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Acele şeytandandir*

Les manifestants sont des pillards, Twitter est une malédiction, et tout homme qui boit de l’alcool est un alcoolique. J’ai dit, fermez le ban ! La riposte officielle à la protestation contre un plan d’urbanisme affectant une place éminemment emblématique, Taksim, aurait pu être moins violente, à l’instar de la réaction du chef de l’État Abdullah Gül ou encore celle du vice-Premier ministre Bülent Arinç, qui ont plaidé tous deux pour le dialogue et le retour au calme. Mais, on le sait, Recep Tayyip Erdogan est familier des coups de sang et des réactions à l’emporte-pièce. Contre quelques centaines de jeunes défenseurs de l’environnement, le premier jour, il a laissé faire la police, laquelle ne connaît que le langage de la matraque et des grenades lacrymogènes. Le résultat, on le constate depuis quatre jours : la violence, comme une traînée de poudre, a gagné la capitale Ankara, puis Izmir et bien vite près de la moitié des 81 provinces.


Mais s’agit-il vraiment de protection de la nature ? Après avoir paru le croire – et laisser accroire –, le chef du gouvernement a modifié sa ligne de conduite et qualifié d’« idéologique » le conflit, tout en rappelant au passage que son équipe avait planté « deux milliards d’arbres ». Si les forces de l’ordre ont été priées de regagner leurs casernes, la véhémence du ton est demeurée inchangée et la menace, latente. Exemple : « Quand ils rassemblent 20 personnes, j’en rassemblerai 200 000 », a-t-il lancé lors de sa quatrième apparition en trente-six heures à la télévision. Et encore : « Nous donnerons notre réponse (au mouvement de la rue) lors du scrutin local de 2014. » On le voit, le chef politique aux trois consultations électorales remportées, qui règne sans partage depuis 2003, l’homme qui est parvenu en dix ans à multiplier par trois le PIB ne peut résister à l’envie d’avancer à marche forcée dans une entreprise que ses adversaires ont beau jeu de qualifier d’islamisation rampante de la société.


C’est contre ce qu’elle juge représenter une double « dérive », religieuse d’abord, autoritaire ensuite, qu’une partie de la rue turque vient de se mobiliser, l’affaire du parc Gési venant s’ajouter à une succession de mesures décidées dans la hâte et sans campagne d’explication. Il en est ainsi de l’aménagement d’un nouvel aéroport et d’un troisième pont sur le Bosphore. Coût de l’opération : 2,3 milliards d’euros. Aujourd’hui, les riverains de la place Taksim et l’opposition, principalement représentée par le Parti républicain du peuple (Çumhuriyet Halk Partisi, CHP), voient comme un véritable crime l’intention prêtée à l’État de vouloir, pour édifier une mosquée ainsi qu’une réplique d’une caserne militaire de l’ère ottomane, raser un auditorium dédié à Mustapha Kemal Atatürk, père en 1924 d’une République laïque et fondateur du mouvement présidé par Kemal Kiriçdaroglu.


Avant de partir en guerre contre l’alcool, Erdogan, rappellent ses détracteurs, avait voulu limiter l’accès à l’avortement et autorisé le port du voile en public. Pourtant, même ses adversaires lui reconnaissent deux mérites : en tant que maire d’Istanbul, il a accompli un travail considérable et il n’a jamais fait mystère de sa foi. En 1998, cet ancien disciple de Neçmettin Erbakan (le premier chef de gouvernement islamiste) fut condamné à dix mois de prison – mais n’en purgera que quatre – pour avoir lu en public un poème comportant notamment ces lignes : « Les mosquées sont nos casernes, leurs dômes nos lances, les minarets nos baïonnettes et la foi nos soldats. »


Les concerts de casseroles qui ponctuent désormais les slogans anti-AKP (Adalet ve Kalkinma Paertisi) masquent mal l’inquiétude perceptible au niveau de la rue et dans les principales chancelleries du monde. Personne ne voudrait que « le printemps d’Ankara » débouche sur des dérives comparables à celles dont Le Caire, Damas et Tripoli sont le théâtre. Personne non plus n’admettrait longtemps encore la manière dont le président du Conseil prétend mener la barque turque. À Washington tout comme au sein de l’Union européenne, on veut espérer que la situation demeurera sous contrôle et que l’on a tort de prêter au principal intéressé l’intention de vouloir réformer la Constitution pour accéder en 2015 à la tête de l’État. Il faudra, pour convaincre tout ce monde, une campagne d’explication qu’Erdogan a été, jusqu’à présent incapable, ou à tout le moins peu désireux d’entreprendre. Hier, il a choisi de tourner le dos à la crise et de se rendre au Maroc, première étape d’un périple qui doit également le conduire en Algérie et en Tunisie. « Business as usual ? » Bien sûr que la terre continue de tourner, mais dans quel sens ?

* Le diable est dans la vitesse (proverbe turc)

 

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