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À La Une - L'Orient Littéraire

Des hommes à abattre !

Dans son dernier ouvrage, Jean-Christophe Buisson enquête sur la mort d’hommes et de femmes qui ont tous été… assassinés ! Quinze chapitres qui sont autant de thrillers mettant en scène attentats, meurtres, complots, exécutions et coups d’État.

César, Henri III, Robespierre, Lincoln, Maximilien de Habsbourg, Alexandre II, Sissi, François-Ferdinand d’Autriche, Nicolas II, Dollfuss, Lumumba, Ngô Dinh Diêm, Sadate, Indira Gandhi, Ceausescu. L’auteur explique ce choix subjectif par sa volonté d’évoquer tous les types d’assassinats en montrant en même temps « l’extrême variété des situations. Mais aussi certaines constantes ».
 
Commençons par les constantes. Sans pour autant faire preuve de bienveillance, Buisson s’efforce de comprendre la psychologie des assassins et constate qu’ils ont tous tué avec la conviction d’avoir agi « pour une cause juste ». Ne négligeant aucun paramètre, il pèse, pour chaque cas, la responsabilité de personnages secondaires qui ne seraient coupables que d’une éventuelle complicité.
 
Remontant aux causes les plus lointaines et les plus indirectes, il met en scène la manière avec laquelle l’étau se resserre inexorablement autour des victimes. Et pour ce qui est des causes les plus directes, il observe que la quasi-totalité des assassinats évoqués n’ont réussi que « grâce à la trahison de proches » (César, Ceausescu, Diêm…) ou à la « défaillance coupable de gardes du corps ou de services de sécurité incompétents, dépassés ou médiocres » (Henri III, Lincoln, François-Ferdinand…). À noter que les deux facteurs sont compatibles ; ce fut le cas pour Indira Gandhi.
 
L’auteur souligne les étranges similitudes des nombreuses « fuites à Varennes » dont les contextes étaient pourtant si différents. Un autre constat, des plus navrants, est celui de l’universalité des humiliations et des tortures que l’on réserve aux bourreaux lorsqu’ils deviennent victimes. Des victimes encombrantes en vérité… au point qu’on les assassine ou les exécute sommairement pour éviter les complications et les conséquences d’un procès.
 
Buisson ne répugne pas à décrire d’atroces agonies avec des mots crus et note, à cet égard, que « les grands hommes d’État savent tirer leur révérence ». Qu’il s’agisse de César, Henri III, Lincoln, Alexandre II, Dollfuss, Lumumba… leur dignité et leur courage dans l’agonie ou la mort le laissent admiratif… au point qu’il qualifie cela de « savoir-mourir  assassiné ».
Venons-en maintenant aux particularités de ces assassinats. L’assassin d’Henri III se distingue de tous les autres par son état de… moine. L’assassinat de Sissi, dépourvu de mobile, fut des plus arbitraires. Un jeune anarchiste en mal de reconnaissance, de passage à Genève, avait décidé de se distinguer par un coup d’éclat ; Sissi aimait les voyages et eut le tort de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Un hasard de l’histoire empreint d’ironie.
 
Moins ironique pourtant que la mort d’un autre Habsbourg : l’archiduc François-Ferdinand. Le neveu « peu chéri » de François-Joseph était une cible bien mal choisie. Son pacifisme supposé et sa bienveillance à l’égard des peuples slaves ont « sans doute été exagérés par une certaine historiographie soucieuse de l’élever au rang de martyr ». Toutefois, Buisson estime que s’ils avaient été mieux informés du parcours personnel et des idées géopolitiques de François-Ferdinand de Habsbourg, les sept nationalistes qui ont prémédité sa mort se seraient abstenus. Fait troublant de l’histoire, les très nombreux deuils qui ont touché cette dynastie et qui firent croire à Sissi que les Habsbourg étaient une « famille maudite ».
 
Encore plus troublant, cette prédiction d’une Tzigane qui avait assuré à Alexandre II qu’il survivrait à six tentatives d’assassinat mais succomberait à la septième. Le tsar vécut donc en se sachant condamné à une mort violente et en tenant fidèlement le compte de ces tentatives avortées auxquelles il échappa sans la moindre égratignure.
 
Loin d’être avare d’informations secondaires, l’auteur nous régale de ces détails amusants qui constituent la petite histoire. Ainsi, il relate le fait que le chancelier autrichien Dollfuss, opposé à l’Anschluss et à Hitler, était surnommé « Millimetternich » en raison de sa petite taille (1,50 m).
 
