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À La Une - L'Orient Littéraire

Le fils du maître et de l'esclave

© Moises Saman for The New York Times

Prix international du Roman Arabe en avril 2013 (Booker arabe), La Tige du Bambou du Koweïtien Saoud al-Saneoussi se présente comme le récit, traduit du philippin, d’un certain José Mendoza, qui fut conçu après minuit au milieu de la mer, sur une petite barque que faisait tanguer l’accouplement d’un riche Koweïtien avec sa domestique philippine, secrètement devenue sa femme quelques heures auparavant.

 

Son père décida de le garder, puis fléchit sous la pression de sa famille, terrorisée par l’éventuelle honte qui tomberait sur leur maison si l’existence d’un tel enfant venait à être divulguée. Âgé de trois ou quatre mois, il fut donc renvoyé avec sa mère de sa patrie natale – le Koweït – pour aller vivre dans la terre de son grand-père maternel Mendoza dont il reçut le nom, à l’instar des nombreux bâtards qui peuplent les Philippines, cet endroit où « les femmes se transforment en tissus dans lesquels se mouchent les étrangers… ils les jettent par terre… ils s’en vont… Et dans ces tissus germent ensuite des créatures dont les pères sont inconnus ». Toutefois, José se distingue de cette légion d’enfants illégitimes par l’engagement de son père vis-à-vis de sa mère de le ramener dans son pays afin d’y vivre comme tous ceux qui en portent la nationalité.

 

La promesse paternelle s’avère être une malédiction : n’ayant connu que les Philippines, jamais le Koweït, il se sent pourtant écartelé entre les deux, entre un lieu de pauvreté et de misère, et une terre promise, un paradis perdu. Et sa mère n’était pas pour peu dans ce déchirement ; dès son enfance lui avait-elle injecté des rêveries enchanteresses à propos de sa patrie d’origine, de son père et du bonheur qui l’attendait auprès de lui. Une situation paradoxale en résulte : José se sent étranger dans le seul pays qu’il connaît, éprouve une nostalgie lancinante pour un autre dont il n’a nulle souvenance, et quand, à dix-huit ans, suite à des circonstances imprévues, il revient au Koweït, sa famille paternelle et le pays tout entier le renient, et il comprend alors qu’il est un homme sans identité ni attaches, lui qui s’était cru pareil au bambou, cette plante dont les racines peuvent rapidement pousser dans n’importe quel sol.

C’est donc l’histoire d’une quête identitaire impossible, un véritable roman familial au sens accordé par Freud à ce terme. Il avait en somme postulé que tout enfant, déçu par les défauts de ses parents jadis idéalisés, s’imagine alors appartenir à une famille autre que la sienne, dotée d’attributs prestigieux tels que richesse et rang social élevé. C’est précisément le cas de José Mendoza, sauf qu’il a la malchance de voir son rêve se métamorphoser en réalité.

Par ailleurs, le roman se veut une critique sociale, la motivation de José pour consigner sa vie étant de dire leur vérité aux Koweïtiens, si déplaisante soit-elle.

 

Il expose ainsi certains mauvais traitements que subissent les émigrés, surtout les domestiques asiatiques. Or, c’est à ce niveau-là que l’ouvrage pèche par un excès de sentimentalisme qui entraîne la mise de la victime et du bourreau sur un pied d’égalité. En effet, le narrateur est le premier à sympathiser avec sa famille et les Koweïtiens en général : pareillement à lui, ce sont des victimes impuissantes de modifier leurs agissements car ils sont pris dans les filets de contraintes sociales si strictes et rigides qu’ils en étouffent ; et José va même plus loin, il s’apitoie sur eux – attitude peu crédible. Si enfin nous ajoutons le fait que l’auteur ne nous montre, comme comportements véritablement racistes, que quelques harassements de la part de la police, assez bénins en somme, et s’il nous est loisible de prendre, en guise d’étalon approximatif de ce qui se passe réellement au Koweït, les conditions de vie, au Liban, des domestiques sri-lankaises, philippines, éthiopiennes et autres, nous n’aurions alors probablement pas tort de supposer qu’al-Saneoussi déploie un formidable effort pour édulcorer la vérité.

 

Retrouvez l’intégralité de L'Orient littéraire ici.

Prix international du Roman Arabe en avril 2013 (Booker arabe), La Tige du Bambou du Koweïtien Saoud al-Saneoussi se présente comme le récit, traduit du philippin, d’un certain José Mendoza, qui fut conçu après minuit au milieu de la mer, sur une petite barque que faisait tanguer l’accouplement d’un riche Koweïtien avec sa domestique philippine, secrètement devenue sa femme quelques...

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