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Culture - Spectacle

« Il était une fois »... Et il est toujours, d’une étincelante féerie, Caracalla !

 « Kan Ya Ma Kan »... « Il était une fois », un conte-spectacle d'une étincelante féerie, d'un Orient revisité sous le triumvirat du père, fils et fille Caracalla. Une reprise au théâtre Ivoire (Horch Tabet), en leur fief scénique, pour traduire en images, somptueuses et mouvantes, le faste et les couleurs du Levant d'hier et d'aujourd'hui.*

De l’énergie, de la rigueur et une qualité supérieure que ce spectacle des Caracalla. Photo Nasser Trabulsi

Ce qui a ébloui dans la grande cour de Beiteddine, en étant parfaitement intégré à un cadre princier, éblouit toujours dans son nouvel écrin compact et intimiste. Avec les mirobolants moyens techniques modernes où les illusions de la perspective et de la réalité sont habilement entretenues par une virtualité hallucinante.
Une salle comble, en présence du président de la République, Michel Sleiman, entouré d'un aréopage de personnalités politiques de premier rang ainsi que de nombreux représentants du monde de la culture, des arts, des médias audiovisuels et de la presse écrite.

Avant que Les Mille et Une Nuits de Shéhérazade de Rimsky-Korsakov ne déversent leurs flots de passions et de notes emmêlées ou en arc-en-ciel, Talal Haïdar, satellite et attaché culturel de la troupe, annonçait au public que la «Troupe de danse Caracalla» s'est vu décerner une médaille de haut vol, en récompense honorifique, par le chef de l'État.

Et c'est avec cette distinction que les danseurs «médaillés» exécutent leurs premiers pas bondissants ou chaloupés au-devant des feux de la rampe, sous une pluie d'applaudissements avec des spectateurs tous regard et ouïe, avides d'un voyage sur les ailes d'un tapis volant...

Trois tableaux cousus de fil blanc – excusez le glissement de style – avec un fil d'or ou d'argent car, ici, tout est brillant comme un sou neuf! De la narration des magnificences de la Perse et de l'Inde, source de ce verbe aux histoires et personnages en miroir, demeurent l'agilité, la souplesse, la grâce et la bravoure corporelle de danseurs, familiers des prouesses physiques et des mouvements de fins équilibristes.
Devant un fantomatique roi au nez en éteignoir de cierge, affalé sur son trône, sous l'âge et la tiare en courge monumentale sertie de pierreries, évolue une cour rusée et perverse, bourrée d'intrigues et de machinations. Avec l'insolente agressivité de deux frères qui s'entre-tuent pour l'amour d'une femme. Pour finir dans un effroyable bain de sang digne du massacre de la nuit de la Saint-Barthélémy pour infidélités conjugales et battements de cœur incontrôlables.

Décor léché, tableaux chatoyants, parfois un peu kitch, à l'orientalisme grandiose et sulfureux, tels des dessins sinueux d'Aubrey Breadsley ou une vision de bacchanale «fokinienne».
Un style rococo, à la fois maniériste et vif, qui mène droit aux rêves sensuels et vaporeux. Avec des audaces insoupçonnées où un eunuque (dansé avec un talent déroutant pour l'androgynie par Samer Farès) maîtrise avec ses déhanchements provocants et «nijinskiens» un harem en proie à une luxure et une volupté sans vergogne.

Les morts enterrés en coulisses ressurgissent après la pause, en actants d'un bazar oriental haut en couleur et accessoires d'embellissement, de fumerie ou de boisson, en cuivre rutilant. Tentures, étals et marchands de saison sur charrettes, avec jongleurs et Triboulet nabot et amusant. Le Boléro de Ravel fait merveille, avec ses pulsations entêtées, sensuelles et en crescendo, avec ce «souk» bruyant, heureux et regorgeant de monde. Des femmes aux «niqabs» dignes des masques vénitiens les plus extravagants et des produits exotiques alléchants et soigneusement rangés.