Buisson dément la version officielle qui soutient que les geôliers révolutionnaires du tsar Nicolas II et de sa famille aient décidé, de leur propre chef, de les exécuter tous, et livre les noms de ceux qui, en haut lieu, en avaient donné l’ordre. S’il décrit le modus operandi des exécutions, il est également très prolixe sur la disparition des corps dépecés, calcinés et dispersés en deux lieux différents. Ils seront tout de même retrouvés et identifiés ! Encore plus révulsant, le fait d’invoquer si souvent la raison d’État pour justifier le pire. 
 
Tout en nuances, Buisson ne présente pas une vision manichéenne des choses et précise que les victimes ne sont pas toujours irréprochables. Sadate lui-même ne répugnait pas, dans sa jeunesse, à lutter contre la présence britannique par des moyens… discutables. À ce sujet, signalons qu’il a, sans le savoir, armé le bras de son propre assassin ; et observons qu’il a « renforcé le pouvoir des islamistes, cherchant sans cesse à s’attirer leurs faveurs », et qu’il aurait dû légitimement craindre leur réaction après la signature des accords de Camp David avec Israël en septembre 1978.
 
Dans cet ouvrage d’investigation historique, remarquablement bien écrit et très prenant, Buisson nous rappelle une triste vérité : de César à Ceausescu, s’il est une chose intemporelle, c’est bien la violence et la barbarie des hommes.
 
BIBLIOGRAPHIE
Assassinés de Jean-Christophe Buisson, Perrin, 2013, 357 p.
 
Retrouvez l’intégralité de L'Orient littéraire ici
César, Henri III, Robespierre, Lincoln, Maximilien de Habsbourg, Alexandre II, Sissi, François-Ferdinand d’Autriche, Nicolas II, Dollfuss, Lumumba, Ngô Dinh Diêm, Sadate, Indira Gandhi, Ceausescu. L’auteur explique ce choix subjectif par sa volonté d’évoquer tous les types d’assassinats en montrant en même temps « l’extrême variété des situations. Mais aussi certaines...

commentaires (1)

Ce livre est un récit passionnant mais n'apporte pas d'éléments neufs sur des sujets très connus. L'auteur s'appuie sur une solide documentation et l'on sourit souvent devant des situations plutôt dramatiques. A chaque cas évoqué de ces destins inachevés, le milieu social et le contexte politique. Le portrait réussi de Sadate ayant grandi dans un village du delta du Nil "vêtu d'un simple gandoura", "dans lequel il apprend à nager, manquant s'y noyer à de nombreuses reprises". Il avait ses idoles "Ataturk Gandhi et Adolf Hitler". On connait la suite et la préparation minutieuse de l'assassinat. Quant à l'assassinat de Lumumba, il fait encore parler de lui et on vient d'apprendre qu'il sagit probablement, selon des confidences autour d'une bonne tasse de thé, d'une mission du M16 britannique. Si l'auteur n'aborde pas l'assassinat de Kennedy, il n'aborde aucun assassinat commis au Liban, pays connu pour ce genre de rituel politique...

Charles Fayad

19 h 17, le 21 avril 2013

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Commentaires (1)

  • Ce livre est un récit passionnant mais n'apporte pas d'éléments neufs sur des sujets très connus. L'auteur s'appuie sur une solide documentation et l'on sourit souvent devant des situations plutôt dramatiques. A chaque cas évoqué de ces destins inachevés, le milieu social et le contexte politique. Le portrait réussi de Sadate ayant grandi dans un village du delta du Nil "vêtu d'un simple gandoura", "dans lequel il apprend à nager, manquant s'y noyer à de nombreuses reprises". Il avait ses idoles "Ataturk Gandhi et Adolf Hitler". On connait la suite et la préparation minutieuse de l'assassinat. Quant à l'assassinat de Lumumba, il fait encore parler de lui et on vient d'apprendre qu'il sagit probablement, selon des confidences autour d'une bonne tasse de thé, d'une mission du M16 britannique. Si l'auteur n'aborde pas l'assassinat de Kennedy, il n'aborde aucun assassinat commis au Liban, pays connu pour ce genre de rituel politique...

    Charles Fayad

    19 h 17, le 21 avril 2013

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