Et entre autres raisons, le journaliste se posait la question suivante : « Les Églises d’Orient ne sont-elles pas plutôt en état de somnolence ? »...
La réponse peut à certains égards être : oui, car on peut toujours mieux faire.
Mais aussi : non, car il y a bien des initiatives, connues, médiatisées, ou moins connues ;
il y a une feuille de route, plutôt deux, celle de l’Exhortation apostolique postsynodale « Une espérance nouvelle pour le Liban », et celle de l’Exhortation apostolique postsynodale « L’Église au Moyen-Orient ».
Et il y a la prière des priants, les vrais acteurs de l’histoire : laïcs, religieux,
religieuses, moines, moniales, action de loin la plus féconde, la plus efficace, et le plus souvent la moins visible, et aussi labourage préparatoire à toute semence et à toute autre action.
Dans l’Évangile du dimanche 11 août, 19e dimanche du temps ordinaire selon le missel romain (Lc 12, 35-48), Jésus exhortait ses auditeurs à être les serviteurs que leur maître en arrivant trouvera en train de veiller (v. 35-40) ; de veiller, et aussi de servir ceux sur lesquels ils ont été établis (v.41-46), c’est-à-dire en train d’agir.
La deuxième lecture de ce même dimanche (He 11, 1-2.8-19) rappelle que « par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait »...
Et je me permets de mentionner dans le même sillage un épisode de la vie de Jérémie, celui de l’achat du champ (Jr, 32). Yahvé, en plein siège de Jérusalem par le roi de Babylone, fait acheter à Jérémie, qui prophétise la dévastation et le malheur prochains, un champ, acte qui se veut en soi gage d’espérance en un rétablissement ultérieur de la bénédiction de Dieu sur cette terre et sur son peuple.
Une partie des disciples du Christ au Moyen-Orient baigne par les temps qui courent dans l’impression que leur destin leur échappe, que leur sort sera en fin de compte la résultante des dynamiques qui tiraillent leur pays, leur région, et sur lesquelles ils n’ont aucune prise.
C’est faux.
Prier, c’est déjà espérer, et c’est se mettre déjà en action.
La prière est une action. Et c’est aussi l’action première, le préalable à toute autre action, cette dernière étant d’autant plus féconde qu’elle en découle.
Prier fidèlement, quotidiennement, pour la paix au Liban nous fait déboucher sur la multitude d’actes concrets, parfois petits et discrets, et parfois héroïques et spectaculaires, qui infléchissent le cours des choses.
« Tout ce qu’il vous dira, (et c’est dans la prière que vous entendez l’Esprit vous le dire...), faites-le » (...posez l’acte qu’il vous inspirera). Il est à noter qu’aux noces de Cana, Marie ne s’en va pas dire aux serviteurs : « Croyez en mon fils », mais plus concrètement et plus impérativement : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Espérer, c’est entreprendre.
C’est Abraham, quittant son pays d’origine pour se mettre en route vers une destination qu’il ne connaît pas encore.
C’est le serviteur, qui continue, malgré l’absence prolongée du maître, à donner aux gens sur lesquels il a été établi, leur ration de blé.
C’est Jérémie qui s’en va acheter le champ, faire un investissement, dans une terre qu’il sait fonçant tout droit vers une dévastation prochaine mais provisoire.
C’est poser un acte, perçu dans notre prière fidèle, quotidienne, et discerné au besoin avec un accompagnateur, ou dans celle de nos pasteurs (les exhortations synodales...), qui peut être inaperçu, dérisoire même, dans le grand tableau des événements et défis, mais qui s’avérera être une pierre dans le seul édifice qui restera sur pied quand tous les autres s’effondreront, celui de la vérité et la charité.
Notre prière est en train de poser les fondements, encore souterrains à bien des égards, d’un « monde nouveau » dans notre région.
Mais encore, nos frères dont l’espérance vacille, qui sont autour de nous, en contact avec nous, ont besoin de signes visibles, d’actes palpables, autant de champs achetés dans une terre en danger.
Au risque de recourir à un cliché, l’avenir des disciples du Christ dans la région est encore à venir.
Ils ne sont pas là pour eux-mêmes ; ils sont là en mission, chacune et chacun. Ils sont le sel de la terre par leur témoignage d’une relation à Dieu qui est de l’ordre du tu et du je, qui ennoblit l’homme, le libère, le guérit, par le témoignage de leur foi en l’amour insensé du Christ pour chaque personne, chacune, indépendamment de tout ce qui fait son « identité », par leur témoignage concret en faveur de sa valeur unique, sacrée, et de sa dignité inaliénable.
L’Esprit a déjà parlé et continue à parler à nos Églises, et il parle à chacun de nous. Laissons-nous toujours orienter par sa brise, appuyés sur celle qui ne se lasse pas de nous dire cette parole par laquelle Benoît XVI avait clos son Exhortation apostolique postsynodale « L’Église au Moyen-Orient » : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »