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À La Une - Tribune

C’est l’autoritarisme qui pose problème, pas l’islam !

L’islam est-il fondamentalement incompatible avec la démocratie ? De nombreux événements nous amènent à nous poser la question. Mais c’est une question qui obscurcit les choses plutôt que de les éclairer.


La Turquie, l’Égypte et la Tunisie sont des pays très différents les uns des autres, mais ils sont tous gouvernés par les islamistes (au moins jusqu’à une époque récente dans le cas de l’Égypte). À des degrés variés, leurs promesses de démocratie se sont relevées creuses, car ils n’ont pas défendu les libertés publiques et les droits de l’homme, et ont réprimé durement leurs adversaires. Malgré leurs assurances répétées, l’intérêt des dirigeants islamistes pour la démocratie n’a duré que le temps d’une campagne électorale.


Ceux qui estiment que la destitution du gouvernement Morsi est justifiée avancent un argument : de plus en plus autoritaire, le régime des Frères musulmans a foulé aux pieds les idéaux et les aspirations de la révolution de la place Tahrir qui a renversé l’ex-président Moubarak en 2011. Néanmoins, le soutien de nombreux libéraux égyptiens en faveur du coup d’État militaire est difficile à accepter. Aussi habile puisse-t-elle être, la dialectique ne permet pas de masquer l’essence de ce qui s’est passé : l’armée a chassé un gouvernement élu à l’issue d’élections équitables.
On pourrait dire qu’une intervention militaire permet de corriger une dérive. Le secrétaire d’État John Kerry a déclaré que l’armée égyptienne a « restauré la démocratie ». Et l’ancien ambassadeur américain en Turquie, James Jeffrey, s’est appuyé sur son expérience dans ce pays, notamment sur le coup d’État de 1980, pour en conclure que l’armée peut aider à « modérer les mouvements islamistes ». L’idée qu’un arbitre politique impartial reconnu par toutes les parties puisse prévenir les abus de pouvoir et redonner du souffle à l’idée de démocratie est attirante. Mais la Turquie est un contre-exemple. Il est vrai que l’armée turque ne voulait pas gouverner directement et qu’après ses coups d’État, elle a rendu le pouvoir aux civils. Néanmoins, ses interventions répétées ont causé un grave préjudice au développement d’une culture politique démocratique.


La démocratie repose sur un accord implicite entre groupes en concurrence, chacun reconnaissant aux autres le droit de gouverner s’il remporte une élection. Une Constitution à elle seule ne suffit pas à forger ce consensus, car ceux qui détiennent le pouvoir peuvent aisément s’en affranchir. Pour éviter les abus de pouvoir, il faut aussi que les institutions d’un régime (les partis politiques, le Parlement et la justice) incarnent les règles d’un bon comportement politique. C’est la conscience que leur non-respect aurait des conséquences dommageables pour tous qui peut assurer la pérennité de ces règles. Si je ne respecte pas vos droits aujourd’hui alors que je suis au pouvoir, pourquoi respecteriez-vous les miens demain quand c’est vous qui serez au pouvoir ?


Quand une force extérieure telle que l’armée interrompt ce processus, que ce soit sur sa propre initiative ou à l’appel de l’une des parties, la dynamique du comportement politique change de manière irréversible. La perte de continuité des procédures parlementaires, des processus judiciaires et dans la vie des partis politiques favorise les calculs à court terme et multiplie les pratiques autoritaires. C’est exactement la maladie des jeunes démocraties.


C’est aussi le problème qui mine la démocratie turque, bien qu’elle ait un passé plus long qu’en Égypte. Quand le Parti pour la justice et le développement (AKP) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est arrivé au pouvoir en 2002, il manquait non seulement de culture démocratique, mais il craignait aussi une réaction de la vieille garde laïque au sein de l’armée. Poussé par cette crainte, il a lancé une série de simulacres de procès visant de hauts gradés de l’armée et d’autres opposants. Quand le gouvernement Erdogan a finalement perdu le soutien des libéraux qui l’avaient soutenu dans un premier temps, il s’en est pris aux médias et à la liberté d’expression.


Dans ce contexte de répression et de démocratie balbutiante, l’échec des islamistes en Égypte et en Turquie nous en apprend moins que ce que l’on pourrait croire sur la compatibilité entre islam et démocratie. Le comportement de Morsi et d’Erdogan est-il lié à leur idéologie religieuse, ou est-ce la manière d’agir de la plupart des dirigeants politiques qui veulent conserver le pouvoir ? L’Amérique latine où l’islam ne joue aucun rôle politique ne manque pas de dirigeants qui violent quotidiennement les libertés publiques et les droits de l’homme.


Tout cela n’excuse en rien les abus de pouvoir commis par les dirigeants islamistes. Mais de même que les interventions répétées de l’armée turque contre ce qu’elle percevait comme une menace ont fait obstacle à la démocratie, la destitution de Morsi par l’armée ne contribuera pas à sa restauration. On ne peut compter sur une entité autoritaire et hiérarchique par sa nature même pour favoriser une transition démocratique. Une intervention militaire lorsqu’un pays se trouve au bord de la guerre civile comme ce fut le cas en Turquie en 1980 (et peut-être de l’Égypte au mois de juillet) constitue un cas particulier, mais il ne faut pas confondre le rétablissement de l’ordre et le rétablissement de la démocratie.


La bataille pour la démocratie doit être remportée localement, néanmoins les acteurs extérieurs ont aussi un rôle à jouer. Ainsi les organisations internationales de défense des droits de l’homme peuvent diffuser des informations sur les violations de ces droits ainsi que sur les autres abus de pouvoir. Les pays démocratiques – notamment les pays de l’UE et les USA – peuvent dénoncer publiquement les pratiques autoritaires et résister à la tentation de pactiser avec les tyrans régionaux pour des intérêts stratégiques à court terme. Du fait de la mondialisation et des communications planétaires, des dirigeants autocrates tirent autant avantage de leur position sur la scène internationale que de leur contrôle sur les institutions de leur propre pays.


Considérer les crises politiques du Moyen-Orient comme la conséquence d’une fracture entre islamistes et laïques pourrait se révéler contre-productif. Cette perspective est tout bénéfice pour des dirigeants autoritaires tels qu’Erdogan qui peuvent utiliser à leur profit une apparente islamophobie des puissances étrangères pour mobiliser leur base politique. Les violations des droits de l’homme et le non-respect de l’État de droit doivent être dénoncés pour ce qu’ils sont, sans les lier à la culture ou à la religion.

© Project Syndicate, 2013. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.

 

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