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À La Une - Exposition

Jean-Marc Nahas : des murs de vent aux traits violents

Au Beirut Exhibition Center, le défi d’une exposition réalisée en une quinzaine de jours seulement est relevé par Jean-Marc Nahas, dépassé même par l’artiste rebelle qui toujours sort des cadres.

L’artiste posant devant une fresque courant tout le long d’un mur de la salle d’exposition.

« Murs de vent ». Jean-Marc Nahas a d’abord appelé ainsi les espaces « trop vastes, trop blancs et trop vides » qu’il lui fallait remplir. Le Beirut Exhibition Center ne lui a laissé que quinze jours pour préparer cette exposition, là où certains artistes disposent de mois entiers. Amateur de challenges, l’artiste accepte le défi. Il réalise vite que ses œuvres ne seront pas suffisamment nombreuses pour remplir le musée aux nombreuses cimaises. Vient alors la peur de n’avoir que du « vent » à exposer. Mais, devant les visiteurs, il remplit à un rythme effréné l’espace qui ne s’avère pas si grand. Une semaine après le vernissage, l’artiste « boulimique de travail » ne trouve plus un seul mur de libre pour y appliquer sa rageuse gageure. Il dessine au sol pour l’instant. Bientôt, il repoussera les murs.


Beyrouthin d’origine, Jean-Marc Nahas a fait les beaux-arts à Paris avant de s’installer à Montréal cinq années durant pour enfin revenir dans son pays, celui « des cèdres et de la liberté », selon son mot. Depuis 1989, il expose au Liban, en France et à Dubaï. Certaines de ses œuvres font aujourd’hui partie de la collection permanente du British Museum. Une belle reconnaissance que l’artiste prend avec légèreté. Aux musées, il préfère les restaurants, lycées ou lieux de vie dans lesquels il peint et « fusionne » avec son public. À l’entrée du Beirut Exhibition Center, les doigts peinturlurés et le feutre à la main, il paraît fiévreusement attendre les visiteurs pour se mettre au travail. Les œuvres qu’il réalise en direct ont alors la beauté chaotique des premiers jets qu’il affectionne tant.


Acrylique, bois, encre, papier, toiles ou même objets en tout genre... Jean-Marc Nahas change constamment de médium et de support. « Je n’ai pas d’attaches. J’ai des obsessions », observe-t-il. De fait, au-delà de cet éternel renouvellement, les œuvres héritent de la féroce obstination de leur créateur. Certaines figures reviennent inlassablement : les chiens aux crocs acérés à grands coups de pulsions, les regards qui, de leurs prunelles trop nettes, racontent l’horreur et les corps des femmes violentées. La demi-mesure n’est pas de mise chez Jean-Marc Nahas.

Parler des guerres pour parler de la solitude
La guerre a projeté toute sa brutalité abjecte sur son enfance. De fait, Jean-Marc Nahas reste hanté par les atrocités qui touchent les civils. D’où le choix de dédier cette exposition à « une femme voilée », incarnant les innocents de tous les conflits armés confondus. Une figure féminine pour des milliers de destin. « Qu’importe sa nationalité, qu’importe son histoire, cette femme voilée, inculte, paysanne n’aspire qu’à voir sa fille porter le même fichu. Impuissante et innocente, elle subit pourtant les pires cruautés de la guerre. » Et parmi ces dernières, le viol est omniprésent chez Jean-Marc Nahas. Ce qu’il explique volontiers : « La guerre est un viol collectif. On n’attend jamais le consentement du civil. » Difficile de trouver à cette exposition un début, une fin ou une progression graduelle. Comme les murales de Jean-Marc Nahas, il faut la prendre dans sa globalité. Certains détails marquent, tels ces visages mille fois reproduits, jamais identiques, qui se rappellent aux rétines du spectateur bien des heures après l’exposition, mais c’est l’émotion de l’ensemble qui demeure surtout. Par son trait fuligineux, écorché, Jean-Marc Nahas sublime la douleur.


« J’ai peur d’être seul », lâche-t-il parfois. Une angoisse qui se retrouve dans sa manière de travailler en public comme dans le choix de ses thèmes. Car à travers le fléau des armes, le peintre parle aussi de ce qui isole les gens. « Les guerres ne sont pas seulement militaires, elles sont partout entre les êtres », affirme-t-il avant de conclure : « Je n’ai pas de réponses ni d’accusations à porter. Raconter la souffrance des hommes dans ce monde fichu me suffit. » La puissance évocatrice de l’exposition est là, dans ce refus d’un discours construit au profit d’un témoignage brutal mais sensible, paradoxal, humain en somme. Qu’elles parlent d’amour ou de guerre, les œuvres de JMN attestent toujours de cette douleur de tout un chacun confronté tant à l’implacable barbarie collective qu’à la froide morsure de la solitude. De son propre aveu, son pessimisme se plie mal à la gaieté dont il essaie parfois de teinter ses œuvres. Les moments de joie semblent orageux. La souffrance qui imprègne son œuvre est troublante, dérangeante sans doute, mais c’est celle-là même qui unit les êtres et les soustrait à l’atrocité de l’isolement.

« Murs de vent ». Jean-Marc Nahas a d’abord appelé ainsi les espaces « trop vastes, trop blancs et trop vides » qu’il lui fallait remplir. Le Beirut Exhibition Center ne lui a laissé que quinze jours pour préparer cette exposition, là où certains artistes disposent de mois entiers. Amateur de challenges, l’artiste accepte le défi. Il réalise vite que ses œuvres ne seront pas...
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