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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Chaos Airlines

Un président plein de bonne volonté mais frappé d’impuissance, un Premier ministre s’échinant en vain, depuis quatre mois, à former un gouvernement, un Parlement s’octroyant 18 mois supplémentaires de vacances payées : il y a déjà longtemps que les citoyens ballottés en tout sens par les intempéries politiques ont renoncé à demander s’il y avait un pilote à bord.

 

La question du jour, c’est désormais de savoir s’il existe encore dans notre pays soumis à un dégradant strip-tease un aéroport digne de ce nom : c’est-à-dire une fenêtre ouverte sur l’évasion pour les résidents assoiffés de normalité; c’est-à-dire aussi un point d’entrée commode et sûr pour les Libanais rentrant chez eux ou pour les visiteurs étrangers s’obstinant encore à croire dans les charmes passablement faisandés de ce qui fut la Suisse de l’Orient.


C’est à tout un chapelet de stupéfiants scandales qu’a donné lieu le rapt, vendredi dernier, de deux pilotes de la Turkish Airlines qui étaient en route pour leur hôtel, peu après l’atterrissage à Beyrouth. Premier scandale, l’enlèvement en soi, puisqu’il s’est produit non point dans quelque sombre ruelle, mais à un jet de pierre de l’aérogare et du barrage de contrôle militaire installé à ses abords : barrage qui, aux yeux des responsables, rend apparemment superflu le déploiement d’unités mobiles patrouillant jour et nuit sur toute la longueur de la route de l’aéroport.


Deuxième scandale, une arrestation est bien opérée en un temps record, les services de renseignements de la police (FSI) ayant identifié en effet un individu qui échangeait, au téléphone, des congratulations avec l’un des auteurs du kidnapping. Manque de pot, lesdits services ne sont pas agréés et sont même classés ennemis par les amis des ravisseurs, c’est-à-dire les familles des pèlerins chiites séquestrés depuis des mois par les rebelles syriens ; dès lors, et on croit rêver, c’est un ultimatum en règle qui est lancé à la police, sommée de remettre le brave homme en liberté. Il y a plus énorme cependant, et c’est la menace d’interdire l’accès à l’aéroport, ou encore cette chasse aux Turcs publiquement décrétée sur tout le territoire sans que l’autorité s’en émeuve autrement.


Mais pourquoi l’autorité s’en ferait-elle quand le ministre de l’Intérieur en personne, faisant valoir qu’à quelque chose malheur est bon, voit ingénument dans l’enlèvement des deux aviateurs un élément susceptible de hâter un dénouement heureux de l’affaire des pèlerins retenus en Syrie ? Dans le même temps que l’État libanais multiplie regrets et assurances à l’adresse de la Turquie, voici donc que le premier flic du pays paraît s’accommoder fort bien de la tortueuse logique présidant à cette opération triangulaire d’un type peu commun : à défaut de kidnapper des ressortissants syriens pour les échanger contre les pèlerins, on se rabat sur des Turcs puisque l’opposition anti-Assad ne peut rien refuser au gouvernement d’Ankara...


Pour atterrant qu’il soit, ce survol ne met en lumière qu’une partie du problème : plus grave que la route de l’aéroport Rafic Hariri, contrôlée par le Hezbollah qui en a fait le prolongement de son sanctuaire de la banlieue sud de Beyrouth, est le cas de l’aérogare où même les manifestes des compagnies aériennes portant les noms des passagers en partance ou attendus, et une foule d’autres données théoriquement confidentielles ne sont pas à l’abri des indiscrétions. Le poumon du Liban est malade, et il devient urgent de lui en greffer un second. Or celui-là existe et il faut bien peu de choses pour l’aménager. Signe des temps, ces scélérats de temps, il porte lui aussi le nom d’un président assassiné.

 

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Un président plein de bonne volonté mais frappé d’impuissance, un Premier ministre s’échinant en vain, depuis quatre mois, à former un gouvernement, un Parlement s’octroyant 18 mois supplémentaires de vacances payées : il y a déjà longtemps que les citoyens ballottés en tout sens par les intempéries politiques ont renoncé à demander s’il y avait un pilote à...

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