Rechercher
Rechercher

À La Une - L'Orient Littéraire

Le tricotage et détricotage de l’humain

« L’athéisme est incapable de répondre à la question de la légitimité de l’homme. »

© Ed Alcock / MYOP Diffusion

Qu’en est-il de « l’humanisme » à l’heure où la « légitimité » de l’homme est menacée, autant dans les faits que dans la théorie ? C’est à un vaste périple que nous invite, pour répondre à cette question, Rémi Brague car, partis d’une idée et de situations historiques déterminées, nous retrouvons, au bout du parcours, la totalité de l’être. L’auteur, philosophe catholique et professeur à la Sorbonne et à Munich, est un spécialiste reconnu de la pensée médiévale arabe et juive, un grand connaisseur de la philosophie grecque, et il a pratiqué de près Heidegger, Leo Strauss et bien d’autres modernes. Sa maîtrise de nombreux domaines, doublée d’une vaste érudition, donne à son étude son importance et sa foisonnante richesse.

 

Le terme « humanisme », pour nommer l’étude et le soin de l’héritage de l’Antiquité, commence à prévaloir à partir de 1841. Il vise ce trait de la Renaissance italienne (l’humanitas latine traduisant la paideia grecque) qui tend à l’épanouissement de l’humanité de l’homme par la formation classique. L’humain, adjectif biface auquel Brague veut être plus attentif qu’à l’homme, a toujours été plus de l’ordre de la norme que de la constatation. Mais aujourd’hui, c’est comme valeur même qu’il est menacé. Comment en est-on arrivé à ce tournant ?

 

Quatre étapes servent à retracer l’idée humaniste ; elles se suivent et communiquent, mais chacune marque un saut par rapport à celle qui la précède. Dans la première, essentiellement grecque et aristotélicienne, l’homme marque sa différence par rapport aux autres espèces (animal raisonnable et politique, traits d’anthropologie physique…). La deuxième lui sert à marquer sa supériorité, à lui donner une dignité ; il réalise le mieux l’intention de la nature qui le rapproche du divin ; elle est à la fois grecque (Plotin) et biblique (Les Psaumes et l’Incarnation). Avec Bacon et Descartes au début du XVIIe siècle, on parle désormais du « règne de l’homme » et de celui-ci « comme maître et possesseur de la nature ». Si dans cette étape la référence à Dieu est encore présente, il n’en est pas de même dans la quatrième, celle d’« humanisme exclusif » qui se met en place au XIXe siècle et qui fait sienne la reprise par le jeune Marx (1841) de la réponse de Prométhée à Hermès dans la tragédie d’Eschyle : « En un mot, je hais tous les dieux ! »

 

Contre le tissu fusionnel des précédentes significations, le « détricotage » de l’humanisme se fait en trois étapes qu’un chapitre parcourt rapidement et en sens inverse de leur apparition : 1. Loin d’être le maître et possesseur de la nature, l’homme est une menace pour l’environnement et devrait mieux veiller à sa propre survie comme à celle des autres espèces. 2. Loin d’être le meilleur vivant sublunaire, l’homme, seul animal omnivore, menace la vie. Des auteurs (le jeune Flaubert) ou des personnages de romans (Döblin, D. H. Lawrence…) voient mieux la Terre sans lui et sans sa continuelle destruction. 3. Enfin, c’est « la fin de l’exception humaine » par la vulgarisation médiatique, et quelque peu joyeuse, de données biologiques qui immergent « le singe nu » dans les espèces proches.

 

C’est la quatrième étape, celle de l’« humanisme exclusif », qui a été la moins contredite notamment dans son exclusion du divin, et c’est à elle que Brague s’attèle concluant à l’échec de l’humanisme athée. « L’athéisme est incapable de répondre à la question de la légitimité de l’homme. » Sans le Dieu de la Bible, en sa lecture juive ou chrétienne, et sans le « divin » (theion) « dans le style de la philosophie grecque », ni l’homme ni l’humain surtout ne peuvent trouver un fondement théorique, et la baisse du niveau d’humanité, voire la destruction de l’homme, deviennent des effets certains.

 

Pour légitimer l’humain, il faut retrouver la valeur de ce qui est. Dans ce but, il ne sert à rien de revenir aux sciences de la nature qui, pour être payantes par leurs applications techniques et fascinantes par leurs perspectives ouvertes, ne sont pas intéressantes en ce qu’elles ne répondent pas aux « questions constitutives de l’humain ». Une lecture du premier récit de la Création dans la Genèse s’impose, où ce qui est créé est affirmé « bon » et même « très bon ». Le tout se légitime donc et éminemment celui qui en a conscience, l’homme. Les commandements qu’il reçoit ne visent qu’à lui demander d’être ce qu’il est. Il fournit, par ailleurs, la seule image qu’on a de Dieu.

 

Au bout d’un parcours toujours enrichissant, l’impression que nous retenons de ce livre est que nous avons affaire à deux ouvrages reliés certes par mille liens, irrigués par une vaste culture et intégrés dans un plan net, justifiable et justifié, mais d’inspirations bien différentes. D’une part, une mise en place historique de certains concepts et des cadres dans lesquels ils s’impliquent et une analyse rigoureuse d’auteurs tels Foucault et Blumenberg. D’autre part, un champ de pensée illimité surprenant par ses retours et passages et débouchant sur une exégèse philosophico-religieuse. Mais comme ce livre, regroupant des textes d’origine diverse, se présente comme un « satellite » d’un ouvrage plus développé et « plus prudent » à paraître, Le Règne de l’homme, nous espérons que dans l’Opus magnum, la scission se fera moins sentir.

 
Lisez L'Orient-Littéraire dans son intégralité en cliquant ici

Qu’en est-il de « l’humanisme » à l’heure où la « légitimité » de l’homme est menacée, autant dans les faits que dans la théorie ? C’est à un vaste périple que nous invite, pour répondre à cette question, Rémi Brague car, partis d’une idée et de situations historiques déterminées, nous retrouvons, au bout du parcours, la totalité de l’être. L’auteur,...

commentaires (1)

En tant que païen ...je choisi/j'ai choisi mes dieux ou mes anti-dieu intermittents ... en fonction de leurs humanismes dans le temps ... Bon ..même si dieu ...par le plus grand des hasard n'existait pas ...je reste croyant en l'avenir de l'homme et de la femme ....! Quoique... le serpent planqué ...dans le pommier , me dit que les feuilles de vigne sont trop petites....

M.V.

11 h 19, le 22 septembre 2013

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • En tant que païen ...je choisi/j'ai choisi mes dieux ou mes anti-dieu intermittents ... en fonction de leurs humanismes dans le temps ... Bon ..même si dieu ...par le plus grand des hasard n'existait pas ...je reste croyant en l'avenir de l'homme et de la femme ....! Quoique... le serpent planqué ...dans le pommier , me dit que les feuilles de vigne sont trop petites....

    M.V.

    11 h 19, le 22 septembre 2013

Retour en haut