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À La Une - Le Perspective de Michel TOUMA

Le « pied de nez » de Bachar

« Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre. » Cette petite phrase lancée par Winston Churchill quelques semaines après la signature des accords de Munich, fin septembre 1938 – pour régler la crise des Sudètes et éviter ainsi un conflit armé en Europe –, est passée dans l’histoire et revêt, depuis, un caractère emblématique. Elle symbolise l’aspect illusoire, voire naïf, d’une politique fondée sur le manque de fermeté à l’égard de tyrans sanguinaires.


Comment ne pas raviver dans notre mémoire cette petite phrase de Winston Churchill à la lumière de l’inqualifiable laisser-faire et de la pitoyable passivité dont ont fait preuve, jusqu’à présent, l’administration de Barak Obama et certains milieux occidentaux face à la barbarie sauvage et meurtrière (tous les qualificatifs du genre ne suffiront pas pour refléter la réalité...) du régime de Bachar el-Assad ?


La formule cinglante lancée par Winston Churchill s’applique parfaitement au funeste épisode de l’utilisation massive d’armes chimiques dans le bombardement de la Ghouta la semaine dernière.


Le carnage perpétré dans la banlieue de Damas ne se serait pas produit, à n’en point douter, si le chef de la Maison-Blanche, plus spécifiquement, avait manifesté dès le départ une plus grande fermeté – et une plus grande crédibilité, surtout – pour mettre le holà à la férocité du pouvoir baassiste. La machine de guerre du clan Assad n’en est pas à son premier usage des armes chimiques. Lorsque cette menace était encore potentielle, le président Obama avait publiquement et solennellement affirmé l’an dernier que l’usage d’armes chimiques par Damas serait considéré comme une « ligne rouge » qui entraînerait une riposte immédiate de la part des États-Unis et de la communauté internationale. Or par la suite, le régime syrien a bel et bien eu recours à des agents neurotoxiques, comme l’avaient indiqué à l’époque des rapports officiels aussi bien américains que français et britanniques.


Certes, cet usage d’armes chimiques s’était fait à une échelle réduite, mais le fait que le chef de la Maison-Blanche ait choisi de pratiquer alors la politique de l’autruche afin de ne pas réagir, comme il avait menacé de le faire, a convaincu le régime Assad qu’il bénéficiait d’une impunité totale et qu’il pouvait donc se permettre d’élargir le champ d’utilisation de son arsenal non conventionnel. Son but, à l’évidence, est de banaliser une telle pratique en tirant profit de la passivité et de la léthargie de la communauté internationale. Comment s’étonner ainsi, puisque nous sommes en pleine barbarie, que l’état-major d’Assad se soit permis de perpétrer le massacre de la Ghouta, dans l’objectif, apparemment, de stopper une offensive minutieusement planifiée que des unités de commandos de l’Armée syrienne libre, entraînées en Jordanie, étaient sur le point de lancer en direction de Damas, à en croire des sources occidentales citées par Le Figaro ?


Si l’on peut se permettre en pareilles circonstances une image caricaturale, le carnage de la Ghouta constitue un cynique « pied de nez » de Bachar el-Assad au président Obama et à la communauté internationale. Un cynique « pied de nez » rendu possible par le déplorable laisser-faire de l’administration US, mais aussi par l’appui aveugle, et non moins cynique, dont le pouvoir syrien a bénéficié de la part du président russe Vladimir Poutine – un autre spécialiste de l’utilisation de gaz toxique contre les contestataires dans son propre pays.


La politique de l’autruche pratiquée malencontreusement par une partie de l’Occident (dirigeants et opinion publique) vis-à-vis de la sauvagerie meurtrière du pouvoir en place à Damas a non seulement été un stimulant pour Bachar el-Assad, mais elle a également eu pour effet de booster considérablement la mouvance jihadiste et fondamentaliste en Syrie et, par ricochet, au Liban aussi. Car d’une manière concomitante, l’administration Obama a fait systématiquement obstruction à la livraison d’armes qualitatives à l’Armée syrienne libre qui en avait besoin pour faire face à l’aviation, aux blindés, aux missiles balistiques et à l’artillerie lourde de la partie adverse. Conséquence de cette obstruction US : ce sont les milices jihadistes, que Washington et l’Occident tentent pourtant de laminer, qui se sont renforcées et qui se sont montrées les plus efficaces sur le terrain.


Ainsi, en empêchant la chute rapide de Bachar el-Assad (qui aurait été possible en fournissant une arsenal militaire adéquat à l’Armée syrienne libre), l’administration US a indirectement renforcé la mouvance extrémiste de la rébellion, contraignant par le fait même le pouvoir baassiste à avoir recours à des forces étrangères, en l’occurrence le Hezbollah et une milice irakienne chiite, pour compenser le manque évident de combattants et de fantassins sur les lignes de front. Or l’implication du Hezbollah dans la guerre syrienne a entraîné sur la scène libanaise une grave – et sanglante – exacerbation des tensions sunnito-chiites et l’accroissement de l’influence des courants fondamentalistes, aussi bien sunnites que chiites, avec tout ce que cela entraîne comme déstabilisation rampante du pays du Cèdre.


Le bilan de cette politique US de « laisser-faire, laissez-passer » en Syrie est ainsi, au stade actuel, effarant. D’autant plus effarant que cette politique a conduit, comme conséquence inéluctable, à un rôle grandissant de la Russie et de la République islamique iranienne dans l’ensemble de la région... au détriment des alliés traditionnels des États-Unis et de l’Occident.


Il aura fallu le carnage de la Ghouta, avec ces insoutenables images de dizaines d’enfants asphyxiés par le gaz neurotoxique lancé à grande échelle par les forces pro-Assad, pour que les lignes rouges évoquées l’an dernier par le président Barak Obama resurgissent enfin à la surface. La barbarie du pouvoir syrien et le mépris insultant qu’il manifeste à l’égard de la communauté internationale ont dépassé toutes les bornes, de sorte que les puissances occidentales semblent envisager sérieusement des frappes ponctuelles contre des objectifs stratégiques soigneusement sélectionnés.
Il reste que la question qui se pose aujourd’hui avec acuité est de savoir si ces frappes auront, le cas échéant, pour seul but de jeter simplement de la poudre aux yeux ou si, au contraire, elles auront pour mission d’ébranler sérieusement et de déboulonner le régime du clan Assad. Il y va sur ce plan de la crédibilité internationale de Washington et de l’Occident. Il y va des valeurs fondamentales prônées et défendues par cet Occident. Il y va aussi de la stabilité de cette région, et plus spécifiquement du Liban. Et il y va, surtout, surtout, de la vie de centaines de milliers de civils et d’enfants écrasés quotidiennement sous les fusées balistiques, les bombes et les tonneaux bourrés d’explosifs, lâchés sans sourciller par un pouvoir sans foi ni loi dont le seul langage qu’il connaît est celui de la terreur et de la barbarie poussées jusqu’à leurs derniers retranchements.

 

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