génération des partisans de Jean-Paul II, très majoritairement conservatrice, et les jeunes catholiques plus à gauche ? Les éléments récalcitrants de l'establishment catholique seront-ils sensibles aux changements introduits par François ?
Le processus de modernisation lancé par Jean XXIII correspondait bien à l'effervescence du début des années 1960. Jean-Paul II considérait son long pontificat, de 1978 à 2005, comme un réajustement nécessaire après la période de licence morale et d'expérimentation sexuelle des années 1960. François quant à lui structure son pontificat comme une espèce de synthèse de cette tension dialectique.
Jusqu'à présent, la politique de François n'a pas entraîné le type de confrontation ou de mobilisation de masse qui accompagne souvent un changement de régime dans un système autoritaire. Cela ne signifie pas que tout se déroulera sans heurt. François reste confronté à l'apathie de nombre de croyants, notamment dans les pays industriels où les catholiques mécontents remettent de plus en plus fréquemment en question leur engagement ou choisissent simplement de se tenir à l'écart. Le style apaisant de François semble freiner cette érosion ; pour autant il n'est pas certain qu'il parvienne à inverser la tendance.
Tout d'abord, il est plus difficile de rassembler autour d'un programme constructif que de construire une solidarité fondée sur l'opposition à un supposé ennemi. François suit une autre voie que Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI qui se lançaient dans des imprécations et des accusations de « relativisme », de « sécularisme », de « nihilisme » et d'autres « ismes » pour rallier leur base. Il affiche un programme centré sur la justice sociale qui s'accorde parfaitement avec l'inquiétude croissante qui se manifeste un peu partout au sujet des inégalités de revenus. Mais jusqu'à présent, il n'a qu'un impact limité sur les décideurs politiques catholiques tels les députés républicains du Congrès américain Paul Ryan et John Boehner, ou les personnages puissants au sein de l'Église.
François va être confronté à un second obstacle potentiel : à l'image de ses prédécesseurs, il lance une révolution qui vient d'en haut. Les réformes de Vatican II ne sont pas venues d'une lame de fond populaire, mais de la décision de théologiens et d'évêques progressistes. Cette approche hiérarchique dans laquelle la majorité reste spectatrice est une raison majeure de l'indifférence des chrétiens de base.
L'indépendance croissante des laïcs par rapport aux autorités cléricales constitue aussi un défi majeur pour François. Depuis quelques dizaines d'années, des dirigeants et des employés laïcs remplacent en grande majorité les religieux dans les écoles, les hôpitaux et les ONG catholiques. C'est pourquoi depuis Vatican II le contrôle de l'épiscopat, et finalement celui du Vatican, sur les organisations liées à l'Église s'est-il peu à peu relâché. Ainsi aux États-Unis la moitié du budget des organisations caritatives catholiques vient de l'État. Pratiquement aucune de ces institutions n'est en rébellion ouverte contre Rome, la plupart poursuivant tranquillement leur chemin.
Il en est de même de beaucoup de catholiques de base. Pieux à leur manière, ils suivent leur conscience ou font comme bon leur semble – louvoyant chacun à sa manière entre les interdictions de l'Église et ses choix de vie. Ainsi que l'a formulé l'acteur Bob Newhart, « le pape ne s'occupe pas de nous et nous ne nous occupons pas de lui ».
Les initiatives du pape sont donc limitées par des contraintes culturelles et institutionnelles. Aussi François ne va-t-il sans doute pas dépasser certaines limites. Se définissant lui-même comme un « fils obéissant de l'Église », il est peu probable qu'il choque les fidèles en matière de sexualité ou d'ordination des femmes.
Néanmoins, son passé de jésuite lui a inspiré une certaine indépendance d'esprit et le don de surprendre (ce qu'il fait en canonisant simultanément Jean XXIII et Jean-Paul II comme si de rien n'était). La Société de Jésus – dont la spiritualité repose sur une combinaison apparemment discordante mais persistante de mysticisme et de réalisme politique – a forgé une alliance paradoxale entre respect des desiderata institutionnels et volonté de reconnaissance des talents individuels.
Les hiérarchies traditionnelles cultivent souvent des excentriques en leur sein pour servir de parure à un ordre rigide. Le catholicisme a eu ses papes fous, ses mauvais papes et occasionnellement ses bons papes. Il est habitué à voir son univers bousculé pendant de brèves périodes de défoulement avant de revenir à la normale.
On peut se poser une question au sujet de François. Sommes-nous au début de ce que Max Weber qualifiait de sourd grincement d'une planche que l'on met lentement en mouvement – la mise en œuvre d'un programme concret de réformes structurelles reposant sur une personnalité charismatique –, ou alors le changement n'est-il que poudre aux yeux, une illusion ?

© Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2014. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz.

Les papes Jean XXIII et Jean-Paul II constituent un couple étrange au sein du catholicisme romain. Jean XXIII, le pape affable qui voulait assouplir une Église rigide, et Jean-Paul II, le pape combatif qui s'est efforcé de limiter ce qu'il considérait comme les excès du concile de Vatican II convoqué par Jean XXIII, paraissent diamétralement opposés sur le plan idéologique. Pourtant le...

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