Rechercher
Rechercher

Culture - Photo

Rétrospective Sibylle Bergemann : un regard sensible sur les « marges du monde »

Présentée par le Goethe Institut de Beyrouth à la Villa Audi, une belle sélection d'œuvres de la grande photographe berlinoise Sibylle Bergemann offre un intéressant aperçu de la photographie artistique allemande. D'avant et d'après la réunification...

Autoportrait à la caméra Leica.Photos Succession Sibylle Bergemann

«Ce sont les marges du monde qui m'intéressent, plus que son centre. Je ne me préoccupe que de ce qui n'est pas interchangeable. De ce qui, dans un visage ou un paysage, ne s'harmonise pas totalement...», disait Sibylle Bergemann.


Une affirmation dont on retrouve l'esprit dans bon nombre d'images que donne à voir l'exposition qui lui est consacrée à Beyrouth. Comme dans ses «portraits en majesté» d'acteurs appartenant à une troupe exclusivement formée d'handicapés mentaux, ses photos de kiosques Nescafé en plein désert africain ou encore ses shootings de mode en noir et blanc sur fond de façades délabrées et de bâtiments d'usines...
Sibylle Bergemann, décédée en 2010 à l'âge de 69 ans, fut l'une des chefs de file du renouveau de la photographie allemande, à laquelle elle apportera sa sensibilité particulière aux univers de l'enfance et de la féminité, ainsi que sa rébellion feutrée au régime de l'ex-RDA.
Celle qui cofondera dans les années 90 l'agence Ostkreuz (le pendant berlinois de l'agence Magnum) et deviendra membre de l'Académie des arts de Berlin en 1994 a en fait embrassé cette profession par pur hasard.


Sibylle Bergemann a débuté à Berlin-Est dans les années soixante comme secrétaire au sein de la rédaction d'une revue illustrée. Celle-ci manquant cruellement de bons photographes, elle se lance dans l'image de reportage, épaulée par le fameux Arno Fischer qui deviendra, par la suite, son époux. Elle s'illustrera ensuite dans le portrait et la photo de mode. Et sera sollicitée par les plus grands magazines, après l'effondrement du mur de Berlin. Elle collaborera, entre autres, à Stern et Géo pour des photoreportages à travers le monde...
Cette photographe est-berlinoise a laissé une œuvre riche et dense se déclinant sous des formes esthétiques et techniques aussi variées que la photo de mode, le reportage, le portrait, les paysages ou encore la photo d'art et d'essai. Et cependant toujours empreinte de sa volonté de capter l'individualité des êtres, la singularité des scènes ou encore des objets au sein d'une société dominée par l'uniformisation des masses et la prépondérance de la communauté sur l'individu.

 

Berlin-Est : ville grise, visages en noir et blanc
Dans cette ville sans couleurs qu'était le Berlin-Est d'avant la réunification, Sibylle Bergemann privilégiait la photographie en noir et blanc autant par souci d'un langage esthétique mettant l'accent sur la dureté de la réalité quotidienne, que pour d'évidentes raisons techniques, indique Matthias Flügge, le curateur de l'exposition. Présent à Beyrouth lors du vernissage, le directeur de l'Académie des arts de Dresde et ami de la photographe (avec qui il avait monté cette même rétrospective à Berlin en 2009, quelques mois avant son décès des suites d'un cancer) explique que l'ensemble de son travail forme un harmonieux mélange d'art et de documentaire, de réalisme et de poésie, d'instantanéité et d'intemporalité...


«Il y avait dans quasi chacune de ses photos une sorte de point de vue métaphorique, quelque chose qui va au-delà de la représentation attestée pour en offrir une perception poétique ou encore symbolique. Un second degré de lecture en somme...», indique-t-il. En attestent: ce doux onirisme qui se dégage de la superbe série de polaroïds déclinant des portraits d'êtres et de lieux – dont certains renvoient à des peintures de maîtres. Ainsi que les paysages et les visages, en noir et blanc, captés au moyen de son appareil Leica qui semblent receler un souterrain mystère.


C'est le cas par exemple de la série destinée à documenter les différentes étapes, entre 1975 et 1986, de la construction du Marx-Engels Forum à Berlin-Mitte. «Un travail de commande (du ministère est-allemand de la Culture) que Sibylle Bergemann a traité à sa manière, en représentant les statues de Marx et Engels suspendues dans le vide, les membres démantelés, voire décapités... Cette vision métaphorique préfigurant la chute d'un régime communiste ne sera, évidemment, jamais exposée par les commanditaires! Mais c'est elle qui sera à l'origine de sa renommée mondiale lors de sa publication en 1990, après la réunification allemande.»


C'est donc une belle exposition photographique sous-tendue par une tranche d'histoire contemporaine allemande que donne à voir, à la Villa Audi jusqu'au 13 décembre, le Goethe Institut de Beyrouth en partenariat avec le ministère allemand des Affaires étrangères. Une rétrospective présentant les grands thèmes de l'œuvre de cette artiste phare de la photo allemande, dont les clichés font désormais partie de nombreuses collections internationales. À ne pas rater!

*Achrafieh, quartier Saint-Nicolas, près Centre Sofil. Horaires d'ouverture : du lundi au vendredi de 10h à 18h. Tél. 01-446092.

 

«Ce sont les marges du monde qui m'intéressent, plus que son centre. Je ne me préoccupe que de ce qui n'est pas interchangeable. De ce qui, dans un visage ou un paysage, ne s'harmonise pas totalement...», disait Sibylle Bergemann.
Une affirmation dont on retrouve l'esprit dans bon nombre d'images que donne à voir l'exposition qui lui est consacrée à Beyrouth. Comme dans ses «portraits en...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut