Pour le charisme, ce n'est toujours pas cela. Même si de (jolis) petits progrès ont été faits. Mais cela n'est pas si grave : en 1992, on ne risquait pas non plus de confondre Rafic Hariri avec Winston Churchill. En revanche, dans le fond, quelque chose a changé en cette 9e commémoration de l'assassinat du père ; quelque chose, comme un centre de gravité, s'est déplacé. Du coup, le verbe de Saad Hariri a pris une ampleur surprenante. Une consistance, aussi.
Naturellement, tout cela aurait été bien plus perceptible, plus concret, si l'héritier avait été présent, en chair, en os, en cravate bleue, au BIEL. S'il avait serré des mains, embrassé des joues, mouillé sa chemise, décoiffé ses cheveux, s'il s'était mis en danger : s'il s'était débunkérisé, rompant ainsi avec cette mode sinistre lancée par Hassan Nasrallah après la guerre de 2006 et qu'il a faite sienne après sa démission du Sérail. S'il était sorti du terrier, du sous-sol, comme chez Dostoïevski ou Kafka.
En attendant, même offert au monde par écran interposé, ce discours de la Saint-Valentin cuvée 2014 restera fondateur. D'une impressionnante fluidité, il s'étend carrément en trois dimensions et sur trois continents (libanais) à la fois.
Saad Hariri s'est adressé aux sunnites : la leçon de savoir-vivre qu'il leur assène est mémorable. Savoureuse. Tout y passe : l'identité, la nature et la culture de cette communauté, son rôle, son devenir, ses démons et ses liaisons. Et à ce sunnisme devenu plus bobo que bling-bling, Daech oblige, qu'il incarne jusqu'au bout de son bouc et dont il finit par dresser la carte du Tendre, il offre un GPS universel.
Saad Hariri s'est adressé aux chiites. Ou du moins à une (grande) partie d'entre eux, celle des modérés, a-t-il précisé, emmenée, a-t-il insisté, par l'ex-complice ès farces et attrapes de son père, l'insubmersible Nabih Berry. En mettant le doigt sur un concept financier primitif, celui du bénéfice et des dividendes, en demandant à ces modérés chiites ce que leur communauté gagne de par l'implication du Hezbollah en Syrie aux côtés du gang Assad, c'est rien moins qu'une invitation au voyage qu'il leur lance. Une circumnavigation, un voyage de Gulliver : celui d'un printemps chiite, d'une intifada interne, d'un retour à la source, celle de l'imam Chamseddine.
Saad Hariri s'est adressé aux chrétiens (en général, aux maronites en particulier). Rompant férocement avec son père époque paléolithique, lorsque Rafic Hariri n'avait toujours pas compris que ces chrétiens ne voulaient aucunement de ces services de protecteur qu'il n'avait de cesse de leur proposer ou de vouloir leur imposer, le jeune patron du Futur a mis au cœur de l'infernal algorithme libanais l'hyperquestion de la présidence de la République.
Petit problème : on ne savait pas s'il destinait ses caresses à ses alliés chrétiens, Samir Geagea en tête, avec qui il s'est sans doute amusé à une très sympathique et très Lubitsch distribution des rôles (qui est in, qui est out de l'équipe Salam...), ou à... Michel Aoun, auquel le lie désormais, dit-on, une alchimie partagée et surréelle, une sorte de contrat de mariage de plaisir, un antidocument de Mar Mikhaël, sûrement moins durable, sûrement plus drôle. Enfin, tout dépend pour qui.
Le jeune Hariri fait ses griffes. Il les fait plutôt bien. Tellement, en réalité, qu'il faudrait peut-être commencer à changer (presque) tous les meubles.
P-S : c'est peut-être plus prosaïque, mais infiniment plus urgent. Que le gouvernement voie le jour dans la matinée, à la mi-avril, ou jamais n'y change rien : Michel Sleiman et Tammam Salam peuvent et doivent frapper un grand coup et entrer dans l'histoire en créant un ministère des Droits de la femme, sans doute un des trois portefeuilles dont le Liban a le plus atrocement besoin en ce moment. Et nommer, à sa tête, une femme. Bien sûr. Ils ont l'embarras du choix.
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commentaires (4)
Le gouvernement est né, mais la femme est toujours mal representée. Triste.
Sabbagha Antoine
17 h 35, le 15 février 2014