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Liban

Une approche analytique de l’angoisse des uns et de la frustration des autres

Libanais et réfugiés syriens séjournant au Liban semblent terrifiés et emmurés respectivement dans l’enceinte des échos angoissants de leurs propres cris de désespoir face à l’afflux sans cesse croissant de Syriens fuyant leur pays.
Pour essayer de comprendre cette situation complexe à bien des égards, nous pourrions dire que l’angoisse du Libanais est habitée par la terreur des années d’occupation syrienne du Liban ; une occupation psychologiquement non résorbée. Trente ans d’occupation, de 1976 à 2006, dont quatorze années de guerre, de 1976 à 1990, expliquent que le Libanais n’oublie pas les traumatismes qu’il a subis. Il n’oublie pas les barrages dressés illégalement par l’armée syrienne sur sa route. Il n’oublie pas sa terreur quand le soldat syrien, qui était dans certains cas honni, pervers et sadique, lui fouillait la voiture, l’âme, le corps. Il n’oublie pas que ce même soldat s’octroyait parfois le droit de le torturer, de l’humilier pour son appartenance religieuse et ses orientations politiques.
Le Libanais n’oublie pas que nombre de ses amis, de ses voisins ont disparu, ont été kidnappés, arrêtés par les hommes de l’armée syrienne. Toufic, 56 ans se souvient : « Mon cousin a été enlevé à un barrage de l’armée syrienne en 1985. C’était un homme bien. Il n’est plus jamais revenu. Les recherches familiales n’ont jamais abouti. » Aucun des responsables politiques en Syrie ou au Liban ne se préoccupe aujourd’hui de la cause du cousin de Toufic, ni du désarroi ou du traumatisme de sa famille. L’expression « détenus libanais dans les prisons syriennes » ressemble de nos jours à un vague titre stérile que l’État libanais lui-même semble incapable de traduire par des faits pour aboutir à un dénouement de cette affaire.
L’après-guerre au Liban, période ancrée à la tutelle syrienne, avait un goût amer. À partir des années 1990, affublé de présidents de la République inféodés au régime syrien, le peuple libanais, sous le poids d’ « accords bilatéraux », a vu son eau volée, les recettes de son port et de son casino détournées. Les hommes des services de renseignements syriens, couverts par le directeur de la Sûreté générale libanaise, ont veillé à torturer ou arrêter le Libanais, l’empêchant de s’exprimer, de manifester dans la rue, fermant de force certaines chaînes de télévision, menaçant la libre plume de ses journalistes, contraignant à l’exil certains politiciens et citoyens.

La confusion identitaire
Même après le retrait de l’armée syrienne, en 2006, le régime syrien n’a pas lâché prise au Liban. Accusé d’être responsable de la série d’attentats qui ont visé nombre d’hommes politiques libanais assassinés entre 2005 et 2012, il bénéficie toujours d’une certaine influence au sein du gouvernement libanais par le biais de ses alliés politiques et militaires ; des alliés politiques et militaires qui ne cachent pas aujourd’hui leur allégeance au régime de Bachar el-Assad, révélant que leurs miliciens participent aux combats aux côtés de l’armée syrienne, ce qui risque d’engager le peuple libanais, dans son ensemble, sur le terrain explosif d’une « guerre pour les autres ».
Au niveau de l’espace-temps, au niveau de l’histoire, le Liban n’a pas encore pris suffisamment de recul pour imposer sa spécificité par rapport à la Syrie, que ce soit au niveau politique, territorial (tracé des frontières) ou identitaire, d’autant que tous les crimes commis lors de la tutelle syrienne contre des Libanais durant les 30 années d’occupation sont demeurés impunis ou, pire encore, non dévoilés. En outre, le slogan « un peuple, deux États », qui rallie implicitement le peuple libanais au peuple syrien, a longtemps entretenu une confusion identitaire. Par voie de conséquence, en se voyant contraint d’accueillir les réfugiés syriens sur son territoire, dans ses maisons, sur son marché de l’emploi, le Libanais se sentirait sans doute, dans une certaine mesure, victime d’une nouvelle invasion, d’un nouveau viol, d’une nouvelle menace de dissolution identitaire.

La responsabilité de l’État
Dans un tel contexte, comment faire pour aider le citoyen libanais à faire la part des choses et à dissocier le régime syrien du peuple syrien ? Un peuple syrien confronté aujourd’hui à la désillusion, à la perte traumatique, peut-être, de l’image longtemps cultivée du père Assad « protecteur » ; un peuple qui, sous le coup de la révolution, lance aujourd’hui au régime syrien un nouveau regard, en Syrie même, mais aussi au Liban, à travers les attitudes rancunières d’un peuple libanais débordé.
Peut-être est-il temps, enfin, que l’État libanais prenne les choses en main, qu’il étende l’autorité de l’armée à tout le territoire libanais, de manière que ce soit cette armée qui riposte quand les bombardements provenant de Syrie, de quelque camp que ce soit, violent la souveraineté nationale. L’État se doit de calmer l’angoisse de son peuple envahi, de lui dire symboliquement, mais aussi réellement, que les Syriens et les Libanais sont deux peuples, que la Syrie et le Liban sont deux États, et que l’État libanais est en mesure de protéger son peuple quand la Syrie ou n’importe quel autre pays s’accorde le droit de l’agresser.
Peut-être qu’il est également temps, aussi, que l’État libanais œuvre au plan interne à assurer la sécurité physique de son peuple, à mettre sous les verrous ces groupuscules mafieux du crime organisé qui kidnappent les gens et volent leurs voitures impunément ; des groupuscules qui seraient probablement protégés et manipulés par des personnes libanaises. Le réfugié syrien nouvellement débarqué au Liban, vivant dans un état de pauvreté, ne saurait pas à lui seul, s’il était malfaiteur, « cacher » un enfant kidnappé ou dissimuler à la police une voiture volée s’il n’était pas couvert localement par des personnes influentes.
Parallèlement à la nécessité d’assurer la protection requise au peuple libanais, l’action que devraient mener les FSI et la justice pour démasquer et appréhender les groupuscules mafieux permettrait à n’en point douter de juguler les comportements racistes à l’égard des réfugiés syriens et d’appréhender dans le même temps les scénarios alarmistes faisant état de sombres desseins qui viseraient le peuple libanais.
Peut-être est-il temps, enfin, que l’État libanais encadre la présence des réfugiés syriens au Liban par une législation adéquate portant sur le nombre, les droits et les devoirs des exilés, de manière à rassurer le peuple libanais. Et, par le fait même, à atténuer quelque peu le climat stressant vécu par les réfugiés fuyant les combats fratricides dans leur pays.

 

Z. Zerbé

Libanais et réfugiés syriens séjournant au Liban semblent terrifiés et emmurés respectivement dans l’enceinte des échos angoissants de leurs propres cris de désespoir face à l’afflux sans cesse croissant de Syriens fuyant leur pays.Pour essayer de comprendre cette situation complexe à bien des égards, nous pourrions dire que l’angoisse du Libanais est habitée par la terreur des...

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