Quatre danseuses solistes, harnachées de plumes et emperlées tournent comme des toupies et lancent des pointes nerveuses. Dont une (Alexandra Orlyanska), au costume de colombine levantine, remarquable de précision et densité gestuelles.

Le mot de la fin est toujours au village libanais, comme chez Astérix pour le village gaulois... Coussins en bouts de tapis précieux, chant vibrant du patrimoine, café à la cardamone moulu, «eggal», abaya, «keffieh» et «mandils» à glands et sequins qui tintent. À l'ombre du cèdre millénaire, toute la panoplie de la joie de vivre et de l'hospitalité de notre pays est là.

On sourit devant la naïveté de cette paix et de cette harmonie retrouvées quand Beyrouth est scandaleusement éventrée à la veille des fêtes (mais qui a permis à ces entrepreneurs d'offrir ces cadeaux empoisonnés en cette période sacrée ajoutant la laideur à la laideur et la poisse à la misère, déjà si grandes?), que la Békaa est molestée, Saïda agressée et Tripoli exsangue et aux abois depuis des lustres...

Mais Caracalla s'en détourne et donne l'autre visage de Janus. Celui de l'espoir, du réconfort, de la civilité, du raffinement, de l'art, du mérite de toujours, bien et mieux faire. Et en avant les bottes rouges (avec des costumes d'une conception flambant neuve pour cette version de Kan Ya Ma Kan) pour une «dabké» forcément endiablée et d'une décapante tonicité. Avec en tête du peloton Omar Caracalla (le frère de 65 ans, toujours droit comme un i), passe-temps en pierres sombres en main, fendant l'air comme un fanion qui bat le vent. Sans un faux pas, agile, le souffle un peu court mais parfaitement dans la cadence et le rythme.

Après presque un demi-siècle de présence sous les spots pour se hisser aux premiers rangs des représentants de la danse, aussi bien au Liban qu'à l'étranger, Caracalla reste l'une de nos dernières valeurs sûres.

De par son énergie, son inflexible rigueur pour une qualité supérieure de spectacle, ses innovations sonores (les œuvres de Rimsky-Korsakov et Ravel orientalisées ici en toute finesse avec un soupçon de métissage, mixage et arrangements pour une atmosphère de rêve sans frontières), de l'étourdissante beauté et variété de ses costumes (toutes cette débauche d'étoffes, quel inépuisable trésor à faire rêver les ateliers des maisons de plus haute couture du monde), cette chorégraphie toujours plus affûtée, plus inventive, plus aérienne, plus exigeante.

Du dé d'or attribué avec mention émérite à Abdel Halim pour ses costumes et choix de tissus, au gant de fer et de velours accordé à Yvan pour sa direction toute en teintes «zeffirelliennes» pour un fini impeccable, en passant par le trophée de maîtrise de langage des corps pour Alyssar. Elle qui assure, avec dextérité, entrechats, arabesques, culbutes, cabriole, piqué, jeté, coupé, pirouettes, grand écart, même dans l'air, quand une danseuse est portée comme un palanquin...

Les Caracalla, c'est un héritage, une hérédité, une institution, une gloire nationale et une complicité. Complicité entre membres d'une même famille (et cela inclut toute la troupe qui est une extension d'un métier lequel est un même foyer) et du public.

Un public qui n'a pas cessé d'avoir, depuis 1968, pour cet enfant de Baalbeck amoureux des chevaux, médusé devant Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, éperdument épris de la danse, le regard de Chimène pour Rodrigue... Et ce pas de deux, du «Pygmalion» de la danse libanaise et du public, est loin de céder à sa dernière séquence.

*Salle Ivoire, Sin el-Fil, toute la saison 2013-2014

Ce qui a ébloui dans la grande cour de Beiteddine, en étant parfaitement intégré à un cadre princier, éblouit toujours dans son nouvel écrin compact et intimiste. Avec les mirobolants moyens techniques modernes où les illusions de la perspective et de la réalité sont habilement entretenues par une virtualité hallucinante.Une salle comble, en présence du président de la...

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